Bright Mirror : écrire ensemble un futur technologique et radieux
Prenant le contre-pied de la série technophobe Black Mirror, le projet d’écriture participative Bright Mirror propose d’imaginer notre quotidien en 2050 sous forme de nouvelles. Reportage lors de l’atelier du 24 juillet à Paris.
Des étudiants, des têtes aux cheveux gris, des tailleurs et des jeans-baskets : c’est une assemblée hétéroclite qui s’installe dans le calme autour des tables du Liberté Living Lab ce mardi 24 juillet. La majorité des participants vient pour la première fois, mais quelques uns s’échangent des sourires et des saluts chaleureux : ce sont des habitués des ateliers Bright Mirror, lancés en février dernier à l’initiative du cabinet de conseil en innovation et en intelligence collective Bluenove. Leur vocation ? Produire des récits positifs sur l’essor technologique, loin des représentations alarmistes véhiculées par les séries à succès comme Black Mirror. Ces initiés ont déjà planché ensemble dans différents lieux parisiens pour rédiger des nouvelles de science-fiction sur l’intelligence artificielle, le dialogue homme-machine ou encore la ville de demain. Ce soir, les 80 participants imagineront l’éducation en 2050, et transformeront leur vision en mots en une heure. Les professionnels de l’écriture – auteurs, journalistes, blogueurs – côtoient des cadres, des enseignants, des indépendants, des chercheurs ou encore des documentalistes : l’événement est ouvert à tous les curieux de technologie, sans conditions ni prérequis.
Des conseils et des pistes de réflexion en guise d’introduction
Duos ou trios, les groupes de réflexion se forment spontanément autour d’un ordinateur portable, d’un verre de vin et de quelques cacahuètes ou bonbons. On sympathise avec ses acolytes en attendant l’ouverture de la séance, avec beaucoup de modestie et un peu de fébrilité. Antoine Brachet, le directeur Intelligence collective de Bluenove, met d’emblée tout le monde à l’aise : « Nous avons toujours été impressionnés par la qualité des nouvelles de science-fiction produites à chaque édition de Bright Mirror. A la fin de cette soirée, vous serez tous des auteurs. Deux experts sont là pour vous aider à nourrir vos scénarios et dédramatiser l’acte d’écriture. » Catherine Dufour, auteur de science-fiction et membre du collectif Zanzibar, initie les participants à l’art de l’écriture. « Il y a trois règles pour écrire une bonne histoire… mais personne ne les connaît, disait William Somerset Maugham. Je vous recommande toutefois de ne traiter qu’une ou deux idées dans votre texte. Ne vous focalisez pas sur la chute : l’important, c’est le voyage. Vous n’aurez pas le temps de faire des recherches sur les technologies, donc ne vous souciez pas de la question technique. N’ayez pas peur de votre style : comme disait Borgès, ‘j’écris pour moi et quelques amis ; arrêtez de vous inquiéter de ce qu’en dirait Nabokov !’ Ecoutez ces conseils… et n’hésitez pas à faire le contraire ! Votre seule obligation est d’évacuer les catastrophes de votre scénario pour produire une utopie, c’est-à-dire une vision optimiste et positive. » L’audience prend scrupuleusement des notes.
On lève le nez des cahiers et des écrans quand François Taddéi prend le micro pour introduire les perspectives d’avenir du thème du jour, l’éducation. Le directeur du Centre de Recherches Interdisciplinaires (CRI, qui fait référence en matière d’innovation dans l’éducation) sème les idées à la volée : « Comment organiserait-on le rythme scolaire sur une planète qui aurait quatre soleils ? Si des algorithmes sont aujourd’hui capables de passer des concours de grandes écoles avec succès, est-ce que les professeurs de 2050 seront des robots ? Nous pouvons aussi nous demander ce que serait une planète apprenante : le partage de connaissance y est-il individuel ou collectif ? Et pourquoi ne pas se former tout au long de sa vie ? Est-ce qu’un enfant de 4 ans peut trouver par lui-même une nouvelle solution aux défis de la planète, ou doit-il assimiler la vision du monde des adultes ? » Dans l’auditoire concentré, on acquiesce du menton, on se gratte la tête ou on fronce les sourcils. Puis chacun se tourne vers ses partenaires d’écriture pour débattre de ces propositions et ses les approprier.
Une heure pour imaginer et rédiger une nouvelle de science-fiction
La phase de création vient de débuter, ainsi que la course contre la montre : les équipes disposent d’un quart d’heure pour échanger leurs idées respectives et s’accorder sur un scénario. Je me prête à l’exercice avec Virginie et Emmanuelle, qui prennent part pour la première fois à l’atelier. Prénoms des personnages, lieux, actions, mise en scène des technologies : les idées fusent, rebondissent, s’opposent parfois, fusionnent souvent, et s’enchaînent toujours. Chaque groupe se concentre avec enthousiasme sur son objectif, sans même entendre le débat créatif au sein de l’équipe voisine, installée à la même table. Il règne dans la salle un brouhaha qui s’interrompt difficilement le temps d’une précision d’un expert, avant de repartir de plus belle. Les ressorts du récit ne sont pas tous définis qu’il est déjà temps de commencer à rédiger. Le point final doit être mis dans 45 minutes. L’émulation collective redouble d’intensité. A l’heure dite, on entre dans la dernière ligne droite : la relecture. Dix minutes plus tard, la phase créative est terminée : on lève les mains des claviers, à l’instar des cuisiniers qui s’écartent de leur plan de travail dans un célèbre concours télévisé. Les regards sont fiers : l’objectif a été atteint ! Chaque groupe a réussi à finaliser un texte qu’il publie sur la plateforme en ligne dédiée, consultable par tous les internautes.
Surprises et obsessions collectives
Les visages sont détendus, souriants et le silence revient dans la salle pour écouter la lecture des nouvelles tout juste terminées. L’un des récits propose d’apprendre instantanément en téléchargeant des masses de connaissances grâce à un implant neuronal. Un autre met en scène un enfant qui va à l’école pour la première fois… en tant que professeur d’une intelligence artificielle qui s’initiera aux subtilités de la pensée humaine en l’observant. Un troisième présente un grand-père qui se forme grâce aux savoirs des amis de son petit-fils. 17 histoires originales sont ainsi partagées, et commentées par Catherine Dufour. Ici, elle salue « une vision poétique et positive sans nier les défis actuels pour la planète », là elle souligne la beauté d’une tournure ou l’audace scénaristique. « L’ensemble de ces nouvelles font ressortir des fantasmes et des obsessions partagés : l’envie d’apprendre sans effort, le besoin de se reconnecter à la nature voire de communiquer avec les animaux et les plantes, mais aussi le rôle de la Chine dans notre avenir technologique », analyse l’auteure de science-fiction.
Repousser les frontières
Les participants sont enchantés. Virginie se dit « bluffée » : « La promesse est parfaitement tenue : nous avons réussi à écrire une nouvelle avec des inconnus, sans préparation préalable, de façon très simple et en peu de temps. Ce n’est pas un exercice, mais un jeu où l’on gagne chaque fois, et où l’on retrouve un plaisir d’enfant : l’imaginaire. » Emmanuelle partage cet enthousiasme : « En arrivant, on ne sait pas si on est capable d’imaginer et d’écrire. La bienveillance qui règne lors de l’événement permet d’oser, de dépasser la peur d’être jugé. Cet atelier permet de mieux se connaître et ouvre de nouveaux horizons du soi. » Habitué de ce rendez-vous, Franck Jaén, éditeur chez Ankora Editions et rédacteur, ne s’en lasse pas : « l’atelier est mené avec une méthodologie qui n’est pas perceptible d’abord, et qui est d’une grande efficacité. Il y a un côté magique à générer rapidement une vraie production, volumineuse et qualitative. L’esprit de compétition et les rivalités n’ont pas leur place. La contrainte de temps lève le verrou de la timidité, si bien qu’on se lâche ! Et on s’aperçoit lors des lectures que les imperfections des textes les rendent d’autant plus beaux ».
La soirée s’achève une heure plus tard que prévu, mais qu’importe. Chacun repart avec de belles images à l’esprit et la satisfaction de la prouesse accomplie. La prochaine édition de Bright Mirror est déjà annoncée pour la mi-septembre. Pour la première fois, l’atelier d’écriture sera mené simultanément à Paris et à Nantes, voire dans plusieurs autres villes. De quoi donner une nouvelle dimension à cet élan de créativité collective, que certains rêvent déjà d’adapter en série télévisée.
En savoir plus :
Lire les nouvelles écrites par les participants aux ateliers d’écriture Bright Mirror
Être tenu informé(e) des prochains rendez-vous : écrire à brightmirror@bluenove.com
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