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Parentalité numérique
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Adolescents & internet : des pratiques non hégémoniques

04.05.2017

Dans son ouvrage Grandir connectés. Les adolescents et la recherche d’information, Anne Cordier nous éclaire sur la place occupée par internet dans la construction des imaginaires des adolescents et le développement de leurs pratiques d’information.

« Prendre soin, de la jeunesse et des générations »1, c’est exactement ce que fait Anne Cordier ici. Elle s’appuie sur des observations de terrain, des rencontres et des échanges avec des adolescents âgés de 11 à 17 ans. Son enquête repose sur un travail de récolte de données commencé en 2009 et poursuivi en 2015 dans des collèges et lycées français. Elle y observe au quotidien leur rapport au numérique, aux médias sociaux et à l’information. Ses recherches qualitatives lui permettent de développer une meilleure connaissance des imaginaires et des pratiques développés par les adolescents ; et d’entrer dans « l’environnement informationnel, personnel et social de ces adolescents. »2 Cet ouvrage s’appuie aussi sur de multiples recherches scientifiques françaises et internationales.

« C’est cool de s’intéresser vraiment à nous ! »

Cette remarque de Mathys (11ans) amorce parfaitement les propos de ces adolescents. Ainsi, Armelle, Florian, Claire, Giovanny, Marie, Olivier et tant d’autres répondent aux questions de la chercheure (son fameux « pourquoi ? »), racontent et expliquent avec plaisir comment ils effectuent des recherches formelles ou non sur internet. A. Cordier s’intéresse au « rapport que les adolescents entretiennent avec internet, en évaluant l’influence de l’imaginaire sur leurs pratiques informationnelles et communicationnelles et les tensions entre leurs pratiques formelles, prescrites dans le cadre scolaire et les pratiques non formelles hors-cadre scolaire dans les situations du quotidien. »3 Ces résultats inattendus vont à l’encontre des discours médiatiques et marketing et des thèses de M. Prensky et M. Serres concernant les jeunes. Selon elle, « ces discours ne traitent pas en réalité d’internet mais des potentialités de changement sociétal que renfermerait le numérique. »4 Elle préconise comme P. Breton (2000) d’adopter un discours laïque des Technologies d’Information et de Communication (TIC) ; et de s’éloigner de ces préjugés pour comprendre et surtout mieux connaître les adolescents pour (enfin) les considérer « comme des êtres sociaux aux prises avec les conflits de la réalité qu’ils veulent comprendre, expliquer. »5

« Quand je parle, on dirait un vieux qui découvre un ordinateur ! »

Cette phrase de Geoffrey (17 ans) reflète et exprime parfaitement les propos de certains adolescents, qui se déclarent eux-mêmes non-experts et ont conscience des limites de leur pouvoir d’action. Ils ont le sentiment de na pas maîtriser suffisamment l’outil pour s’affirmer dans cette société dite numérique. Cette étude a le mérite de mettre en lumière des différences non négligeables de niveaux et de représentations des adolescents à propos d’internet. Certains d’entre eux développent de véritables compétences et connaissances informationnelles sur le web, en dehors des apprentissages formalisés à et par l’école. Ici, chacun exprime sa spécificité au sein d’un contexte d’usage et d’une histoire particuliers. Leur savoir-faire est évident, mais il « floute » certaines difficultés à construire une image mentale de l’information numérique. Ces jeunes soulignent aussi le recours au support papier ou plus exactement l’importance de son caractère structuré pour réaliser leurs recherches d’information. Leur sentiment d’expertise personnelle influe sur leur estime de soi, leurs engagements et actions. Le milieu amical exerce aussi une pression forte en matière de numérique, c’est un moteur puissant, mais ce n’est pas une source efficace d’apprentissage qui permet la confrontation et la vérification de ces savoir-faire. A. Cordier montre ici que les pratiques informationnelles et communicationnelles des adolescents sont évolutives, profondément dépendantes d’un contexte à la fois social, culturel et académique.

« Le temps [pour] voir ce qui [l’] intéresse, le temps [pour] chercher à comprendre, le temps de prendre le temps »

Les propos de Julien (17 ans) résument parfaitement l’imaginaire et les pratiques d’information des adolescents. A. Cordier analyse ici « la place occupée par internet dans l’environnement informationnel et social (…) et les imaginaires des adolescents » Elle souligne notamment la dimension participative (mise en ligne de commentaires) et collégiale (espace de discussions pour le groupe) du rapport des adolescents au numérique. Il existe bien une disparité entre les milieux sociaux et l’existence non négligeable d’adolescents qui ne disposent pas d’une connexion internet à domicile favorisant une multiplicité des usages et des pratiques plus personnalisées. Le contrôle parental6 relève aussi d’un critère social, plus fréquent en zone urbaine favorisée. En général, ces jeunes (différence notable entre collégiens et lycéens) contestent peu ces règles puisqu’elles les rassurent. Néanmoins, ils remarquent que les parents ont souvent un discours alarmiste et dissuasif à l’égard de leur navigation sur internet, et ne semblent pas en mesure d’expliquer la fiabilité de l’information sur internet. Ici, l’outil numérique apparaît comme un facteur de négociations et surtout de liens (discussions, échanges et explications entre les membres de la famille). Les paroles et pratiques des adolescents mettent en avant un processus de familiarisation, d’autonomisation et d’appropriation vis-à-vis du numérique. Ainsi, la localisation (chambre ou salon) de l’outil numérique, des facteurs humains (formation par les pairs, l’institution scolaire ou le réseau familial - mères, pères, fratrie -), socioculturels et affectifs jouent un rôle clé dans leur appropriation et développement de leurs pratiques informationnelles personnelles. Ces adolescents mentionnent « l’importance d’être soutenus, non jugés et accompagnés7 » et expriment « la défaillance d’un système éducatif qui ne permet pas la transférabilité des pratiques d’une sphère à l’autre8 ». Cette étude met aussi en lumière la présence d’une véritable question sociale autour de leurs pratiques informationnelles sur internet.

« On a besoin de vous ! » (Morgan, 17 ans)

Ces adolescents ont bien des savoir-faire et des compétences liés au numérique mais ils ont aussi des doutes, des réticences, des inquiétudes et des comportements de fuite. Ce livre fait écho à celui de d. boyd qui considère la complexité des dynamiques interpersonnelles des adolescents lors de leurs pratiques numériques. Les adolescents soulignent le plaisir qu’ils ont à être accompagnés par un tiers. Les médiateurs (enseignants, professeurs documentalistes, éducateurs, parents) ont bien leur place dans ce processus. Proposer aux jeunes des tablettes, des cartables numériques, des ENT (espace numérique de travail), TBI (tableau blanc interactif) ne suffit pas à l’école. Il leur faut des « mentors » pour guider, éduquer, former, informer, favoriser des échanges, identifier, nommer, repérer, classer, repérer les différents types de documents, aider, « faire du lien », démystifier, favoriser un regard critique, apprendre à questionner le réseau et ses principaux acteurs9 et écouter avec bienveillance leurs requêtes. Il faut faire des ponts entre les adultes et les adolescents tout en ayant connaissance de leur pratique ordinaire de l’information numérique, afin de mettre à distance les outils numériques et la mystification dont ils font l’objet, et de favoriser un enrichissement mutuel entre les générations.

A. Cordier insiste aussi sur ce point : il faut considérer avec empathie et bienveillance les pratiques informationnelles formelles ou non formelles des adolescents. Ainsi, cette chercheure contribue à faire avancer la connaissance sur les relations que les adolescents entretiennent avec le numérique, les médias sociaux et l’information. L’observation de ces pratiques inscrites dans un contexte social, économique, relationnel, spatial et identitaire qui est le leur, permet d’entrevoir cette préconisation : la nécessité de mettre en place un système de relations formel ou/et non-formel entre adolescents et adultes dans lequel les notions d’échange et de partage de l’expérience vécue seront au cœur des pratiques et de l’imaginaire10.


1 Bernard Stiegler, Prendre soin, de la jeunesse et des générations, Flammarion (2008)

2 Grandir connectés. Les adolescents et la recherche d’information, C&F éditions, Caen, 2015, p. 143

3 Ibid., p. 12

4 Ibid., p. 15

5 Ibid., p. 8

6 Cordier remarque que ce contrôle parental est « genré »: ce sont les filles qui témoignent d’un usage régulé en fonction des tâches domestiques pour la collectivité familiale.

7 Grandir connectés. Les adolescents et la recherche d’information, C&F éditions, Caen, 2015, p. 190

8 Ibid., p. 191

9 Engagement citoyen sur internet, Hervé Le Crosnier

10 Cordier souligne les biais de sa recherche : trop d’empathie, fréquente distorsion entre ce les acteurs observés font, savent, et ce qu’ils disent et savoir (p. 266) et enquête qualitative ne permet pas de généraliser ce travail.

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