Lever l’anonymat sur Internet, est-ce vraiment utile ?
Faut-il mettre fin à l’anonymat sur Internet ? Pour ceux qui y sont favorables, il s’agit de responsabiliser les internautes. Au contraire, ses opposants considèrent que dévoiler les véritables identités serait contre-productif.
L’anonymat sur le web, un éternel marronnier politique
Le débat concernant la levée de l’anonymat sur Internet revient régulièrement sur la place publique. C’est notamment un argument utilisé par les politiques lors de différentes affaires médiatiques. Cet été, le premier ministre Jean Castex a eu cette drôle de sortie sur le sujet, au cours d’une interview publiée dans Le Parisien le 15 juillet, alors qu’il répondait à une question sur la crise sanitaire et les fake news : « Cela renvoie aussi au sujet des réseaux sociaux. Il y a quelque chose de choquant, c’est l’anonymat. On peut vous traiter de tous les noms, de tous les vices, en se cachant derrière des pseudonymes. Dans ces conditions, les réseaux sociaux c’est le régime de Vichy : personne ne sait qui c’est ! Je suis pour la liberté d’expression, mais si on se cache, les conditions du débat sont faussées. C’est un sujet dont il va falloir que l’on s’empare. »
Plus récemment, l’assassinat de Samuel Paty a également été l’occasion de ressortir la proposition. Cette fois, c’est Xavier Bertrand qui a demandé que « l’anonymat pour ceux qui font l’apologie du terrorisme sur les réseaux sociaux soit levé beaucoup plus vite ». Et de poursuivre : « Vous ouvrez un compte, vous donnez votre identité juste à l’hébergeur. S’il y a des menaces et l’apologie du terrorisme, on ne va pas mettre tant de temps que ça à fermer le compte, à condamner et poursuivre. Les réseaux sociaux sont un lieu d’impunité », a ajouté le président de la région Hauts-de-France au micro du Grand Jury de RTL le 18 octobre 2020. Jean Castex et Xavier Bertrand, sans réclamer directement la fin de l’anonymat, demandent que celui-ci puisse être levé en cas de publication de contenus haineux (insulte, diffamation, appel à la haine…).
Mais l’anonymat sur le web est-il une réelle possibilité ?
Mais en réalité, il est déjà extrêmement difficile d’être totalement anonyme sur Internet. Chaque internaute laisse de nombreuses traces de son passage sur le Web : connexions à divers réseaux sociaux et sites, adresse IP… C’est pourquoi la France encadre déjà la délicate question de l’anonymat en ligne depuis 2004, avec la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), qui était la transcription d’une directive européenne.
Selon cette loi, tout contenu (message, photo, vidéo…) publié sur une plateforme peut entraîner sa suppression par l’hébergeur dès qu’un signalement est effectué. « Sur réquisition judiciaire, les plateformes doivent communiquer les traces qu’elles ont relevé des auteurs de contenu illicite », comme le rappelait Olivier Itéanu, avocat spécialisé en droit du numérique, dans une émission du Figaro Live. Les plateformes sont d’ailleurs supposées conserver ces précieuses données pendant un an. Les informations communiquées par l’internaute lors de son inscription, telles que son adresse mail personnelle, son numéro de téléphone voire son adresse IP, sont donc susceptibles d’être transmises à la justice, réduisant ainsi fortement la notion d’anonymat sur Internet.
En 2012, une affaire a cependant bien failli montrer les limites de la loi française en la matière. Au début du mois d’octobre, un hashtag #UnBonJuif figure parmi les tendances du réseau Twitter, donnant ainsi lieu à un déferlement de tweets à caractère antisémite. Plusieurs associations, telles que SOS Racisme ou l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), ont demandé que la plateforme supprime les tweets en question et divulgue les informations relatives à leurs auteurs. Les associations ont fini par porter plainte et par assigner le réseau social en référé afin qu’il divulgue les informations demandées… Ce que Twitter refusait de faire, lançant ainsi une véritable bataille judiciaire. Quelques mois plus tard, le Tribunal de grande instance de Paris avait enjoint la plateforme à communiquer aux associations « les données en sa possession de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création de tweets manifestement illicites ». La bataille judiciaire a pris fin en juillet 2013 quand Twitter a fini par céder.
La réticence de la plateforme à communiquer ses informations peut s’expliquer par l’aspect juridique pur. Twitter avait demandé que les associations passent par le Traité d’assistance juridique mutuelle pour obtenir les informations. Mais cela est également dû à la culture américaine de ces réseaux sociaux, imprégnée du fameux “freedom of speech” (liberté d’expression).
Le pseudonymat comme protection
Au regard du cadre juridique, les internautes usent donc davantage d’un pseudonymat que d’un véritable anonymat. Pour nombre d’associations, le pseudonymat est un moyen pour les internautes de s’exprimer plus librement, y compris lorsque leur parole peut les mettre en difficulté. « C’est le cas des fonctionnaires qui ont un devoir de réserve et n’ont pas le droit de s’exprimer publiquement sur leurs opinions politiques. C’est aussi le cas des lanceurs d’alerte ou des personnes qui auraient des propos ou idées minoritaires et ne se sentiraient pas à l’aise de les défendre publiquement », comme le rappelait la députée Paula Forteza à 20 Minutes suite à l’affaire de cyberharcèlements de la Ligue du LOL en février 2019, en ajoutant que le pseudonymat était selon elle « une condition de la liberté d’expression ».
Une des cibles des membres de la Ligue, la blogueuse Daria Marx, évoque d’ailleurs le pseudonymat dans un billet sur l’affaire : « J’ai essayé de me battre. J’ai gueulé, j’ai signalé, j’ai ragé. J’ai fini par bloquer à vue. C’est encore mon fonctionnement aujourd’hui. Ils sont la cause de mon pseudonymat. Quand Daria Marx était menacée de mort, quand on la noyait sous des centaines de photos de merde et de pisse, je pouvais me dire que ce n’était pas moi. Je pouvais me détacher du personnage virtuel malmené. Cela m’a sauvé bien des fois. Cela ne m’aura pas épargné les nuits d’insomnie, les crises de larmes, les crises de nerfs, les nombreuses fois où j’ai pensé à avaler mes tubes de Lexomil, parce que ça ne finissait jamais, et qu’il fallait que ça s’arrête ».
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