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La vie secrète d'un datacenter

31.07.2017

Dans ce lieu qui abrite les serveurs informatiques de nombreuses entreprises se nouent bien des enjeux. Rares sont ceux qui ont pu visiter ces temples de la donnée. Poussez donc avec nous la porte du datacenter PA4 d’Equinix à Pantin.

Au milieu d’une zone industrielle palpite un cœur de l’Internet en France. A deux pas de la gare RER de Pantin, un bâtiment colossal et gris s’étend, semblable aux autres entrepôts qui se concentrent dans ces rues fréquentées seulement par des camions de livraison. Derrière la façade sans logo se cache un poids-lourd du numérique, bien connu des professionnels : l’américain Equinix, un géant du stockage de données, qui se targue d’être le seul acteur de son secteur implanté sur les cinq continents.

Pour passer les grilles de l’enceinte et les portes de ce datacenter, il faut montrer patte blanche : présenter sa carte d’identité, signer le registre des visites, et attendre qu’on vienne vous chercher.

On ne déambule pas dans les 16.000 m2 exploitables du lieu sans escorte. Et pour cause : c’est ici que sont hébergés les serveurs de nombreuses entreprises actives sur la Toile. « La plupart de nos clients préfèrent taire le lieu d’installation de leurs serveurs et nous respectons leur désir de confidentialité », souligne notre guide, Fabien Gautier, le directeur marketing et business développement d’Equinix France.

Il ne citera donc que quelques-uns des 800 clients d’Equinix en France : la start-up française star de la publicité en ligne Critéo, le groupe de luxe Kering -qui possède les marques Gucci, Saint-Laurent, Alexander Mc Queen, le joailler Boucheron ou encore l’équipementier sportif Puma-, le fournisseur d’énergie Engie (ex-GDF Suez) ou encore deux « Gafam » (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) sans préciser l’identité de ces deux géants américains du numérique.

Absentes il y a 5 ans, les entreprises étrangères -américaines surtout- génèrent désormais 20% des revenus d’Equinix France.

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Le datacenter PA4 d'Equinix à Pantin, dans le nord-est de Paris.

Dans un angle du vaste hall d’accueil, notre hôte déverrouille une porte blindée -grâce à l’empreinte de sa main et à un badge- puis une seconde, avant de nous faire entrer dans un immense couloir rectiligne et vide, seulement ponctué de canalisations larges comme des troncs d’arbres, qui grimpent jusqu’au plafond aux abords de chaque salle.

N’imaginez pas y entrer sans une nouvelle identification biométrique. « Sept points de contrôle doivent être franchis pour accéder à un serveur. » L’enjeu : protéger le réacteur de la vie numérique des clients. Si leurs serveurs venaient à s’arrêter, leurs sites internet et leurs données deviendraient inaccessibles, ce qui les effacerait du monde virtuel dans l’instant. Une apocalypse numérique qui leur ferait perdre des sommes colossales.

Pour anticiper ce risque, nombre d’entre elles installent des serveurs de secours dans l’un des sept autres sites d’Equinix, qui sont tous reliés les uns aux autres et disposent au total d’une capacité d’hébergement de 55.000 m2. « Le risque de perte ou de vol de données est infime dans nos murs mais subsiste quand elles transitent sur le réseau, à la merci des hackers. »

A première vue, toutes les salles se ressemblent, avec leurs enfilades de baies, ces armoires où s’empilent les serveurs. Mais chacune a sa propre histoire. Certaines accueillent un client unique, comme Criteo, qui a fait peindre sa salle en orange et l’a entourée de panneaux métalliques noirs occultants, à l’abri des regards du voisinage. D’autres, aux tons gris neutres, abritent plusieurs entreprises, séparées par un grillage.

Dans cette colocation informatique, la discrétion fait loi, et on ne connait pas toujours l’identité de son voisin. « La plupart des clients ne personnalisent pas leurs baies, pour garder leurs choix de matériels secrets ». Ici, un adepte du rangement au cordeau a choisi un matériel uniforme et a aligné avec soin des câbles d’une seule et même couleur, tandis que chez son voisin, des câbles bariolés et enchevêtrés forment un arc-en-ciel chiffonné. « Aucun client n’a jamais demandé à choisir son emplacement. Nous veillons cependant à ne pas réunir deux Gafam dans une même salle. »

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Dans tous les datacenters, la température d'une salle est maintenue à 24 degrés.

La climatisation vrombit à plein volume pour diffuser un puissant souffle à 13 degrés. En effet, s’ils n’étaient pas constamment refroidis par cet air venu du toit, les serveurs pourraient être endommagés par la chaleur produite par leur fonctionnement. L’arrivée d’air frais est matérialisée au sol par des lumières bleues, et l’évacuation de la chaleur par des leds rouges.

« La température d’une salle est maintenue à 24 degrés dans tous les datacenters. Mais ce seuil pourrait être relevé à 30 degrés sans nuisances. Nous essayons d’expliquer à nos clients que ces quelques degrés de plus dans les salles permettent de lutter contre le réchauffement climatique. » Les datacenters d’Equinix consomment en effet autant d’électricité qu’une ville de 150.000 habitants.

« Notre industrie se montre créative pour réduire son empreinte écologique : certains datacenters récupèrent la chaleur des serveurs pour chauffer des piscines, d’autres s’installent au Pôle Nord pour disposer d’un refroidissement naturel. Le datacenter d’Equinix à Amsterdam fonctionne même uniquement grâce à la géothermie. En France, les énergies renouvelables ne sont pas encore assez performantes pour nos usages. Mais nous avons conclu un accord avec EDF pour que chaque euro d’électricité nucléaire que nous consommons soit réinvesti dans le développement des énergies vertes. »

Des salariés d’EDF, spécialistes de la haute tension, travaillent en permanence dans les datacenters, aux côtés des ingénieurs et techniciens d’Equinix. Ces équipes se relaient pour assurer une présence sur le site 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Depuis quelques années, Equinix France a recruté de nouveaux profils (marketing, fonctions support), notamment des femmes. Il compte désormais près de 200 salariés, pour la plupart des hommes jeunes qui habitent dans les environs, à Pantin ou à Aubervilliers.

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Les équipes d'Equinix se relaient pour assurer une présence sur le site 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

« En presque 20 ans d’existence, notre métier a évolué. Dans les années 1990, nous étions considérés comme un simple bâtiment de stockage, puis nous sommes devenus le partenaire de la mutation digitale des entreprises, et aujourd’hui nous animons l’écosystème numérique en mettant en relation nos clients entre eux, selon leurs besoins. »

Entremetteur dans le monde virtuel, le datacenter sait aussi se faire rampe de lancement pour des vocations d’avenir. Il a ainsi accueilli en mai 2016 un groupe de jeunes adolescents réunis par une association sociale. Venus découvrir les secrets du lieu, certains y ont trouvé leur voie professionnelle et l’idée de leur futur métier. Quand ils arriveront sur le marché du travail, l’activité des datacenters aura sans doute décuplé, portée par l’essor des objets connectés et l’émergence de l’intelligence artificielle.

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