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Quelle reprise voulons-nous ?

15.10.2020

Profitant à plein gaz de l’allié objectif qu’est le coronavirus, les tenants de l’industrie numérique n’ont jamais affiché une forme aussi insolente. De quoi reconfigurer durablement nos modes de vie et nos économies ?

Cela ne vous a certainement pas échappé : avec le récent confinement, conséquence directe de la Covid-19, le temps que nous passons devant nos écrans a explosé, reléguant le sevrage numérique (même partiel), à plus tard. C’est même le New York Times qui l’affirme sans détour : « Le coronavirus a mis fin au débat sur le “temps d’écran”. Les écrans ont gagné ». Et si certains continuent de s’en inquiéter, d’autres en revanche ne cachent pas leur joie : les géants numériques qui, malgré la crise économique mondiale, voient leurs valorisations grimper en flèche et semblent (contrairement à nous) immunisés contre le virus.

Green new deal versus Screen new deal

Dans un monde promis à être de plus en plus soumis à ce type de crise, nul doute que nos modes de vies seront amenés à se déployer plus que jamais en ligne. C’est en tout cas la théorie de l’essayiste canadienne Naomi Klein et ce qu’elle résume sous le terme un peu tapageur de « Screen New Deal », à savoir l’avènement d’une société totalement intermédiée par la technologie (travail, loisirs, interactions amicales, familiales ou amoureuses). Et si Naomi Klein ne semble pas se réjouir de cette reconfiguration, d’autres comme Eric Schmidt, applaudissent des deux mains : l’ancien PDG de Google estime ainsi que ces derniers mois ont permis à l’humanité de faire « un bond de dix ans » dans la numérisation du monde. Champagne ?

Finis donc les scandales liés à la protection des données, oubliées les fake news, au placard la fâcheuse tendance de ces entreprises à pratiquer l’évasion fiscale… Les géants du numérique ont renfilé sans trop tarder leurs habits de sauveurs du monde. Car en plus de voir leur nombre d’utilisateurs (et les heures passées sur leurs services) exploser, la crise leur permet de s’immiscer dans de nombreux secteurs jadis gérés par des institutions publiques (l’éducation et la santé, principalement). Il semblerait donc que la reprise économique et sociale vers laquelle nous nous dirigeons suive la route d’une hyperconnexion toujours plus intense, reléguant les promesses du Green New Deal au second plan. Et à la philosophe Anne Alombert de conclure : « Screen new deal et économie des données semblent ainsi court-circuiter Green New Deal et économie décarbonée ». Pour le meilleur, et pour le pire ?

Reprise en U, V, W…

Car ce qui se joue derrière cet avènement du « Screen New Deal », ou pacte des écrans, c’est la forme que prendra la reprise économique au cours des prochains trimestres. Et c’est la question qui taraude tous les économistes et analystes de marché depuis le début de la pandémie et la mise à l’arrêt brutale de l’économie. Les diagnostics pullulent sur la suite des évènements, au point que la question s’est invitée lors du débat entre Donald Trump et Joe Biden. Certains, comme Donald Trump pensent que nous assisterons dans les prochains mois à une « reprise en V », c’est-à-dire à un effondrement de l’économie (la barre descendante du V) puis à un rebond économique tout aussi fulgurant (la barre ascendante du V), du fait d’un effet de rattrapage et de mesures bien calibrées. La reprise en U, elle, désigne la chute brutale de l’économie, suivie d’une période de stagnation et d’incertitude, avant l’arrivée d’un rebond structurel. Dernière venue dans cet éventail alphabétique : la reprise en W, qui renvoie à une succession de chute, rebond, rechute avant un vrai rebond structurel de l’économie. Et si l’exercice consistant à réduire un mécanisme aussi complexe que l’économie à une lettre de l’alphabet peut sembler vain – après tout, si nous disposons de 26 lettres, c’est bel et bien pour former des mots afin d’exprimer des pensées complexes – il est pourtant instructif et didactique lorsqu’il s’agit de saisir les prochains mouvements économiques et sociaux à venir.

Ou reprise en K ?

Face au « jamais vu » que représente la crise de la Covid-19, les banques d’affaires ont dû faire appel à une nouvelle métaphore alphabétique : la reprise en K, ou, en version originale, « K-shaped recovery ». Dans ce scénario, la barre verticale du K représente l’arrêt de l’économie, décidé volontairement pour se protéger du virus. Puis une reprise, hétérogène, où deux branches se dessinent, avec les gagnants d’un côté, et les perdants de l’autre. La branche descendante symbolise tous ceux pour qui la chute n’est plus conjoncturelle mais définitive : les secteurs de l’aérien, du tourisme, de la restauration, du textile. Et celle du haut renvoie aux grands gagnants de la pandémie : Apple, Amazon, Alphabet, Microsoft, Netflix, Slack, Zoom, Tesla pour ne citer qu’eux, aux côtés des entreprises de biotechnologie et produits pharmaceutiques.

Un chiffre illustre cette scission à merveille : on estime que si Jeff Bezos signait un chèque de 105 000$ à chacun de ses 876 000 salariés, il serait aussi riche qu’avant la pandémie. Voilà pour les gagnants. Et cette fraction de l’économie entre tenants de l’industrie numérique et les autres se propage mondialement : aux États-Unis, en Europe, mais aussi en Chine, où les analystes s’en inquiètent. À l’heure d’une reconfiguration darwinienne de l’économie, entretenue par un bouleversement de nos modes de vie et de travail, une question reste donc en suspens : comment éviter un scénario en forme de K ? Quelle reprise voulons-nous ?

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