Cyberharcèlement : un fléau qui débute à l'école
Les réseaux sociaux et les outils numériques décuplent l’impact des actes de harcèlement, poussant parfois les victimes au suicide. Des solutions existent pour endiguer la progression du cyberharcèlement.
Pour cette rentrée 2019-2020, les élèves sont dotés des traditionnels trousses, cartables et cahiers… mais aussi d’un droit nouveau : celui de suivre une scolarité sans harcèlement. C’est l’une des mesures phares de la loi « Pour une école de la confiance », entrée en vigueur le 28 juillet dernier. Un élève sur quatre (22 % des 18-24 sondés en février dernier par l’IFOP1) en serait victime. Ce nombre pourrait être bien plus élevé dans les faits, car la moitié des harcelés n’oseraient pas parler. Selon une étude2 menée aux Etats-Unis en avril 2019 par les chercheurs Sameer Hinduja et Justin Patchin auprès de jeunes de 12 à 17 ans, la part des collégiens victimes de cyberharcèlement a doublé en 2019 par rapport à 2007.
Ainsi, ce sont aujourd’hui quatre collégiens américains sur dix - et autant en France selon la professeure de Sciences de l’éducation Catherine Blaya3 - qui confient avoir été la cible au moins une fois dans leur vie de cyberharcèlement, c’est-à-dire d’« un acte agressif et intentionnel perpétré par un individu ou un groupe d’individus au moyens de formes électroniques de communication, de façon répétée, à l’encontre d’une victime qui ne peut pas facilement se défendre seule »4. Le plus souvent, ce « cyberbullying » s’exprime sous la forme de commentaires blessants ou de rumeurs diffusés en ligne. Dans 10 % des cas, il inclut la diffusion – par SMS ou sur internet - d’insultes, de photos dégradantes ou à caractère sexuel de la victime, voire de menaces de violence physique.
Les chercheurs constatent que les jeunes Américaines sont davantage exposées au cyberharcèlement que les garçons. En France, elles sont aussi plus nombreuses à être l’objet de rumeurs sur les réseaux sociaux (13 % vs. 6 %), d’insultes sur leur apparence physique (20 % vs. 13 %) et de diffusion de photos intimes sans leur accord (4 % vs. 1,5 %)5.
Cyberbullying : des harceleurs qui ne se cachent pas, et des témoins muets
Lors de l’enquête de Sameer Hinduja et Justin Patchin, 15 % des jeunes interrogés ont reconnu avoir commis au moins un acte de cyberharcèlement envers un de leurs camarades. Pour certains, le cyberharcèlement vise à s’imposer comme un « leader » auprès de leurs camarades ; pour d’autres, il s’agit de suivre les pratiques d’un groupe pour ne pas s’en faire exclure. En effet, les actes de cyberharcèlement sont rarement tenus secrets par leurs auteurs. Une majorité de jeunes sont témoins des actes de cyberharcèlement, mais 60 % d’entre eux gardent le silence. Or, les conséquences pour les victimes sont graves : décrochage scolaire, dépression, voire suicide.
Le harcèlement scolaire est renforcé dans la sphère numérique
S’il a toujours existé, le harcèlement scolaire prend une tout autre ampleur à l’ère des réseaux sociaux : « il suffit d’un simple clic pour humilier quelqu’un de façon rapide, groupée (avec bien plus de spectateurs que dans les couloirs de l’école) et indirecte (sans s’adresser physiquement à la victime) », souligne l’association Marion Une Main Tendue7. Via les réseaux sociaux, auxquels les jeunes sont souvent constamment connectés grâce aux smartphones, le harcelé ne connaît plus de répit ni de jour, ni de nuit.
Pour lutter contre ce fléau, la sensibilisation des jeunes est essentielle. Des outils sont mis à disposition des enseignants pour identifier le harcèlement et en parler en classe : outre le Guide de prévention des cyberviolences en milieu scolaire, le gouvernement a mis en place une plateforme « Non au harcèlement » pour conseiller les victimes et les témoins, et les orienter vers les numéros gratuits de l’association E-Enfance, qui peut écouter mais aussi aider à obtenir le retrait des publications dégradantes. Dès la maternelle, des actions de prévention peuvent être menées par le jeu, afin de développer l’empathie des enfants dès le plus jeune âge. Au collège et au lycée, différentes interventions peuvent être organisées par des associations.
Responsabiliser les plateformes en ligne et les élèves contre le cyberharcèlement
Ce défi louable est loin d’être gagné : le vilipendage est en effet monnaie courante sur les réseaux sociaux. Une critique violente peut fuser dans une réaction « à chaud », sans prise de recul, sur des plateformes qui encouragent l’expression de l’émotion « sur le vif ». Les icônes des jeunes n’échappent pas à ce phénomène : la Youtubeuse Enjoy Phoenix a subi une violente campagne de dénigrement au sujet de son apparence physique, le chanteur Bilal Hassani, emblème de la communauté LGBT+, a reçu de nombreux commentaires racistes et homophobes.
Ces comportements ne s’arrêtent pas toujours avec la fin de la scolarité : l’affaire de la « Ligue du LOL » a révélé que le cyberharcèlement (en l’occurrence à caractère sexiste) peut sévir aussi au sein des entreprises. Selon l’IFOP, 8 % des Français de plus de 18 ans ont été victimes de cyberharcèlement. Sur le plan juridique, la loi Avia contre les contenus haineux, qui vise à responsabiliser les plateformes en ligne en les contraignant à retirer un contenu signalé (car raciste, homophobe, discrimination religieuse, etc.) sous 24h, vise à mieux protéger les victimes - la loi contre le harcèlement en ligne de 2014 n’ayant permis que 17 condamnations. Mais l’éducation aux bonnes pratiques numériques et le développement de l’empathie dès le plus jeune âge restent les moyens les plus efficaces de lutter contre le cyberharcèlement, et d’endiguer enfin sa progression.
1 « Les Français et l’expérience du harcèlement en ligne » : https://www.ifop.com/publication/…
2 « Données 2019 du cyberharcèlement » (en anglais) : https://cyberbullying.org/2019-cyberbullying-data
3 4 5 Citée dans le « Guide de prévention des cyberviolences en milieu scolaire » édité par le Ministère de l’Education en novembre 2016 : http://cache.media.education.gouv.fr/file/11_-_novembre/…
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