Comment rendre le numérique français plus vert ?
Les smartphones, ordinateurs (…), les réseaux et les data centers produisent des millions de tonnes équivalent Co2 en France chaque année. Alors que la transition écologique paraît plus urgente que jamais, comment rendre le numérique plus vertueux ?
Le numérique est souvent présenté comme un outil permettant de favoriser la transition écologique, en optimisant par exemple la gestion et l’utilisation des ressources énergétiques (domotique, dématérialisation…). Mais l’impact environnemental qu’il génère est trop souvent occulté. Selon un rapport de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat publié le 24 juin 2020, le numérique représente actuellement 2 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) françaises et il a produit 15 millions de tonnes équivalent Co2 en France en 2019. Selon un rapport de GreenIT.fr publié le 23 juin 2020, les émissions de gaz à effet de serre produites par le numérique s’élèveraient à 24 millions de tonnes de Co2, ce qui représenterait alors 5,2 % des émissions totales du pays.
Avec la prolifération de nouveaux usages numériques, son impact écologique devrait mécaniquement empirer si rien n’est fait. Selon le pire scénario, les émissions de gaz à effet de serre produites par le numérique s’élèveraient à 24 millions de tonnes équivalent de Co2, ce qui représenterait alors 3,8 % des émissions totales du pays.
Les appareils, premiers responsables de la pollution numérique
Dans son rapport, le Sénat formule 25 propositions pour une transition numérique écologique. Premier constat marquant : la production et l’usage des terminaux est prépondérante dans l’empreinte écologique du numérique. Selon l’étude, les terminaux représentent 81 % des émissions de GES dues au numérique, contre 5 % pour les réseaux et 14 % pour les centres informatiques.
Pour les terminaux utilisés en France, 86 % des émissions de GES sont dues à la phase “amont”, soit la production et l’acheminement des terminaux. “La fabrication et la distribution des terminaux constitue 70 % de l’empreinte carbone du numérique en France, contre seulement 40 % à l’échelle mondiale”, selon le rapport du Sénat. Cette prépondérance de la phase “amont” dans l’empreinte carbone s’explique par le fait que la quasi-totalité des terminaux utilisés par les Français sont produits à l’étranger. Entre la fabrication, la distribution et l’utilisation de réseaux ou de data centers d’autres pays, 80 % de l’empreinte carbone du numérique français provient donc de l’étranger.
Au-delà du lieu de fabrication, l’empreinte carbone du numérique français s’explique également par le nombre important d’équipements en France par rapport au nombre d’utilisateurs. Ainsi, selon GreenIT, il y a environ 631 millions d’équipements pour 58 millions d’utilisateurs… Ce qui revient à 11 équipements par personne, contre 8 équipements par personne en moyenne au niveau mondial. “Si on retire les jeunes de moins de 15 ans et les seniors de plus de 70 ans, le taux d’équipements monte à 15 appareils par utilisateur”, ajoute l’étude de GreenIT.
Selon les calculs de GreenIT, “la consommation électrique du numérique français est de l’ordre de 40 TWh d’électricité en 2019, soit environ 8,3 % de la consommation électrique totale de la France la même année (473 TWh selon RTE)”. Ce calcul est réalisé en additionnant la consommation de tous les équipements utilisés par les Français dans leur usage du numérique : smartphones, tablettes, ordinateurs, box internet mais aussi téléviseurs.
Le reste de l’empreinte carbone due au numérique passe donc par les réseaux et les infrastructures numériques. Les data centers ont représenté, en 2019, 14 % de l’empreinte carbone du numérique en France, selon l’étude du Sénat. Mais “l’accroissement considérable des usages” pourrait faire augmenter cette empreinte de 86 % d’ici 2040, toujours selon le rapport. Une augmentation “plus importante même que celle du bilan carbone de l’ensemble du numérique français (+ 60 %) sur la même période”.
Pour éviter ce scénario, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable préconise “l’implantation en France d’hyper data centers en remplacement de centres implantés à l’étranger”. La France possède des atouts importants en la matière : une électricité disponible à un coût plutôt faible et des conditions climatiques permettant le refroidissement des data centers.
La commission propose également d’utiliser les data centers afin de stocker l’électricité produites par les différentes installations de productions d’énergies renouvelables. Étant équipé de batteries, “un data center peut permettre d’augmenter la capacité d’accueil en énergies renouvelables localement et en optimiser leur consommation”, souligne le rapport. Des solutions de ce genre ont déjà été développées dans des pays, tels que la Suède, la Norvège ou encore l’Irlande.
Pour réduire l’empreinte carbone du numérique, la commission sénatoriale préconise de favoriser le réemploi et la réparation des terminaux. Parmi les pistes évoquées, figurent la mise en place d’un taux de TVA réduit de 5,5 % pour l’acquisition d’objets reconditionnés et la réparation d’appareils numériques.
La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire prévoit dès 2021 la mise en place de fonds de réparation et de réemploi, financés par l’éco-contribution citoyenne lors de l’achat d’un bien. Ces fonds pourraient alors favoriser l’émergence d’acteurs nationaux sur ce secteur stratégique, comme le champion français Back Market, devenu un des acteurs majeurs de la vente de produits électroniques reconditionnés au niveau européen.
Pour réduire la consommation de données… des mesures difficilement applicables
Enfin, en matière d’utilisation des données, le problème demeure assez complexe. La commission sénatoriale préconise de favoriser le développement des réseaux terrestres tels que la fibre optique, moins énergivores, et aussi de limiter les consommations de données mobiles. Le streaming vidéo est particulièrement visé, représentant à lui seul 61 % du trafic Internet mondial. En France, la plateforme Netflix représentait à elle-seule, fin 2018, 23 % du trafic internet national, selon l’Arcep.
La commission sénatoriale évoque une “exigence d’indépendance vis-à-vis du marché américain du streaming”, en poussant notamment ses acteurs principaux, Netflix et YouTube, à adopter des pratiques plus sobres. Par exemple, ces plateformes pourraient adapter “la qualité de la vidéo à la résolution maximale du terminal utilisé”. Ainsi, Netflix et YouTube ne pourraient pas proposer une vidéo en 4K à un internaute qui n’utilise pas d’appareil doté de cette technologie. Cette volonté de raisonner les géants américains du streaming risque toutefois de se heurter au sempiternel déséquilibre dans le rapport de forces entre les Etats-Unis et l’Europe en matière de numérique.
Les préconisations de la commission en matière de réduction des données posent un autre problème. La commission propose d’interdire les forfaits mobiles avec un accès illimité aux données et éviter les offres tarifaires trop alléchantes pour les gros forfaits en matière de données. Or, cela pose la question de l’accès au numérique pour le plus grand nombre. La fibre optique est encore loin de couvrir l’ensemble du territoire et de nombreuses personnes n’ont pas d’autres choix que d’utiliser les données mobiles pour avoir accès à Internet. Or, garantir l’égalité d’accès de tous les Français à Internet est primordiale en vue de la dématérialisation des services publics d’ici 2022.
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