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Traces numériques : risques & opportunités (2/2)

06.12.2017

Après un premier épisode consacré aux sources des pratiques actuelles des utilisateurs en matière de traces numériques, il convient d’étudier la manière dont sont perçus les risques et opportunités qui leur sont associés.

Suite du premier épisode consacré à l’analyse du contexte structurant la perception des traces numériques par les utilisateurs

Face à l’arrivée du droit à l’oubli, la Mission de recherche Droit et Justice1 a lancé un appel à projets. Notre équipe composée de juristes, d’informaticiens et du sociologue que je suis, a remporté cet appel, et les résultats de nos recherches sont publics2.

L’objectif était, pour ma part, d’observer les comportements des utilisateurs en matière de données personnelles en les confrontant à leurs comportements réels. 33 entretiens ont été réalisés auprès de Franciliens de 15 à 60 ans en équipartition homme/femme, enregistrés et retranscrits afin de comprendre leurs attitudes et comportements sur les réseaux professionnels, personnels, commerciaux, etc.

Une méconnaissance des enjeux et de la nature des données

Le droit à l’oubli est méconnu, au mieux il évoque la possibilité d’évoluer, de changer (de partenaire amoureux voire de coupe de cheveux !). La grande peur du numérique réside dans l’usurpation d’identité et le piratage de carte bancaire. La valeur des données et leur possible monétisation semble même incongrue. Peu comprennent que si une information atomisée a peu de valeur, elle en acquiert dès lors qu’elle est agrégée et mise en regard d’autres. Il règne une grande fatalité face à cet univers trop technique qui exigerait une compétence et un investissement cognitif trop important. On prend alors le risque, en espérant que la foudre tombera loin, quelque part parmi la foule d’utilisateurs. Les systèmes de notation réciproques mis en place par les plateformes sont appréciés mais pas assez généralisés.

Pour ce qui est de l’e-reputation, chacun a bien compris le risque de déposer des photos de soi dans un contexte festif peu valorisant. « Même Obama est venu en parler dans les écoles ! ». Mais la plupart ignorent que les traces que l’on laisse sur le web viennent de trois sources : ce que l’on dépose soi, ce que les autres (amis…) font circuler, mais aussi ce que le dispositif calcule et publie. Ainsi, l’heure de dernière connexion et le moment de publication des posts sont publics, suggérant une emphase sur le temps court. Or, la fréquence d’activité et d’interactions pose un problème peu perçu.

Une construction identitaire par les générations Y et Z

Ces constats m’ont conduit à mener une enquête dédiée aux jeunes générations Y et Z. Les traces participent à la construction identitaire. Il est alors important d’être visible, de se construire un lectorat. Le blogueur ou le YouTubeur constituent les nouveaux modèles qui font aspirer à la notoriété. De par les traces laissées via des likes, des partages et des commentaires, le jeune utilisateur affiche les marques qu’il aime. À une génération « No logo » qui se définissait par ses goûts artistiques succède une génération caractérisée par ses marques, comme autant de signaux envoyés aux pairs qui sauront les reconnaître, selon une échelle de valeur précise et connue. Par exemple, l’ouverture d’un magasin sur les Champs Elysées a fait perdre à Abercrombie l’aura du prestige associée à un produit qu’on ne pouvait se procurer qu’à l’étranger. Cette appétence pour la mise en scène de la culture marchande est alors exploitée par les nouveaux outils et services numériques, à l’instar des formats Snap Stories ou Instagram qui facilitent la narration de sa journée et mettent à disposition des filtres dédiés.

On comprend que priver les jeunes des moyens de construire leur présence en ligne, c’est vouloir « leur mort » numérique. Ils ne sont pas nécessairement demandeurs de la régulation qu’ils perçoivent moins comme une protection que comme un frein à leur médiatisation.

La frontière entre l’usage normal et addictif est ténue. Comment rester connectés à ses sens, sachant apprécier un bon repas partagé entre amis en terrasse et ressentir une sensation de soleil sur la peau, sans être dedans-dehors, en train de documenter sa vie… en attendant que ces mêmes amis confirment par leurs likes et commentaires que ce qu’on vit est bien formidable !


1 Groupement d’intérêt public (GIP) créé à l’initiative conjointe du ministère de la Justice et du CNRS.

2 http://www.gip-recherche-justice.fr/publication/le-droit-loubli-2/

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