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Risques numériques
Article

Des enceintes intelligentes trop serviables ?

16.02.2018

Google Home, Echo d’Amazon et consorts ont commencé à envahir nos foyers. Mais derrière la promesse de faciliter notre vie quotidienne, que nous réservent vraiment ces nouvelles enceintes dites intelligentes ?

Les assistants personnels intelligents 1 de maison sont des bornes à commande vocale connectées à Internet. Ces enceintes dites intelligentes ou smart speakers comportent un microphone associé à un assistant vocal pour répondre à vos questions orales (“Quel temps fait-il aujourd’hui à Caen ?”) ou satisfaire certaines de vos requêtes (“Réserve-moi un taxi”.). Si un nombre croissant d’entre nous adopte ces nouveaux objets technologiques, deux tiers des Français ne les connaissent pas 2.

Google Home 3, Echo, HomePod et Djingo à votre écoute !

Si Hergé écrivait en 2018 ses albums, serait-il amené à remplacer Nestor, le majordome du capitaine Haddock, par ces enceintes souvent comparées à « des majordomes virtuels » ? Dès 2017, Alphabet 4 lance en France une enceinte de forme cylindrique, mesurant 20 cm de haut, baptisée Google Home.

C’est une enceinte connectée, équipée de deux micros, qui analyse des requêtes grâce à une intelligence artificielle (Google Assistant) et y apporte une réponse adéquate à l’aide d’une voix synthétique féminine. Interpellé par le désormais célèbre « OK Google », l’assistant s’active et peut nous informer de l’actualité, contrôler notre télévision, ou tenir à jour notre liste de courses…

En 2018, Amazon 5 6 commercialisera en France Echo, une enceinte dotée de sept micros intégrés et de l’intelligence artificielle Alexa. Ensuite, ce sera le tour d’HomePod d’Apple qui utilise un assistant optimisé pour les questions sur la musique et 13 thématiques plus générales (actualité, podcasts, pense-bête, envoi de messages), mais nécessite de disposer, a minima, d’un iPhone 5s avec iOS 11. Cette année verra aussi arriver sur le marché français Djingo, le smart speaker d’Orange, qui permettra notamment de naviguer sur la télévision de l’opérateur français, de piloter sa maison connectée, ou bien encore de passer un appel téléphonique.

Mais pour bénéficier des fonctions domotiques offertes par ces enceintes intelligentes (ouverture/fermeture des stores, contrôle de la lumière, gestion du chauffage…), encore faut-il que notre maison soit connectée et pourvue de systèmes électroniques compatibles reliés à des ordinateurs ou appareils nomades 7.

Vers l’avènement d’une société dite conversationnelle ?

Dans un article récent, le journaliste indépendant Nicolas Santolaria remarque que « là où les technologies vocales ont longtemps rimé avec dysfonction, les progrès accomplis en termes de reconnaissance et traitement automatisé du langage, rendent désormais possible le fait de décrypter avec une précision suffisante la requête d’un utilisateur, nous faisant entrer dans ce que l’on pourrait appeler la ‘société de conversation’ » 8.

Effectivement, la voix est un medium plus naturel que le clavier pour rechercher une information, et surtout plus adaptée à certaines situations particulières (au volant, en cuisinant, en marchant, en se lavant, en se rasant, en se maquillant…). Ce journaliste poursuit en montrant que ces assistants appartiennent à « une nouvelle génération d’outils que les constructeurs nomment les ‘do engines’ (moteurs d’action) en référence à la catégorie plus ancienne des ‘search engines’, ces moteurs de recherche dont Google reste la représentation emblématique » 9.

Toutefois, l’avènement de cette « société de conversation » ne semble pas encore tout à fait à l’ordre du jour. Si l’« intelligence » de ces enceintes leur permet de reconnaître et d’interpréter des requêtes simples, c’est-à-dire prédéfinies ou « scriptées » par des Hommes, dès que la requête est plus complexe, voire mal formulée, l’appareil botte en touche.

Des enceintes vraiment infaillibles ?

Selon Alphabet, l’enceinte ne sort de son état de veille que lorsqu’elle est interpellée par son propriétaire, et peut toujours être éteinte ou paramétrée pour supprimer toutes les conversations enregistrées.

Toujours est-il que ces enceintes connaîtront constamment les habitudes (goûts, emploi du temps…) de leurs propriétaires, mais aussi de leur entourage 10. Ainsi, les enjeux commerciaux pour la récolte, le stockage et le partage de nos données personnelles sont considérables, avec un risque non négligeable pour la sauvegarde de notre vie privée 11.

D’autant plus que comme le note le psychiatre Serge Tisseron : « le but recherché est que nous nous sentions en confiance avec [ces assistants], et cela passe par le fait de les doter d’une voix qui suscite notre empathie, voire même, pour les plus sophistiqués d’entre eux, de la capacité de nous répondre avec une voix dont les intonations soient adaptées aux situations. C’est ce que les roboticiens appellent d’un oxymore étrange : l’empathie artificielle. »12 Aurons-nous encore conscience que ce ne sont que des « machines à simuler » ? Il est encore et toujours question de la relation homme-machine.

Aux États-Unis, des piratages de ces enceintes sont régulièrement mentionnés dans les médias. Lors du premier épisode de la 21ème saison de la série satirique South Park, les personnages s’amusent à faire dire des grossièretés13 à Google Home et Echo. En disant « OK Google » ou « Alexa », ils activent ces dispositifs directement chez les téléspectateurs possédant ces enceintes. En avril 2017, Burger King active à son tour les Google Home des téléspectateurs américains au moyen d’un message publicitaire télévisé pour la promotion de son Whooper.

Mais ces mêmes données personnelles ne risquent-elles pas d’être récupérées à des fins malveillantes, afin de pirater des fonctionnalités comme activer l’ouverture d’une porte, de désactiver une alarme, ou autre… ?

La CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) s’interroge et propose quatre conseils pour bien cohabiter avec ces enceintes : « Encadrer les interactions de ses enfants avec ce type d’appareils (rester dans la pièce, éteindre le dispositif lorsqu’on n’est pas avec eux) ; Couper le micro/éteindre l’appareil lorsque l’on ne s’en sert pas où lorsqu’on ne souhaite pas être écouté ; Avertir des tiers/invités de l’enregistrement potentiel des conversations (ou couper le micro lorsqu’il y a des invités) ; Vérifier qu’il est bien réglé par défaut pour filtrer les informations à destination des enfants. » 14. L’organisation rappelle aussi qu’il faut régulièrement effacer le tableau de bord et l’historique d’utilisation.

Mais se pose la question : êtes-vous vraiment prêts à vivre au quotidien avec ces nouveaux objets technologiques conversationnels, connectés et dits intelligents ? Are you really OK ?


1 Des assistants virtuels nous assistent déjà au quotidien comme Siri (Apple) ou Cortana (Microsoft) auxquels on peut poser des requêtes via un smartphone, un ordinateur, une tablette ou une montre.

2 source : https://www.numerama.com/business/318399-google-home-amazon-echo-60-des-francais-ne-sont-pas-interesses-par-lachat-dune-enceinte-intelligente.html

3 Vous trouverez un tableau comparatif de ces enceintes : http://enceintes-intelligentes.blogspot.fr/p/une-enceinte-intelligente-cest-quoi.html

4 Pour aller plus loin : http://www.journaldunet.com/ebusiness/internet-mobile/1194558-google-home-google-penetre-dans-votre-salon-avec-ses-trois-enceintes/

5 Selon un article récent, « Depuis 2015, Huawei prévoit la sortie d’un téléphone équipé d’Alexa, tandis que Whirlpool propose une machine à laver connectée qui se lance d’une simple commande vocale. LG va sortir un réfrigérateur qui affiche les recettes ou permet de faire vos courses. Même Ford a annoncé que ses voitures électriques et hybrides seraient bientôt dotées de l’assistant intelligent d’Amazon, afin de permettre à ses clients de commander leurs véhicules à distance, ou d’accéder à des informations sur le niveau de carburant ou de batterie. », source :https://www.capital.fr/polemik/siri-alexa-google-home-m-les-assistants-numeriques-revolution-ou-gadget-dangereux-1230739

6 Amazon, n’a pas commercialisé son enceinte en France. Elle devrait être lancée début 2018 en même temps que HomePod d’Apple et Djingo d’Orange.

7 Ces sociétés devront rendre leurs services accessibles, développer leur écosystème avec des partenaires et le rendre interopérable avec les écosystèmes des autres acteurs.

8 Source : http://www.inaglobal.fr/numerique/article/interfaces-vocales-attention-dangers-10013

9 Source : https://usbeketrica.com/article/mais-qui-es-tu-au-juste-siri

10 Il se pose aussi la question des sources d’information puisque le moteur de recherche peut proposer des milliers de résultats à une requête alors que Google Home en propose une. Nous serons certainement encore plus enfermés voire confinés dans nos bulles de filtres.

11 Pour aller plus loin : https://www.cnil.fr/fr/enceintes-intelligentes-des-assistants-vocaux-connectes-votre-vie-privee

12 Source : http://www.inaglobal.fr/sciences-sociales/article/ia-robots-qui-parlent-et-humains-sous-influence-10009

13 Eric Cartman, personnage récurrent de South Park, ajoute sur les listes de courses des téléspectateurs « des gros seins », « des grosses boules velues » et des « chips aux nichons ».

14 Source : https://www.cnil.fr/fr/enceintes-intelligentes-des-assistants-vocaux-connectes-votre-vie-privee

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