This website requires JavaScript.

Numérique Ethique vous est utile (ou pas) ? Dites-nous tout en 5 minutes ici

Hygiène numérique
Article

Hyperconnectés pour le meilleur et pour le pire

03.05.2018

Équipés au quotidien de notre panoplie habituelle, constituée de smartphones et d’Internet à volonté, sommes-nous réellement hyperconnectés et nomophobes ? Comment en sommes-nous arrivés là et quel avenir nous attend ?*

Des usages comme co-médiation de quatre éléments

La sociologie des usages invite à appréhender ces derniers comme le résultat de la co-médiation de quatre éléments qui se rencontrent et interagissent en situation : le dispositif technique, le contexte, l’individu et le collectif. Articulant le collectif et l’individuel, mais aussi la présence avec les autres et avec les interlocuteurs distants, les usages remettent en question notre présence au monde ou Dasein 1.

On comprend intuitivement que l’usage dépend du dispositif, ou plus précisément des fonctionnalités offertes ou suggérées par celui-ci – tel qu’observé avec les réseaux sociaux, les jeux sur mobile, la recherche d’informations sur Internet…

Soulignons également l’évolution concomitante de ces dispositifs et des supports techniques que sont les smartphones, tablettes ou ordinateurs. Leurs fonctionnalités n’ont plus rien à voir avec celles des téléphones portables d’il y a 15 ou 20 ans, essentiellement limitées à téléphoner, envoyer et recevoir des SMS, et ce pour un coût non négligeable et avec une qualité de réseau parfois aléatoire – deux verrous techniques et financiers réduits à néant par les forfaits illimités et l’accessibilité des réseaux modernes (4G et bientôt 5G, wifi…). Désormais, tous les contextes se prêtent à la connexion et les tentations sont fortes. Mais cela suffit-il à faire de nous des êtres hyperconnectés ?

Le pouvoir hypnotique des notifications et des alertes

Il y a quelques années, un directeur de chaîne de télévision avait osé affirmer « vendre du temps de cerveau disponible » au profit des annonceurs et de leurs publicités. Sa franchise avait paru brutale, mais la logique est restée la même.

Dans le vaste océan d’informations, la ressource rare n’est plus l’information mais bien l’attention qu’il s’agit de capter et de maintenir pour revendre des données ou affiner les publicités présentées au lecteur. Plus de doute désormais : si c’est gratuit, c’est parce que nous sommes le produit. Mais accepterait-on de payer pour accéder à un réseau social ? Les tentatives en la matière se sont toutes soldées par des échecs. Le compromis serait donc d’accepter d’être sollicités en permanence et de renoncer en partie à la confidentialité de ses données.

Les réseaux sociaux, sites et applications diverses rivalisent ainsi d’ingéniosité pour capter notre attention. A travers leur panel de notifications et d’alertes distillées en continu, les plateformes mettent en scène des informations de telle sorte à ce qu’elles paraissent suffisamment attractives pour être instantanément consultées, au détriment de nos activités en cours.

Or, ~~ce régime de l’alerte permanente est épuisant pour le cerveau : il doit zapper d’un contexte à un autre, vivre comme une bête traquée en état de vigilance constante. La fragmentation d’activités qui en résulte conduit à une fatigue insidieuse et à une perte de sens de la tâche en cours. Certains se plaignent même de problèmes de concentration qui seraient en réalité inexistants, car uniquement causés par le système d’alerte et d’interruption permanente auquel ils se soumettent.

L’individu démiurge

Les usages sont fortement individualisés, et ce pour plusieurs raisons :

  • L’emploi du temps : une mère de famille exerçant une profession aura a priori moins de temps libre qu’un jeune étudiant célibataire.
  • L’âge : les seniors préféreront des échanges de mails et de SMS, la navigation en ligne pour s’informer et effectuer des achats en ligne. La mère de famille utilisera sa tablette pour consulter des recettes sur Marmiton avec des ingrédients qu’elle a commandés sur Internet. Les Millenials ou Génération Y privilégieront les réseaux sociaux comme Facebook ou LinkedIn, qui permettent d’entretenir des liens de sociabilité préexistants, et Instagram. La Génération Z ne jure que par Snap, Instagram et YouTube. Ils adorent lire des tutorials et suivre des influenceurs. Ils recourent encore plus spontanément que leurs aînés à l’économie collaborative : BlaBlaCar, Uber et Tinder sont des outils quotidiens. En couplant mobile et géolocalisation, Internet leur permet de répondre à tous leurs besoins quasiment à la demande. Certains déposent leur prose ou leur musique sur des plateformes comme Wattpad pour bénéficier de larges audiences et envisager de voir leurs créations être diffusées par des professionnels.

Dans les années 1990, on rêvait d’un village planétaire, avant de constater que les nouvelles technologies renforçaient d’abord les liens forts, avec les amis ou la famille. En synthèse, le téléphone portable et le mail constituaient des moyens supplémentaires de communiquer avec ses proches.

Aujourd’hui, Internet est arrivé à une maturité technique et sociale qui permet d’interagir et de créer, en toute confiance, des liens avec des inconnus (pour covoiturer, partager un repas entre voisins…), le plus souvent éphémères. Le rêve devient alors atteignable : les nouvelles technologies permettent de s’affranchir des frontières physiques, de vivre l’ubiquité et d’interagir avec un tiers à l’autre bout de la planète. Individu démiurge ou augmenté, l’essor des objets connectés conduira sans doute à étendre encore les possibilités.

Le collectif présent comme tiers authentificateur

Le pouvoir des réseaux sociaux et autres plateformes de mise en relation ne serait pas aussi puissant sans l’effet produit par les interactions de leurs utilisateurs. En postant du contenu, en likant (aimant) le contenu d’un ami, en le commentant… l’individu envoie un signal fort aux autres utilisateurs de la plateforme, et participe à leur construction identitaire.

Plus concrètement, il actionne deux leviers simultanés. D’une part, il répond aux émetteurs et dépositaires de contenu en signalant qu’il l’a vu, qu’il y adhère et qu’il félicite son auteur. Chacun se sent alors plus vivant, plus intégré voire plus aimé. D’autre part, ces manifestations de soutien (likes) ou de rejet, ces publications de stories 2 et ces commentaires, participent à la construction identitaire des utilisateurs de ces plateformes. Comme on est loin des peurs des années 1990 ou du début 2000 ! Une génération de no-life n’est pas advenue.

Au contraire, les jeunes générations sont en permanence connectées aux autres et guettent leur approbation. Les autres acquièrent le pouvoir de valider l’existence d’un événement et sa valeur. Si l’événement n’est pas posté en ligne et liké, c’est comme s’il n’avait jamais existé.

On peut se demander si l’individu sait évaluer ce qu’il vit, se connecter à ses sensations et faire confiance à son propre ressenti. Comme une star des médias, chacun est dépendant de son public, qu’il doit nourrir. Mais n’y-a-t-il pas un risque à être à la fois dedans et dehors, vivant l’événement et le document en ligne tout en guettant la réaction de son public ?

Et demain ?

Pour conclure, l’explosion des usages s’explique en partie par le développement des fonctionnalités offertes par les dispositifs techniques. Notifications et alertes incitent chacun à tout interrompre pour consulter l’information qui a l’attrait de la nouveauté - celle-ci étant souvent décevante car montée en épingle pour attirer et capter l’attention de l’individu. Les usages sont très liés à l’âge, avec des interactions avec des inconnus via l’économie collaborative qui séduisent d’abord les plus jeunes.

Enfin, le format narratif passe de l’écrit à l’image. Le format Stories permet de se raconter, de se mettre en scène de façon ludique et créative, mais ouvre la voie à une forme de fascination. Le pouvoir qu’avait la télévision s’est transposé sur Internet : l’image est perçue comme preuve de réalité d’un événement.

Comment s’assurer s’il s’agit d’un fake (faux) ou d’un montage créatif ? Comment s’assurer de la fiabilité de la source ? Une éducation en la matière constitue un vaste programme, pour que les futures générations inventent de nouveaux usages qui libéreront et n’aliéneront pas les individus.


A lire : La MEGA boîte à outils du Digital en entreprise, coordonné par Catherine Lejealle et publié aux éditions Dunod.

* Atteints de la phobie de vivre sans mobile.

1 Existence humaine conçue comme présence au monde (le terme est issu de la philosophie de Heidegger). Source : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/dasein/21665

2 Format proposé par Snapchat, Instagram et Facebook, permettant aux internautes de poster des vidéos et des photos éphémères.

Retour