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Usages numériques
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2021 : la fin du Far West numérique ?

21.01.2021

Le début de l’année laisse à voir le crépuscule du laisser-faire des plateformes et une nouvelle ère caractérisée par un espace numérique moins naïf et plus responsable. Pour le meilleur, et (pour une fois) pas pour le pire !

Bye bye « neutralité » des plateformes

« En bloquant le compte de Donald Trump au motif que ses messages incitaient à la haine et à la violence, les plateformes n’ont-elles pas de facto reconnu leur responsabilité et leur devoir ? Elles ne pourront désormais plus se dérober à cette responsabilité au prétexte de fournir de simples services d’hébergement. Ce dogme ancré dans l’article 230 du code américain des télécommunications s’est effondré» C’est en ces termes que Thierry Breton, commissaire européen au Marché intérieur, s’est exprimé suite à la décision de Twitter, Facebook, Snap et Instagram de bloquer les comptes du président américain. Si cette initiative a suscité de nombreux débats, souvent marqués par une opposition frontale entre ceux qui crient à la censure, et ceux qui s’en réjouissent, il faut bien dire que l’enjeu est de taille. Derrière l’émeute du Capitole à Washington, c’est le rôle d’arbitre autoproclamé des plateformes qui est en jeu, ainsi que leurs efforts acharnés pour présenter leurs politiques de modération comme neutres et objectives. Rappelons que Mark Zuckerberg a défendu corps et âme, et ce à plusieurs reprises, son réseau social comme « une plateforme pour toutes les idées ». Mais la violente insurrection de ces derniers jours, suivie de la « déplateformisation » de Donald Trump marque une rupture par rapport à cette approche. « Nous ne sommes pas neutres », a même reconnu Adam Mosseri, directeur d’Instagram. Décider quels discours autoriser et qui autoriser à les porter est une entreprise hautement subjective, et les géants technologiques semblent enfin le reconnaître.

Jusqu’à présent, les plateformes ont pu bénéficier d’un pouvoir immense sans les responsabilités qui l’accompagnent. Plus que jamais, nous sommes collectivement amenés à nous interroger sur leur responsabilité face aux contenus qu’elles hébergent, voire à la nécessité de les démanteler. Et cette question dépasse largement les frontières américaines : depuis quelques années, Bruxelles s’attaque tout à la fois au partage sauvage des données, à la désinformation en ligne, à la position monopolistique des géants numériques, et à l’opacité des algorithmes. Avec évidemment le RGPD, puis le Digital Services Act et le Digital Markets Act (dont on vous parle plus en détail ici). Il semblerait donc que l’heure de la régulation du cyberespace soit bel est bien arrivée mais celle-ci marquera-t-elle la fin du Far West numérique ?

Une nouvelle culture de la responsabilité

C’est le président Obama, qui, le premier, s’est ému du « Far West» que constituait l’espace numérique des années 2010. Si l’on voulait décrire ce fameux « Wild Wild Web», ou Far West numérique, on pourrait commencer par le célèbre mantra de Facebook « Move Fast and Break Things », qui à lui seul résume dix années de croissance chaotique et de laisser-faire de l’industrie technologique. Dix années d’une stratégie qui consistait à tirer d’abord, à viser ensuite, et à s’excuser platement lorsque les choses tournaient mal. Mais cette monoculture qui a jadis célébré son irrévérence semble aujourd’hui toucher à sa fin pour laisser place à une nouvelle ère, plus responsable et moins naïve que celle qui l’a précédée.

« Quand nous avons lancé Reddit il y a 15 ans, nous n’interdisions rien » a récemment avoué Steve Huffman. Aujourd’hui, le PDG de Reddit reconnaît que la culture « no limit » de sa plateforme a pu donner une caisse de résonance démesurée aux extrêmes. Et il n’est pas le seul à adopter cette position plus mature vis-à-vis des communautés en ligne, et à reconnaître que l’inaction d’une plateforme peut être utilisée comme une arme. Les législateurs, les militants, mais aussi les travailleurs du secteur en ont aussi pris conscience, et unissent leurs forces pour imposer des réformes indispensables. Les utilisateurs sont également plus avertis, et la génération ayant grandi dans le « Far West numérique » réclame de nouvelles règles et des arbitres plus attentifs.

Plus personne ne peut prétendre de manière crédible que les plateformes ne sont que de simples « outils ». Et si l’anarchie des années 2010 avait évidemment quelque chose de romantique, nous sommes aujourd’hui prêts à vivre dans un internet plus responsable. Nous avons tous, en ce début d’année, une meilleure idée de ce que nous pourrions et devrions exiger du monde numérique. Car ce que les récents évènements ont bel et bien prouvé, c’est que le cyberespace n’est pas un espace distinct et séparé du monde physique. Comme le résume si bien le New York Times « Il est grand temps que le monde sur nos écrans soit géré de manière aussi réfléchie et responsable que nos routes, nos écoles et nos hôpitaux». Et le chantier ne fait que commencer !

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