Comment mettre fin à l’illectronisme ?
17 % des Français sont frappés par l’illectronisme, et se retrouvent quotidiennement en difficulté dans une société de plus en plus digitalisée. De nombreux acteurs s’engagent pour réduire la fracture numérique, véritable urgence sociale.
Le confinement a exacerbé l’importance du numérique dans nos vies. Et cette période a également montré à quel point les personnes qui avaient des difficultés d’accès au numérique étaient pénalisées. Le télétravail pourrait perdurer et se généraliser, défavorisant ainsi les personnes ayant le moins accès à Internet. Le gouvernement avait annoncé, avant la crise sanitaire, un objectif de 100 % de dématérialisation pour les démarches administratives d’ici 2022. Si on ne sait pas si cet objectif sera atteint, il démontre qu’il est important d’accélérer la lutte contre l’illectronisme et l’exclusion numérique en multipliant les initiatives.
L’illectronisme, aussi appelé illettrisme numérique, désigne le fait de ne pas être capable de se servir d’Internet et des outils numériques. Selon une enquête de l’Insee1, l’illectronisme touche 17 % de la population française. “Une personne sur quatre ne sait pas s’informer et une sur cinq est incapable de communiquer via Internet”, précise l’Insee dans son étude. L’institut ajoute qu’en 2019, “parmi les usagers d’Internet, 33 % n’ont ainsi pas été en mesure de se renseigner sur des produits et services et 49 % de rechercher des informations administratives”.
Un risque de rupture d’égalité face au service public
Ces difficultés à s’informer via Internet est particulièrement handicapante sur la partie administrative. C’est ce qu’avait souligné le défenseur des droits dans son rapport2 “dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics” publié en janvier 2019. Les difficultés à accéder à internet, que ce soit pour des raisons techniques ou de maîtrise des usages, crée “des inégalités face aux possibilités d’usage des services publics en ligne, et, dans les cas où le seul moyen d’accès aux services est internet, une rupture d’égalité devant le service public”.
Dans les 17 % de personnes touchées par l’illectronisme, on dénombre une très grande majorité de personnes n’ayant tout simplement pas d’accès à Internet. “En 2019, 12 % des individus de 15 ans ou plus résidant en France hors Mayotte ne disposent d’aucun accès à Internet depuis leur domicile, quel que soit le type d’appareil (ordinateur, tablette, téléphone portable) et de connexion”, nous apprend l’Insee. Si ce taux a baissé de 21 points en dix ans, il reste considérable au regard de l’importance prise par le numérique dans nos quotidiens.
Cette difficulté touche davantage les personnes âgées, 53 % des 75 ans ou plus n’ayant pas accès à internet. Au total, ce sont 67,2 % des plus de 75 ans qui sont considérés comme en situation d’illectronisme en France. Le taux d’illectronisme descend à 26,7 % chez les 60-74 ans et tombe à 3,2 % et 3% pour les 30-44 ans et les 15-29 ans. La difficulté d’accéder à une connexion internet touche également plus fortement les personnes non diplômées, à 34 %, que les autres catégories.
La lutte contre l’illectronisme, une urgence sociale
Avec une dématérialisation complète des démarches administratives à l’horizon 2022, réduire l’illectronisme fait figure d’urgence, au risque de provoquer “une rupture d’égalité devant le service public”. Bien heureusement, de nombreuses associations, organisations et entreprises n’ont pas attendu pour s’attaquer au problème.
L’association Emmaüs a lancé dès 2013 une branche baptisée Emmaüs Connect. Cette association a pour principale mission “la lutte contre l’exclusion numérique chez les plus fragiles”, comme le résume Arnaud Jardin, responsable communication et mobilisation citoyenne pour la structure. Emmaüs Connect a déployé 13 points d’accueil dans tout le territoire, dans lequel les personnes qui en ont besoin peuvent bénéficier de matériels et de recharges internet à prix solidaires ainsi que de formations aux différents usages du numérique. Ces deux volets sont indissociables car comme l’explique Arnaud Jardin, “quand on essaye de former quelqu’un à l’utilisation d’une souris, il faut qu’il ait le matériel nécessaire à domicile pour que cela fonctionne”.
Fidèle à l’ADN d’Emmaüs, Emmaüs Connect s’adresse “en grande partie à des gens ayant très peu de ressources, la majorité de nos bénéficiaires vivant avec moins de 650 euros par mois”, nous détaille Arnaud Jardin. Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, les seniors ne constituent pas la majorité des personnes venant aux points d’accueil Emmaüs Connect, “la majorité des personnes que nous recevons ont 40/50 ans”. “On aide aussi beaucoup de jeunes, de personnes isolées, de migrants”, ajoute Arnaud Jardin.
Concrètement, les bénévoles d’Emmaüs Connect aident les bénéficiaires à se servir de tout ce qui peut leur être utile sur un ordinateur et les modules de formations sont variés : création d’un boite mail, utilisation d’un clavier, utilisation de smartphones/tablettes. Au-delà de la maîtrise de ces outils, Emmaüs Connect aide les bénéficiaires à réaliser un certain nombre de démarches administratives mais aussi à faire ou refaire leur CV, à faire des candidatures sur internet ou encore à prendre un rendez-vous chez un médecin.
En parallèle, Emmaüs Connect a également lancé en 2015 un organisme dont l’objectif est de former les travailleurs sociaux à l’inclusion numérique. Toutes les personnes travaillant au contact de publics précaires sont donc formées afin d’être à leur tour capable d’aider les gens auprès de qui elles travaillent.
Les géants du numérique, français comme étrangers, ont également rejoint la lutte contre l’illettrisme numérique. Lors d’une table ronde sur l’illectronisme organisée par le Sénat le lundi 8 juin, les acteurs du numérique français ont pu présenter leurs initiatives. Ombeline Bartin, directrice des relations institutionnelles du groupe Iliad / Free a parlé des actions de la Fondation Free sur l’éducation aux bons usages du numérique, et de ses partenariats avec des acteurs sur le terrain, “comme les ateliers du Bocage qui recycle et reconditionne des appareils électroniques”.
Microsoft s’est de son côté associé à plusieurs acteurs, dont la Fnac et l’école du numérique Simplon, pour ses actions dans les Ehpad. Le but ? “Rompre l’isolement numérique des seniors dans la durée”, comme le résume Laurence Lafont, directrice de la division marketing et opérations de Microsoft France.
SFR est engagé dans cette lutte “depuis bientôt dix ans au côté de son partenaire historique Emmaüs Connect”, selon les mots Claire Perset, directrice des relations institutionnelles de la fondation SFR. SFR est en effet le “partenaire fondateur” d’Emmaüs Connect et c’est notamment l’opérateur qui fournit gratuitement les recharges internet proposées dans les points d’accueil de l’association.
En résumé, nombreuses sont les initiatives, émanant des associations, des collectivités et des entreprises pour réduire l’illectronisme et plus généralement favoriser l’inclusion numérique. Mais il reste encore beaucoup de travail avant de mettre fin à l’illectronisme et c’est ce qui pousse Arnaud Jardin à réclamer “des moyens à la hauteur de ces enjeux”. “Il faut absolument changer d’échelle” dans la lutte contre l’illectronisme, ajoute-t-il. A moins de deux ans du passage au 100 % numérique, ce changement d’échelle paraît en effet plus que nécessaire.
1 Une personne sur six n’utilise pas Internet, plus d’un usager sur trois manque de compétences numériques de base, étude de Stéphane Legleye, Annaïck Rolland (division Conditions de vie des ménages, Insee) publiée le 30/10/2019
2 Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics, publié le 14/01/2019
Partager sur :