« Hoaxbusters » : ces enfants qui traquent les « fake news »
L’Education nationale forme les élèves à identifier les fausses informations sur Internet. L’institutrice Rose-Marie Farinella propose une méthode dès l’école primaire.
Près de 4 millions d’élèves ont participé cette année à la semaine de la presse et des médias dans l’école. Lors de la trentième édition de cet événement annuel, le centre pour l’éducation aux médias et à l’information (CLEMI) a recensé 18 240 établissements scolaires en France et français à l’étranger participant, soit près de trois fois plus qu’en 1990.
Plus de 1 800 médias se sont également mobilisés en distribuant un million d’exemplaires de journaux, et en organisant des temps d’échanges entre les élèves et les journalistes, et des ateliers pratiques. Par exemple, en Guyane, des collégiens ont ainsi pu mener une investigation grandeur nature, intitulée Classe Investigation en référence au magazine d’enquête télévisé d’Elise Lucet. De même, dans l’Académie de Bordeaux, les lycéens de La Réole se sont interrogés sur la datavisualisation, et les enjeux que pose cette présentation simplifiée de quelques chiffres pour résumer un phénomène complexe.
Les élèves peuvent être exposés aux « fake news » avant l’entrée au collège
Mais face à l’essor des « fake news », la valeur de l’esprit critique n’attend pas le nombre des années : désormais, des élèves sont formés à vérifier les informations diffusées sur Internet dès le primaire
En effet, les réseaux sociaux et les blogs peuvent être de précieuses mines de connaissances autant que des relais de propagande et des vecteurs de radicalité. Or, selon une étude de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) publiée en avril 20191, les trois-quarts des adolescents de 14 ans utilisent régulièrement un ordinateur, tout comme la moitié des enfants de 8 à 10 ans.
Ainsi, avant d’entrer au collège, 83% des jeunes internautes d’une dizaine d’années se connectent pour regarder des vidéos, 59% pour faire des recherches sur Internet, 19% pour envoyer des messages et 11% pour échanger des courriels. Même s’ils sont rares dans cette classe d’âge (3 à 5%), quelques-uns ont également l’habitude de commenter des blogs, participer à des forums, ou publier des images en ligne.
La méthode Farinella est récompensée et plébiscitée
Pour la professeure des écoles Rose-Marie Farinella, « développer l’esprit critique avant l’adolescence est le bon moment, car les élèves manifestent de la fraîcheur et une grande ouverture d’esprit ».
Ancienne journaliste devenue institutrice en maternelle dans l’Académie de Grenoble, elle a eu l’idée de bâtir un programme de sensibilisation adapté aux élèves du primaire dès 2014, quand elle a constaté la recrudescence de fausses informations qu’elle recevait par mail ou sur les réseaux sociaux, et l’inquiétude des parents d’élèves désirant protéger leurs enfants de ces « hoax ». À cette époque, l’Education nationale ne proposait pas d’outils pour accompagner les plus jeunes dans la traque aux fausses nouvelles sur internet.
Depuis 2015, Rose-Marie Farinella déploie son programme d’initiation en classe de CM2, sur la base du volontariat. Sa méthode a été récompensée par trois prix nationaux et deux prix internationaux, dont le Prix mondial de l’éducation aux médias qui lui a été remis par l’Unesco en 20172, et elle a été nommée Chevalier de l’Ordre des Palmes académiques en août 2017.
Comprendre d’abord ce qu’est une information
Sa formation à l’esprit critique face à l’information en ligne se déroule en 16 séances de trois quarts d’heure, auxquelles se sont ajoutés au fil des années des débats sur la cybercitoyenneté, la liberté d’expression ou encore le racisme.
La première étape consiste à comprendre ce qu’est une information. Pour cela, les élèves concentrent d’abord leur attention sur la différence entre un slogan publicitaire relevant d’une vague promesse, et une information fiable vérifiable.
Ils consultent différents médias et interrogent des journalistes. Ils se familiarisent avec les 5 questions-clés qui permettent au journaliste de synthétiser les faits : « qui ? » « quoi ? », « où ? », « quand ? » et « pourquoi ? ».
Puis les élèves apprennent à croiser les informations en s’appuyant sur des médias fiables : ils s’entraînent à décortiquer l’information, en se renseignant sur l’auteur de l’article, sur la date de publication, sur la date à laquelle l’événement s’est déroulé, et sur le média qui publie l’article et ses règles déontologiques.
Pour prendre en main ces concepts parfois abstraits, ils s’exercent en pratique, grâce à des exercices d’improvisation. Rose-Marie Farinella leur propose ainsi de « couvrir » des faits divers, comme un accident de la route par exemple, ou des sujets clivants, tels qu’une manifestation contre la chasse : certains élèves jouent le rôle des chasseurs, d’autres celui des écologistes, et les apprentis journalistes tentent de rapporter leurs différents points de vue sans prendre parti.
Les élèves constatent alors que tous les témoignages ne se valent pas : certains évoquent des faits, tandis que d’autres relèvent d’une opinion. Ils découvrent également la difficulté de se montrer objectif quand on a soi-même des convictions. Certains scénarios abordent des sujets de société plus sensibles, liés aux questions de radicalité religieuse ou de racisme.
Apprendre à lire les images
L’initiation des jeunes « hoaxbusters »3 passe également par l’analyse critique d’images : « les élèves baignent dans un océan d’images, or les fake news passent beaucoup par l’image », souligne Rose-Marie Farinella. Elle les encourage donc à recontextualiser l’image et à se poser la question du cadrage en se demandant ce qui peut se trouver « hors champ ».
Les élèves sont ensuite envoyés en reportage photo dans les rues voisines de l’école, avec pour mission de montrer ce qui est le plus beau, ou bien le moins esthétique. Ils manipulent également le logiciel Photoshop, pour se rendre compte de la facilité avec laquelle on peut truquer une image. Puis vient le temps de la réflexion sur les intentions des personnes qui produisent de fausses informations : veulent-elles nous faire rire, générer des clics, nous convaincre, ou cherchent-elles à nuire ?
Dessine-moi une chasse aux hoax !
Les élèves participent avec enthousiasme : Rose-Marie Farinella se dit « bluffée par la pertinence de leurs remarques et leur dextérité à utiliser les moteurs de recherche ». Sur les sites web, ils explorent les onglets « à propos », « qui sommes-nous » et « Mentions légales », et sur les réseaux sociaux, ils repèrent les boutons « signaler » pour lutter contre les contenus indésirables.
Ils deviennent acteurs, portent des masques comme de véritables « détectives du web », et ils produisent à leur tour des contenus : leurs missions d’investigations sont en effet filmées et diffusées sur la chaîne Youtube « Hygiène mentale »4, animée par Christophe Michel de l’Observatoire zététique5.
Très content de transmettre ce qu’ils ont appris à leur famille, ils terminent le programme en réalisant un dessin libre, inspiré de ce qu’ils ont découvert pendant leur initiation. Leur investissement est gratifié d’un diplôme qu’ils reçoivent en prononçant solennellement le « serment de la souris » : « Je jure sur la souris de mon ordinateur qu’avant d’utiliser ou de retransmettre une information, toujours je la vérifierai ! ».
Continuez de réfléchir au sujet en participant à l’enquête lancée par la MAIF et VILLES INTERNET sur la désinformation. Pour prendre part à cette démarche originale, et pour auto-évaluer votre relation à l’information, c’est ici.
1 « Pratiques culturelles dématérialisées des 8-14 ans », Hadopi, Avril 2019 : Lien vers le pdf
2 Le troisième prix mondial d’éducation aux médias de l’Uneo a été remis le 20 octobre 2017 à Kingston, en Jamaïque.
3 Littéralement : « chasseurs de canulars » (en référence aux chasseurs de fantômes du film « Ghostbusters »)
4 Voir les épisodes « EMI » 1, 2, 3 et 4 sur la chaîne « Hygiène mentale » : https://www.youtube.com/channel/UCMFcMhePnH4onVHt2-ItPZw
5 L’Observatoire zététique est une association grenobloise qui a pour but la promotion et la diffusion des méthodes et techniques basé sur le scepticisme scientifique.
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