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Comment se rendre invisible pour les machines

19.04.2017

La reconnaissance d’images facilite la vie quotidienne en ligne, tout comme l’identification par données biométriques. Mais elle met en péril vos données personnelles. Chercheurs et artistes explorent des solutions pour déjouer l’acuité des machines.

Les robots ne ‘likent’ jamais, mais ils adorent vos photos. Ils sont désormais capables de vous identifier, mais aussi de reconnaître qui vous accompagne, ce que vous êtes en train de faire, quelles marques vous portez, quels objets vous entourent, voire quelle est votre humeur du moment. Et ils sont nombreux à scanner les 3 milliards d’images partagées chaque jour sur les réseaux sociaux, selon l’analyste américaine Mary Meeker. En effet, plus de la moitié du trafic Internet mondial est l’œuvre de machines - dont des robots traqueurs d’images - et non d’humains, indiquait la société spécialisée en cybersécurité Imperva. DeepFace de Facebook (interdit en Europe) et le projet de recherche FaceNet de Google figurent parmi les plus connus.

Le monde du shopping raffole lui aussi des technologies de reconnaissance d’image : les fashionistas s’épargnent du temps en lèche-vitrine fastidieux grâce à des applications qui trouvent où est vendu un vêtement qu’elles auront pris en photo dans la rue, et les e-commerçants l’utilisent pour mener des études de marché. Les états et les aéroports y voient une opportunité en matière de lutte contre le crime. Les banques ne sont pas en reste, et proposent de passer un ordre de paiement en adressant un selfie. MasterCard va déployer une telle application cette année au niveau mondial, après l’avoir testée aux Pays-Bas, aux États-Unis et au Canada.

L’identification biométrique simplifie la vie quotidienne en ligne. Et surtout, le numérique qui répond au doigt et à l’oeil se veut plus sûr qu’un traditionnel mot de passe, puisque chacun dispose d’un visage et d’empreintes digitales uniques, qu’il ne risque pas d’égarer. Mais les pirates informatiques se tiennent en embuscade, et se frottent les mains à l’idée de récupérer vos paramètres biométriques. Une simple photo postée sur un réseau social peut suffire pour détourner votre identité. Une note du Centre de recherche de l’École des Officiers de la Gendarmerie nationale alertait sur les risques de détournement des informations biométriques dès avril dernier. L’usurpation d’identité pourrait donc revêtir à l’avenir des conséquences plus dramatiques qu’aujourd’hui : on peut remplacer un numéro de compte et de carte bancaire ou refaire ses papiers d’identité, mais on ne peut pas changer d’iris.

Des chercheurs et des artistes étudient donc les parades pour se rendre méconnaissable par les logiciels de reconnaissance faciale. Les voici :

1. Cachez cette main que les robots sauraient voir !

Que celui qui n’a jamais fait le « V » de la victoire avec ses doigts lève la main ! Pourtant ce signe internationalement connu - sous le nom de « peace » - s’avère aujourd’hui des plus dangereux. Professeur à l’Institut National d’Informatique du Japon (NII), Isao Echizu a démontré que les geeks malintentionnés peuvent extraire votre empreinte digitale à partir d’une photo exposant la pulpe de vos doigts à moins de trois mètres de l’objectif, et l’utiliser ensuite pour se faire passer pour vous sur Internet, voire pour pirater votre smartphone. C’est ce qu’ont prouvé dès 2014 les hackers berlinois du collectif Chaos Computer Club, qui avaient récupéré sur photo l’empreinte de la ministre allemande de la Défense, Ursula von des Leyen, qu’ils avaient ensuite reproduite sur un gant en latex qui avait trompé les lecteurs biométriques de l’iPhone.

Pour déjouer les pirates, Isao Echizu et son équipe ont mis au point un procédé pour recouvrir le bout de ses doigts d’un film transparent, afin de masquer ses empreintes digitales ou même de créer de faux sillons qui seront inexploitables par les pirates.

2. Changer de visage chaque jour

L’artiste américain Adam Harvey a exploré comment déjouer les logiciels de reconnaissance faciale grâce au maquillage et à la coiffure avec le projet « CV Dazzle ». Les robots fondent leur analyse sur des points précis du visage : les ailes du nez, les pommettes, les arcades sourcilières, la bouche. Il suffit d’un camaïeu de fonds de teint, de mèches de cheveux plaquées sur le front ou enroulées sur la joue pour modifier les traits et mettre en échec les robots détecteurs. Un tutoriel (en anglais) sur Youtube de Jillian Mayer met en scène cette technique. Infaillible. Mais il faut assumer ce style cubiste qui ne passera pas inaperçu au bureau.

3. L’essentiel est dans l’accessoire

Trois chercheurs du Département de Sciences informatiques de l’Université Cornell, basée à Ithaca aux États-Unis, ont publié en 2016 une étude exhaustive sur les moyens de tromper l’algorithme de reconnaissance faciale de Facebook, capable d’identifier dans 97% des cas et en moins de 5 secondes une même personne sur deux images différentes. Michael Wilbert, Vitaly Shmatikov et Serge Belongie ont étudié l’impact de l’édition d’une image : la rendre plus sombre, plus floue, opérer une rotation pour incliner le visage… Aucune ne permet de masquer le sujet aux yeux des robots, si ce n’est la technique « du léopard » : en parsemant votre photo de taches noires. Une autre option tout aussi efficace consiste à poser avec des accessoires qui perturbent les robots : des lunettes à monture rayée ou encore une casquette équipée de LED. Totalement invisibles par votre voisin de table, ces petites ampoules créent un halo de lumière capable de dissimuler votre visage sur une photo. Porter une écharpe qui masque la bouche et le menton est également un défi que les robots ne savent pas - encore - relever.

4. Prendre une pose à moitié naturelle

Dans cette même étude, les chercheurs de l’Université Cornell remarquent que les sujets qui cachent la moitié de leur visage avec leur main (paume cachée, bien entendue) ne sont pas identifiés par les robots. Cette technique s’avère aussi efficace quand le visage est partiellement dissimulé par un objet. Faites vos selfies en croquant dans un burger.

5. Se fondre entre les lignes

La reconnaissance faciale s’applique aussi aux vidéos. Dans « How not to be seen », une oeuvre de 2013, l’artiste allemande Hito Steyerl énumère différentes façons de se rendre invisible des caméras et de disparaître « en pleine vue ». En posant devant des fonds rayés mêlés d’aplats de couleurs, l’image est saturée d’informations, ce qui la rend floue et difficile à lire par les caméras. C’est pourquoi les vêtements à rayures sont proscrits sur les plateaux de télévision.

6. Ne pas poster ses photos sur les réseaux sociaux

Radicale mais efficace, c’est la seule technique garantie face aux progrès continus de l’intelligence artificielle et de la reconnaissance faciale.

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