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Risque et sécurité
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StopCovid : un futur tout tracé

22.05.2020

Le gouvernement lance son application de traçage volontaire le 2 juin prochain. Beaucoup s’inquiètent de la potentielle surveillance de masse qu’elle pourrait engendrer.

Les amateurs de science-fiction en conviendront : malgré un demi-siècle d’anticipations, les scénarios ne se produisent que très rarement dans la réalité. Les voitures volantes, la téléportation, l’invasion extraterrestre ou encore les robots tueurs ne sont encore que de jolis effets spéciaux pour grand écran. Cela dit, quand il s’agit de surveillance, les prédictions littéraires ou cinématographiques appellent à d’autres considérations. Ce serait même parfois troublants. Comme cette scène filmée à Singapour1 au début du mois où un robot à quatre pattes rappelle traits pour traits l’allure terrifiante des envahisseurs de la série La Guerre des mondes, diffusée fin 2019 sur Canal +.

Surveiller et s’unir

Sur le terrain de la surveillance, la science-fiction n’aiderait alors plus à anticiper les choses, elle permettrait simplement de les constater. Bien heureusement, le robot précité n’est pas une menace pour le genre humain : dans les parcs et les rues de la cité-État, il diffuse un message enjoignant les habitants à respecter la distanciation physique face à la pandémie mondiale de Covid-19. Il n’empêche, le dispositif singapourien peut effrayer, tant le pays semble cheminer vers une escalade au traçage de ses citoyens. Le gouvernement avait pourtant proposé dans un premier temps2 une application volontaire baptisée Trace Together, permettant de détecter les porteurs du virus mais surtout d’avertir celles et ceux qui les auraient croisés. L’outil se fonde sur la technologie Bluetooth qui permet de savoir si deux individus sont restés à proximité l’un de l’autre pendant plus de 15 minutes. Singapour espérait que 60% de sa population l’utilise, seulement 20% l’ont fait. En réaction, la cité-État a décidé de changer de braquet. Elle oblige désormais ses habitants à scanner un QR code avant d’entrer dans un bâtiment public. Plus d’anonymat : le nom et le n° de téléphone sont collectés.

À des milliers de kilomètres de la logique singapourienne, la solution numérique proposée par le gouvernement français possède néanmoins bien des ressemblances. Son application StopCovid, dont la sortie est prévue le 2 juin prochain, repose également sur le consentement de ses utilisateurs à partager leurs données. Même principe qu’à Singapour : pour qu’elle fonctionne, il faudrait que les ⅔ de la population française s’en empare. Or, selon un sondage de l’observatoire Data Publica3, seulement 49 % des Français se disent prêts à l’installer sur leur smartphone. Un élément sous-jacent intéressant : 54 % des répondants déclarent ne pas avoir confiance dans la manière dont les données seront utilisées. Rien ne serait plus risqué que d’affirmer que l’État va se livrer à une surveillance de masse de ses citoyens. Mais une chose est sûre : que va-t-il advenir du produit que le gouvernement s’échine à lancer si personne ne l’utilise ?

L’effet cliquet

Depuis quelques semaines, les principaux représentants de l’État multiplient leurs prises de paroles sur StopCovid. Le ministre de la Santé, Olivier Véran, rappelle que l’application constitue un point-clé de la stratégie du gouvernement : l’identification rapide de toute personne ayant été proche d’un malade pour ensuite la tester et, le cas échéant, l’isoler. Cette stratégie repose sur un dispositif - le suivi des « cas contacts » (ou contact tracing en anglais) - qui s’appuie lui-même sur des bases de données spécifiques. Premièrement, les fichiers Sidep (pour « Service intégré de dépistage et de prévention ») est une base de données nominative qui contiendra l’intégralité des tests PCR, réalisés depuis le 11 mai dernier. Cette base de données sera remplie par les laboratoires et par tout organisme habilité à réaliser un test au Covid-19. Deuxièmement, Contact Covid, un fichier alimenté par les médecins avec les informations qu’ils auront récoltés auprès de leurs patients.

C’est la loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire qui encadre le dispositif StopCovid. Le texte prévoit que les données seront conservées pendant trois mois mais aussi que la création des fichiers soit subordonnée à un avis conforme de la CNIL. La loi prévoit aussi que toute personne qui compromettrait la confidentialité des données collectées est passible d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende. Toutefois, malgré ces quelques garde-fous, beaucoup estiment que StopCovid constituent une violation du secret médical via lequel une profusion de données de santé confidentielles pourrait tomber dans de mauvaises mains. Et notamment celles de Microsoft. Car au nom de l’état d’urgence sanitaire et selon Médiapart4, le gouvernement a autorisé par arrêté le 21 avril dernier un seul guichet unique à récolter toutes les données de santé précitées. Nom de code : le Health Data Club qui faisait déjà l’objet de réticence de la part du personnel soignant en décembre 20195, et dont les serveurs sont hébergés par Microsoft. Ce qui est en jeu ? Un marchandage des données que pourraient recueillir des organismes d’assurance ou de crédits qui monteraient leur prix en fonction des données de santé qu’elles auront récoltées. C’est en tout cas l’avis du médecin marseillais, Karim Khelfaoui6 dont le message a largement été relayé sur la Toile.

Bien malin qui saura prédire les scénarios d’anticipation de demain. Quoi qu’il en soit, pour certains, l’escalade d’une potentielle surveillance de masse peut se lire à l’aune de certains dispositifs testés concrètement par endroit : à Châtelet-Les-Halles par exemple où la RATP vient de lancer une expérimentation de trois mois pour détecter le port du masque dans le métro, ou dans la ville de Nice, qui a envoyé des drones faire respecter la distanciation physique. Mais dans ce virage où la surveillance se double d’un impératif sécuritaire, la liberté des citoyens à disposer de leurs informations personnelles pourrait se retrouver menacée. « Le vrai risque, c’est l’effet cliquet, commente Olivier Tesquet dans une interview à Ouest France7. Une accoutumance à la surveillance dont on ne revient jamais ». Et l’auteur de À la trace. Enquête sur les nouveaux territoires de la surveillance de poursuivre : « Mais il ne faut pas oublier que nous participons activement à la pérennisation de tous ces dispositifs (…). Nous avons donc besoin de mobiliser des imaginaires pour les transformer en outils effectifs de délibération, de lutte et de résistance face aux orientations de la société ». Et là, peut-être, notre futur connecté ressemblera un peu moins aux images inquiétantes des films de science-fiction.


1 Robot reminds visitors of safe distancing measures in Bishan-Ang Mo Kio Park
publié le 8 mai 2020 sur le site du Straits Times Singapourien.

2 A Singapour, le traçage par app dégénère en surveillance de masse publié le 6 mai 2020 par Anouch Seydtaghia sur le site du Temps.

3 SONDAGE - StopCovid : une majorité de Français inquiets de l’utilisation de leurs données par l’application
publié le 14 mai 2020 par Florian Cazzola sur le site de France Bleu.

4 La Cnil s’inquiète d’un possible transfert de nos données de santé aux Etats-Unis publié le 8 mai 2020 par Jérôme Hourdeaux sur le site de Mediapart.

5 « L’exploitation de données de santé sur une plate-forme de Microsoft expose à des risques multiples »
publié le 10 décembre 2019 sur le site du Monde.

6 Karim Khelfaoui, médecin : “Je suis médecin, pas flic. On me demande de violer le secret médical” publié le 6 mai 2020 par Putsch Media.

7 Géolocalisation, partage de nos données… Tous surveillés pour contrer le coronavirus ? publié le 2 avril 2020 par Ambre Lefèvre sur le site d’Ouest France.

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