Demain, tous crétins ?
Selon une étude scientifique, le quotient intellectuel des Français aurait régressé à la fin du XXe siècle. Si certains estiment que les technologies numériques risquent de nous abêtir, d’autres y voient une opportunité d’accroître notre intelligence.
En dix ans, nous avons perdu 3,8 points de quotient intellectuel moyen, qui s’établit désormais à 97,3 1. Ce chiffre, avancé en 2015 par Edward Dutton et Richard Lynn, est issu d’une étude menée en France auprès d’un échantillon de 79 personnes, évaluées en 1998-1999 puis en 2008-2009. L’anthropologue et le psychologue observaient alors pour la première fois cette régression dans notre pays, ainsi qu’en Australie, aux Pays-Bas, en Suède, en Finlande, tandis qu’ils constataient une augmentation du QI des Hongkongais et des Singapouriens (à 108, soit dix points de plus que le QI moyen français).
Des causes multiples
Leur étude a fait l’effet d’un coup de semonce. Pour autant, le mythe d’une croissance infinie de l’intelligence humaine avait déjà été brisé : le chercheur James Robert Flynn avait constaté une baisse de QI au Royaume-Uni dès le milieu des années 1990. Cet « effet Flynn » a ensuite été observé au Danemark puis en Norvège.
Les capacités intellectuelles humaines ne progressent plus, alors qu’elles s’étaient développées de façon constante grâce à l’amélioration de notre alimentation, de notre éducation et de nos conditions de vie 2, depuis la création en 1939 de l’échelle de Wechsler - le test de QI le plus souvent employé. L’observation de cet « effet Flynn » en France a inquiété d’autant plus que des algorithmes auto-apprenants ont fait leur apparition, ouvrant la voie à la construction de machines intelligentes capables à l’avenir de remplacer les humains dans divers métiers.
La cause de l’érosion de notre QI reste mystérieuse. Certains accusent les substances chimiques nocives (perturbateurs endocriniens notamment) qui se sont multipliées dans notre environnement.
S’appuyant sur une étude britannique 3, le docteur Laurent Alexandre souligne quant à lui l’impact de notre mode de vie : le quotient intellectuel est en majeure partie déterminé par la génétique. Or, les statistiques montrent que les femmes les plus intelligentes travaillent davantage et font moins d’enfants, ne contribuant dès lors pas à faire progresser le quotient intellectuel moyen de la population.
Edward Dutton et Richard Lynn incriminent pour leur part l’abandon de la lecture – notamment de littérature – au profit d’autres formes de médias, non imprimés, pour expliquer la moindre richesse du vocabulaire des Français (qui est le critère de mesure du QI qui affichait le repli le plus important : -4 points).
Le numérique, un risque de plus ?
Le numérique serait la cause d’une intensification du risque de baisse du QI pour la génération dernière-née. Selon la pédo-psychologue canadienne Linda Pagani, les enfants de moins de 2 ans et demi exposés aux écrans plus d’une heure par jour verraient leurs compétences en mathématiques réduites de moitié dès la classe de CM2.
Dans une vidéo publiée sur YouTube en mars 2017, la médecin Anne-Lise Ducanda alerte les parents et les pouvoirs publics sur certains retards irrémédiables du développement cognitif : selon elle, les tout-petits qui manient des écrans plus de trente minutes chaque jour parleraient plus tardivement que les enfants qui en sont tenus à l’écart. Certains d’entre eux présenteraient même des troubles du spectre autistique : ils ne réagissent pas à leur prénom, ils répètent mot pour mot les phrases qu’ils entendent sans y répondre, ils peinent à se concentrer et s’agitent ou au contraire, se montrent apathiques.
Le GPS et le smartphone mis à l’index
Chez les adultes également, l’usage régulier des technologies numériques a tendance à réduire certaines capacités cérébrales. En 2010, Véronique Bohbot, chercheure en neurosciences à l’Université canadienne McGill, a comparé les capacités de mémorisation et de représentation dans l’espace de deux groupes de chauffeurs de taxis, le premier s’orientant avec un GPS et le second se dispensant de cette technologie.
Chez les utilisateurs de l’assistant de navigation, l’étude a démontré une activité réduite de l’hippocampe, la partie du cerveau qui pilote notre mémoire et notre orientation spatiale, première zone cérébrale impactée par la maladie d’Alzheimer.
Le smartphone a quant à lui été montré du doigt par le professeur Kostandin Kushlev. En mai 2016, ce chercheur américain en psychologie sociale et comportementale de l’Université de Virginie a suivi 221 étudiants du campus. L’étude démontre alors que l’utilisation intensive des smartphones engendrait des symptômes semblables à ceux du « trouble du déficit de l’attention ». Les participants à l’étude développaient en effet des difficultés de concentration au bout d’une semaine, dès lors qu’ils activaient toutes les notifications et rappels sonores permis par l’appareil, et qu’ils consultaient chacune d’entre elles.
Et si on augmentait nos cerveaux ?
Au-delà des risques liés aux usages excessifs ou inadaptés, le numérique pourrait offrir une solution pour pallier la baisse de l’intelligence humaine. Pour les curieux, Internet facilite la découverte et la connaissance. Depuis 2011, les « Mooc » (pour « massive open online courses ») se multiplient. Ces cours en ligne en accès libre permettent à chacun de se former aux thématiques de son choix, souvent gratuitement. Selon Class Central qui répertorie ces Mooc, 7000 universités à travers le monde proposaient des cours en ligne fin 2016, alors suivis par près de 58 millions de personnes.
Grâce aux neurosciences cognitives, les technologies numériques pourraient également nous aider à apprendre plus facilement, et donc davantage. Ce nouveau champ de connaissance scientifique est apparu depuis une trentaine d’années seulement, grâce au traitement de données et la modélisation informatisés, combinés à la psychologie expérimentale et à l’imagerie cérébrale. Il étudie le fonctionnement du cerveau en vue de faciliter l’acquisition de connaissances pour chacun.
Les experts de ce domaine promettent une révolution éducative à l’école : dans les prochaines années, des stratégies d’apprentissage personnalisées remplaceraient la pédagogie universelle – dont les résultats sont contestés aujourd’hui. Le ministre de l’Education nationale planche d’ores et déjà sur l’intégration des neurosciences à la formation des enseignants. En septembre dernier, Jean-Michel Blanquer a ainsi confié à Stanislas Dehaenne – professeur en psychologie cognitive expérimentale au Collège de France – la direction d’un comité scientifique chargé de plancher sur ce sujet et sur les disciplines enseignées dans les classes.
Mais d’autres travaillent à une solution plus radicale : augmenter les capacités intellectuelles humaines en reliant notre cerveau à un ordinateur. Cette ambition – qui relève aujourd’hui de la pure science-fiction – draine des centaines de millions d’euros d’investissement.
Neuralink, l’entreprise fondée par le milliardaire américain Elon Musk, vise ainsi à mettre au point un implant cérébral qui connecterait nos neurones à la puissance de calcul informatique : « nous sommes déjà des cyborgs. Votre téléphone et votre ordinateur sont des extensions de vous-même, mais l’interface se fait via les mouvements des doigts ou par la voix », détallait-il au magazine américain Vanity Fair en février dernier, précisant que cette interaction était selon lui trop lente. Il estime que nous gagnerions en temps et en intelligence si nous pouvions transmettre instantanément notre pensée à un ordinateur, et recevoir sa réponse tout aussi vite.
Entre piratage et eugénisme, ce projet fait débat. Jusqu’à présent, les premières implantations de puces informatiques dans des cerveaux humains ne visent qu’à réparer des fonctions défaillantes : deux tétraplégiques américains, Ian Burkhart et Nathan Copeland, ont ainsi pu retrouver l’usage d’une main et le sens du toucher. Mais aussi futuriste qu’elle paraisse, cette technologie d’ « augmentation cérébrale » pourrait devenir une nécessité dans les prochaines décennies.
Laurent Alexandre estime ainsi qu’elle sera la seule option quand l’intelligence artificielle sera arrivée à maturité. Il parie même que la pose d’implant sera peu chère, voire financée par l’Etat, pour éviter une révolution dans un monde où seuls les QI les plus élevés pourront trouver un emploi. Mais nous disposons sans doute encore de quelques décennies pour y réfléchir.
1 Dutton Edward et Lynn Richard, « A negative Flynn Effect in France, 1999 to 2008-9 », Intelligence n°51, Elsevier, 2015.
2 Flynn James Robert, « Are we getting smarter? Rising IQ in the twenty first century », Cambridge University Press, 2012.
3 « Les femmes douées font moins d’enfants », tribune de Laurent Alexandre, publiée dans L’Express, le 31 janvier 2018.
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