This website requires JavaScript.

Numérique Éthique vous est utile (ou pas) ? Dites-nous tout en 5 minutes ici

Acculturation
Article

Laurent Alexandre, l'agitateur d'intelligence

02.02.2018

Cet énarque-chirurgien est le vulgarisateur en France de l’intelligence artificielle et des défis qu’elle pose. Portrait.

Le « Slasheur 1 clasheur 2 » : si le débat intellectuel était un ring, ce nom lui irait comme un gant. A 57 ans, Laurent Alexandre ne mâche pas ses mots pour exprimer ses opinions sous l’une de ses nombreuses casquettes : docteur en urologie, entrepreneur en série, « business angel », essayiste, conférencier ou encore romancier. Fondateur du site Doctissimo.fr, qu’il a revendu à Lagardère en 2008, il est aujourd’hui le principal évangélisateur de l’intelligence artificielle en France.

« Nous sommes dix tout au plus à intervenir sur ce sujet », regrette-t-il. Dans son dernier essai, La Guerre des Intelligences 3, qui s’est déjà écoulé à 60.000 exemplaires trois mois après sa parution, il prône une réforme en profondeur de notre système éducatif et de la pédagogie de l’enseignement pour permettre aux jeunes de trouver leur place dans le monde d’après 2030, où les emplois peu qualifiés seront remplacés par des robots et des algorithmes auto-apprenants.

Cet énarque, passé par Sciences Po’ et par un MBA à HEC, estime que même les grandes écoles prestigieuses ne sont plus dans le coup pour former les jeunes à « apprendre à apprendre » : « La plupart des métiers de demain n’existent pas encore. Mais ce qu’on sait déjà, c’est qu’il n’y aura plus de postes pour les humains avec un quotient intellectuel inférieur à 120 ».

Un progressiste sociétal féru de nouvelles technologies

Sur le réseau social Twitter, où ce passionné de nouvelles technologies intervient chaque jour avec un vocabulaire parfois fleuri 4, certains l’accusent d’alarmisme prématuré et caricatural. Pas de quoi le vexer, au contraire : il préfère la critique à l’indifférence. Il avait d’ailleurs espéré que la sortie de son essai suscite le débat chez les enseignants : « Je m’attendais à ce qu’on me rentre dedans. Mais non, rien. Plutôt que de lire et de repenser la pédagogie, certains syndicats préfèrent sélectionner les participants à leurs réunions en fonction de leur couleur de peau ! Cette attitude me révulse !»

Militant du progrès sociétal, il a subi les foudres de la « Manif pour tous » pendant des mois. Sans ciller. Le seul reproche qui peut l’atteindre est celui d’arrogance. Il s’efforce de contenir sa rapidité d’esprit, mais parfois sa réponse précède la fin de la question de son interlocuteur, et son argumentation dense et détaillée peut paraître professorale. De tels quiproquos sont communs dans la vie des génies. Laurent Alexandre aurait un QI très élevé (entre 140 et 180) mais il se montre pudique et taiseux sur ce point.

Pour lui, le transhumanisme n’est pas une option

On le dit adepte de la philosophie transhumaniste, ce qu’il réfute. « Je ne suis pas partisan, j’observe simplement les évolutions en cours. L’homme augmenté ne sera pas un débat sociétal, mais une nécessité pour éviter une révolution d’ici à 2050 », prophétise-t-il.

Pour lui, les générations futures se rueront sans complexe sur les greffes technologiques qui permettront d’accroître les capacités physiques et intellectuelles humaines. « Mes enfants se montrent beaucoup moins conservateurs que moi sur cette question. Ils ne comprennent pas pourquoi j’hésite face à l’idée d’implanter des puces dans nos cerveaux, car ils sont convaincus que la réponse aux défis posés par la technologie viendra de la technologie. »

Eveilleur de consciences sans frontières

Libéral de centre-gauche, il a rencontré les ministres à qui il a dédicacé son dernier essai : Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Education qu’il renomme « Ministre de l’Intelligence Biologique », et Mounir Mahjoubi, le secrétaire d’Etat chargé du Numérique, qui devient sous sa plume le « Ministre de l’Intelligence Artificielle ».

Laurent Alexandre se garde pour autant de donner des leçons ou de souffler des mesures. Il dresse un constat, et tire la sonnette d’alarme, chiffres à l’appui. « Nous sommes engagés dans une guerre technologique que nous refusons de voir, et que nous avons déjà perdue : la France et l’Europe sont devenues les colonies numériques des GAFAM (i.e. les entreprises américaines Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) et des BATX (i.e. les entreprises chinoises Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi). Nous n’investissons pas assez dans l’intelligence artificielle.

L’Inria, qui est le fer de lance de la recherche française en la matière, voit depuis des années son budget stagner à 230 millions d’euros par an, alors que l’américain Intel a déboursé 15,3 milliards de dollars en 2017 pour le seul rachat de MobilEye, une start-up israélienne du secteur. Au niveau européen, le programme Human Brain Project (pour modéliser et reproduire le fonctionnement du cerveau humain dans un réseau de neurones artificiel, NDLR) dispose d’1 milliard d’euros pour dix ans de recherches, tandis qu’Amazon investit chaque année 15 milliards de dollars dans son effort d’innovation. Si nous ne réagissons pas sans tarder, la France sera un pays du Tiers-Monde en 2080. »

L’immortalité dans un robot ? Non merci !

Il met du cœur et de la fougue dans son action de sensibilisation aux défis à venir : il donne des interviews et rédige des chroniques dans différents médias, les vidéos de ses interventions - notamment devant le Sénat en 2013 - enregistrent des millions de vues, et il donne plus de 100 conférences par an en France et à l’étranger. « Ce qui m’intéresse, c’est le débat autour des évolutions du travail qui seront engendrées par l’intelligence artificielle, même si je n’en verrai que les débuts ».

Gastronome, le docteur Laurent Alexandre n’est pas du genre à rêver de l’immortalité passée à l’intérieur d’un clone robotique. « Ceux qui prétendent aujourd’hui pouvoir transférer le contenu d’un cerveau humain dans un ordinateur sont des illusionnistes. Je serai mort depuis longtemps quand cette technologie sera disponible… si elle l’est un jour. » Et de toute façon, cette promesse ne l’intéresse pas.


1 « slasheur » : nom inspiré de l’anglais (« slash » étant en anglais le nom du signe de ponctuation que nous appelons « barre oblique » ou « barre de fraction ») et apparu en 2016 pour désigner les personnes qui ont plusieurs activités professionnelles en même temps.

2 « clasher » : verbe issu de l’anglais désignant le fait de provoquer quelqu’un verbalement, de lancer une polémique.

3 Alexandre Laurent, La Guerre des Intelligences, JC Lattès, Paris, octobre 2017.

4 Voir @dr_l_alexandre sur Twitter.

Retour