Illectronisme : une fracture sociale ineffaçable ?
Un Français sur cinq peine à utiliser les outils numériques. Le gouvernement entend déployer jusqu’à 100 millions d’euros pour les former et réduire la fracture numérique… tandis que de nouveaux usages continuent d’apparaître.
En 2018, l’illectronisme touche 13 millions de Français, soit près de 20% de la population. Ce chiffre établi par le Credoc en 2017 est trois fois supérieur au nombre de personnes en situation d’illettrisme, évalué à 7,1% de la population par l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme.
L’illectronisme concerne en premier lieu les personnes qui ne savent pas « cliquer » ou manipuler un écran tactile, ceux qui peinent à « naviguer » sur internet, mais aussi ceux qui ont peur d’utiliser un ordinateur, un smartphone ou une tablette numérique.
Selon un sondage mené en mars 2018 par le CSA Research pour le Syndicat de la presse sociale 1, les nouveaux outils numériques sont jugés difficiles à utiliser par 15% des Français, et par 39% des seniors de 70 ans et plus. Plus de 2 sondés sur 10 indiquent ne pas être à l’aise pour accéder à un site en ligne.
Un tiers d’entre eux avoue avoir renoncé au moins une fois au cours de l’année écoulée à faire quelque chose qui requérait d’utiliser Internet, soit parce qu’ils ne pouvaient pas, soit parce qu’ils ne le voulaient pas, dans le cadre d’une démarche administrative, pour des loisirs ou pour un achat.
Ces « abandonnistes », comme les ont nommés les sondeurs, ont interrompu leur démarche au moment de faire une recherche sur internet, d’utiliser un outil de traitement de texte, d’enregistrer un document sur leur ordinateur, d’envoyer un e-mail, de lancer une impression ou de scanner un document.
Ils présentent un profil très proche de celui de la population française, et les « digital natives » ne sont pas épargnés : 15% des « abandonnistes » ont de moins de 35 ans.
En revanche, ils sont souvent plus équipés que la moyenne, en outils numériques comme en accès à internet. Ils sont convaincus de la nécessité de maîtriser l’usage du numérique et désirent se perfectionner, en faisant appel à un membre de leur famille le plus souvent.
À ces 2,5 millions de personnes en grande difficulté face au numérique s’ajoutent ceux qui ne se connectent jamais (soit 12% de la population de plus de 12 ans) car ils le refusent ou n’en ont pas les moyens financiers, ainsi que 7 millions d’internautes « distants », faute d’aisance dans l’utilisation de ces outils, selon le Credoc qui étudie l’illectronisme depuis 2002.
La fracture numérique ne s’est pas réduite depuis 20 ans
Le phénomène n’est pas nouveau : s’appuyant sur les travaux de Richard Venezky, l’OCDE s’inquiétait dès 2000 de la « fracture numérique » et recommandait à ses membres de veiller à « l’égalité́ d’accès aux TIC et à l’alphabétisation technologique » de leurs concitoyens dès leur scolarité.
Les optimistes pensaient alors que cette fracture se réduirait avec le temps. Mais la transformation numérique de l’économie s’est accélérée et les usages numériques se sont diversifiés depuis vingt ans, renforçant encore l’écart entre ceux qui maîtrisent l’outil et ceux qui en sont exclus.
Le Credoc note en effet depuis 2016 un écart d’usages croissant entre mobinautes : une nouvelle frontière s’établit entre ceux qui utilisent des applications mobiles et des messageries instantanées (dont 60% sont âgés de moins de 40 ans) et ceux qui les ignorent.
Face à l’innovation galopante, six Français sur dix ont le sentiment de profiter peu des opportunités offertes par le numérique dans leur vie citoyenne, professionnelle et leurs loisirs.
Raccrocher les wagons du « TGV »
En juin dernier, le Secrétaire d’Etat Mounir Mahjoubi avait indiqué sur France Culture que l’illectronisme ne pouvait plus être ignoré : « Ces 20% de Français regardent passer le TGV de l’innovation numérique et constatent qu’ils ne sont pas dedans. Ils voient le bruit, la vitesse, mais eux se disent qu’ils ne peuvent pas en profiter. »
Pour effacer totalement la fracture numérique, l’État a annoncé en septembre un plan pluriannuel « pour un numérique inclusif », doté de 75 à 100 millions d’euros (dont 10 millions financés par l’Etat) afin de former 1,5 million de personnes par an.
Selon son profil, le bénéficiaire recevra un crédit de 10 à 20 heures de formation, d’une valeur de 50 à 100 euros, qui sera distribué par Pôle emploi, la Caisse d’allocations familiales (CAF), l’Assurance Maladie, les municipalités et les départements. Dans les deux prochaines années, 5 millions d’euros seront alloués pour créer des « hubs numériques » chargés de « recenser, conseiller et outiller les acteurs de terrain » pour mener des ateliers numériques.
Les agents des collectivités territoriales pourront se former aux enjeux et aux bonnes pratiques de la médiation numérique grâce à un MOOC (cours accessible en ligne) attendu pour la fin de l’année. Des volontaires en service civique pourront également en bénéficier.
Quant aux personnes qui aident un proche dérouté par le numérique, elles pourront réaliser ses démarches administratives en ligne via le site sécurisé FranceConnect Aidants, et s’appuyer sur les guides – en formats numérique et papier – du « kit inclusion numérique ».
Enfin, un forum national annuel nommé « Numérique en Commun(s) » permettra à chacun de s’exprimer pour faire évoluer l’offre d’outils pour lutter contre l’illectronisme. Le premier s’est tenu à Nantes en septembre dernier.
Des entreprises et des associations mobilisées
Des entreprises et des associations contribuent également à la lutte contre l’illectronisme. Depuis 2012, Google a ainsi formé 200 000 étudiants, demandeurs d’emplois et professionnels en France.
Les habitants de Montrouge peuvent suivre des ateliers d’informatique cofinancés notamment par la Fondation ST Microelectronics, Acadomia, Montrouge Habitat et le Secours Populaire. Le programme Emmaüs Connect, qui a bénéficié à 30 000 personnes en précarité sociale, leur permettant notamment d’acquérir leur premier ordinateur, est également déployé par la Banque Postale depuis 2017. BNP Paribas, Crédit Agricole, Veolia et Orange viennent à leur tour de s’engager à accompagner leurs clients sur le numérique, en signant avec l’État une Charte d’inclusion numérique.
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