This website requires JavaScript.

Numérique Ethique vous est utile (ou pas) ? Dites-nous tout en 5 minutes ici

Futur connecté
Article

Intelligence artificielle : promesse de vie éternelle... ou de fin du monde ?

09.11.2017

Les algorithmes capables d’apprendre par eux-mêmes nous accompagnent déjà dans notre vie quotidienne. Bientôt, ils pourraient nous aider à ne plus vieillir, ni mourir. A moins qu’ils ne sonnent le glas de l’humanité…

Elle n’est pas encore sur toutes les lèvres, mais déjà bien installée derrière nos écrans. L’intelligence artificielle nous accompagne à la maison, dans notre poche ou au bureau pour nous simplifier la vie. Ce sont ces algorithmes auto-apprenants qui répondent en direct aux questions des clients sur les sites de e-commerce ou qui la commande que vous adressez à haute voix à votre smartphone. Leurs compétences en reconnaissance vocale et d’image sont également mobilisées par les médecins pour affiner un diagnostic, ou bien encore par les services de police pour relancer une enquête criminelle au point mort.

Ces algorithmes équipent aussi les robots qui arrivent peu à peu dans nos logements, et ceux qu’utilisent les militaires. Grâce à l’intelligence artificielle, les entreprises françaises pourraient réaliser 20% de gains de productivité d’ici à 2035, ce qui permettrait à la croissance économique française d’atteindre 3% par an, soit le double du rythme actuel de création de valeur1. Certains technophiles inconditionnels de la Silicon Valley annoncent même qu’au cours des prochaines décennies elle nous permettra de dépasser nos limites physiques et intellectuelles, voire… de devenir immortel !

Ces « transhumanistes » s’inspirent des travaux de deux philosophes - le Suédois Nick Bostrom et le Britannique David Pearce, qui ont fondé l’Association Transhumaniste Mondiale en 1998 – et de ceux du futurologue américain Ray Kurzweil – connu pour avoir édicté près de 150 prédictions depuis 1990 avec un taux de réalisation de 86%. Les convictions transhumanistes se sont invitées jusque dans la course à la Maison Blanche en 2016 avec un candidat portant l’étiquette de la cause : Zoltan Istvan avait alors promis rien de moins que la vie éternelle pour tous s’il remportait l’élection présidentielle américaine. Malgré son échec dans les urnes américaines, il reste convaincu que « tout le monde sera converti au transhumanisme d’ici vingt à vingt-cinq ans, de la même façon que l’environnementalisme ne fait plus débat aujourd’hui »2.

La fin de la mort…

Les transhumanistes tablent sur les progrès déjà exponentiels des technologies NBIC (neurosciences, biotechnologies, informatique et sciences cognitives) pour que leur cerveau soit transférable à une machine dès 2050. Des milliardaires investissent sans compter pour que ce rêve se réalise : Larry Page, le fondateur de Google, a créé une entreprise dédiée à ce projet, Calico, qu’il a dotée de 750 millions de dollars ; Peter Thiel, qui a lancé Paypal, place également ses espérances – et une partie de ses 2 milliards de dollars de fortune personnelle – dans les recherches contre le vieillissement et la mort ; Jeff Bezos (Amazon), Mark Zuckerberg (Facebook), Larry Ellison (Orcale) font également partie des patrons qui visent la vie sans fin.

Figure de proue du transhumanisme, la « serial entrepreneure » transgenre Martine Rothblatt a sollicité le fabricant de robots Hanson Robotics pour donner naissance en 2010 au droïde Bina48, réplique robotique de son épouse. L’humanoïde s’est nourrie de centaines d’heures d’entretiens pour identifier les émotions, les croyances, le vocabulaire et les mimiques de son modèle. Elle est désormais en mesure de tenir une conversation imitant la « vraie » Bina, et singeant 64 expressions faciales différentes.

Eugenia Kuyda, entrepreneure russe, a trouvé un autre moyen de rendre l’être cher immortel, en créant non pas un double, mais un fantôme. Suite au décès accidentel de son ami Roman Mazurenko, la jeune femme basée à San Francisco a alimenté un chatbot (« robot conversationnel ») à l’aide des photos, messages, e-mails et publications sur les réseaux sociaux du disparu. L’intelligence artificielle a ainsi pu découvrir les centres d’intérêts de Roman, son vocabulaire et ses tics de langage. Grâce à ses réseaux neuronaux virtuels, elle est en mesure d’imaginer la réponse qu’il aurait donnée à telle ou telle question, qu’elle formule en adoptant les tournures de phrases qu’il avait l’habitude d’utiliser. Ainsi, Eugenia Kuyda a l’impression que son ami reste présent à ses côtés.

…ou la fin de l’humanité

L’idée d’une existence immortelle a de quoi séduire les romantiques. Mais elle effraie bon nombre de penseurs, à commencer par les philosophes. François Dermange, professeur d’éthique à la Faculté de théologie de l’Université de Genève, voit dans la quête d’immortalité des transhumanistes le reflet d’un hyper-individualisme. S’ils atteignaient leur objectif de vie éternelle, l’idée de « morale » disparaîtrait, tout comme le respect d’autrui, estime le philosophe français Bernard Vergely3. Son homologue Alain Damasio constate lui aussi cette approche égocentrée, associée à un besoin de maîtrise de l’environnement et de sécurité. Selon lui, en cherchant à devenir des dieux, les transhumanistes entrent en réalité dans un processus suicidaire. Leur volonté d’« évoluer » selon leur envie4, en repoussant toutes les limites de la nature humaine, les conduirait à dissoudre l’humanité dans de nouvelles espèces hybrides, et à perdre les codes de pensée et d’actions qui régissent notre monde depuis l’Antiquité.

D’autres voix s’élèvent pour mettre en garde contre l’intelligence artificielle elle-même. Un millier de scientifiques, d’entrepreneurs influents et de chercheurs – parfois spécialisés dans cette discipline - ont ainsi signé en 2015 un appel à réguler le développement de cette technologie. Ils l’imaginent devenir un jour si perfectionnée et indépendante qu’elle n’aurait plus besoin de l’être humain pour prospérer… et pourrait alors décider de l’éradiquer. Parmi les signataires de cette mise en garde contre les « robots tueurs » se trouvaient l’astrophysicien britannique Stephen Hawking, le cofondateur de Microsoft Bill Gates qui redoute la disparition de la plupart des emplois, le cofondateur d’Apple Steve Wozniak qui est certain que les humains deviendront les « animaux de compagnie » des robots, ou encore l’entrepreneur Elon Musk5 qui se dit prêt à dépenser des milliards de dollars dans une « croisade » contre l’intelligence artificielle.

Le temps de la réflexion

L’émancipation des robots - appelée « singularité » - n’est pas à l’ordre du jour, et certains parient qu’elle ne sera jamais possible. Mais la puissance de calcul des nouveaux ordinateurs quantiques et les progrès rapides des algorithmes auto-apprenants invitent tout de même à la réflexion. En 2016, l’intelligence artificielle battait l’homme au jeu de go – réputé le plus complexe du monde, devant les échecs - pour la première fois, après avoir étudié des milliers de parties jouées par les humains. Un an plus tard, elle gagne systématiquement grâce à des stratégies qu’elle a élaborées seule, sans qu’aucun exemple ne lui ait été fourni. Un sondage réalisé par l’Ifop et publié en octobre dernier révélait que deux Français sur trois s’inquiètent de l’essor de l’intelligence artificielle, mais que sept sur dix sont curieux de découvrir son potentiel. La question de l’impact - positif ou négatif – de l’intelligence artificielle devrait donc occuper le débat public pendant de longues années encore. Quant à la réponse, elle devrait dans tous les cas s’imposer à nous au cours des prochaines décennies.


1 Estimation par le cabinet Accenture Institute of High Performance, publiée en décembre 2016. Dans certains pays, ces gains de productivité pourraient s’élever à 40%.

2 Voir : « Zlotan Istvan, candidat transhumaniste », Tracks, Arte, septembre 2015 (https://iatranshumanisme.com/2015/09/22/zoltan-istvan-candidat-transhumaniste-tracks-arte/)

3 Vergely Bernard, La tentation de l’Homme-Dieu, Le Passeur, 2015,138 p.

4 Selon Zlotan Istvan, un être humain qui souhaiterait vivre sous l’eau comme un poisson pourra acquérir des branchies grâce aux nouvelles technologies, d’ici à quelques décennies.

5 L’entrepreneur américain développe des projets futuristes dans l’aérospatiale avec SpaceX, la voiture électrique avec Tesla ou encore le train hyper-rapide avec Hyperloop.

Retour