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Risque et sécurité
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Numérique et démocratie : les liaisons dangereuses ?

14.06.2019

Le numérique peut encourager les plus jeunes à voter et favoriser l’implication des citoyens dans les décisions politiques. Mais il est aussi un outil de prédilection pour les manipulateurs d’opinion.

A l’instar de Tinder, une application propose à chacun de trouver l’élu… parmi les candidats au Parlement européen.

Lors des dernières élections européennes1, l’association Vote&Vous a co-construit avec 15 partis européens un quiz interactif d’information sur leurs programmes abordant des sujets variés : le réchauffement climatique, l’immigration, le mariage homosexuel, le libéralisme économique, l’interdiction du glyphosate, programme Erasmus, taxation des GAFA, référendum européen, égalités salariales homme-femme ou encore le salaire minimum dans l’Union européenne.

Le citoyen connecté se prononçait en accord ou non avec les propositions présentées, puis hiérarchisait celles qu’il avait retenues, et l’application lui indiquait le candidat idéal. Dans le même but, les dix items du questionnaire à choix multiples WeEuropeans conçu par l’association Make.org proposaient aux internautes d’identifier le bulletin à glisser dans l’urne, et cela en moins de dix minutes.

D’autres plateformes numériques ont fleuri sur la Toile peu avant le scrutin pour en présenter les enjeux de façon ludique, telles que Citizen’s app - mise au point par le Parlement européen - ou encore PopEurope. Celle-ci a été imaginée par la Maison de l’Europe pour sensibiliser les primo-votants et les inciter à prendre part au débat démocratique.

En effet, les trois-quarts des citoyens de moins de 35 ans n’avaient pas exercé leur droit de vote lors des élections européennes de 2014.

De même, en 2017 en France, les jeunes de 18 à 29 ans - bien que très majoritairement inscrits sur les listes électorales (85%) - avaient boudé les urnes : selon l’Insee, seuls deux sur dix avaient participé à tous les tours de la présidentielle et des législatives, contre 35% de l’ensemble des électeurs. Or, en mai dernier, la participation record des jeunes a déjoué les prévisions des sondeurs : 40% des électeurs de moins de 35 ans ont voté (avec un taux de participation globale en hausse, à 51,5%) selon Ipsos.

Les applications, podcasts et autres outils numériques d’information sur le débat démocratique en Europe ont donc sans doute atteint leur objectif, même si cette participation record des jeunes – qui a profité en premier lieu à la liste Europe Ecologie Les Verts2 - s’inscrit dans une mobilisation plus large en faveur de la défense de l’environnement et du climat.

Au-delà des élections, des outils pour co-construire les règles de vie de la cité

Le numérique facilite en effet la constitution de groupes d’influence citoyens et l’organisation d’actions comme les rassemblements et les pétitions. Il offre également un espace d’échange et de proximité avec les élus, qui l’utilisent pour soutenir les actions citoyennes locales IRL3.

Ainsi, le Conseil régional Centre-Val-de-Loire a instauré le Printemps citoyen : réunis sur une plateforme numérique ouverte aux propositions des associations locales, cette initiative dédiée au débat démocratique sur des sujets de société a compté cette année 71 événements sur le territoire régional qui ont réuni 4 200 personnes.

Le numérique permet aussi d’impliquer les citoyens dans la création de nouveaux services publics : la Région Bretagne a ainsi initié en avril dernier un datathon ouvert à tous et un incubateur dédié à l’expérimentation de nouvelles propositions de services publics par des start-ups locales.

De même, au niveau national, le gouvernement a lancé plusieurs consultations depuis un an pour recueillir les propositions des citoyens : sur l’accompagnement des seniors au grand âge dans le cadre d’une réforme de la santé, ou encore sur la démocratie, le pouvoir d’achat et la transition écologique dans le cadre du Grand Débat.

Ces consultations ambitionnent de nourrir la décision politique grâce au principe d’intelligence collective : conçues par l’ensemble de la société, les mesures seraient plus représentatives des idées de tous, plus consensuelles, plus justes aux yeux de chacun, mieux adaptées à la réalité du quotidien, et donc plus efficientes.

L’espace démocratique en ligne n’échappe pas aux tentatives de manipulation

Depuis son origine, Internet poursuit l’ambition de permettre un espace ouvert à tous, inclusif, libre et partagé. Les réseaux sociaux se veulent des espaces de débat permanents et collectifs, capables de favoriser la construction démocratique. Mais cet idéal rencontre des obstacles dans les faits, à commencer par les difficultés d’accès à l’outil numérique.

En effet, selon le Credoc, l’illectronisme concernerait 13 millions de Français soit 20 % de la population4. Les espaces numériques dédiés au débat démocratique excluraient donc de fait un citoyen sur cinq.

Par ailleurs, les réseaux sociaux, envisagés d’abord comme des plateformes de construction d’idées et de propositions grâce au dialogue argumenté entre le plus grand nombre d’internautes, ont été envahis par le pugilat et la propagande.

Le système de recommandation de contenus en vigueur sur les réseaux sociaux, qui repose sur la suggestion par les algorithmes de contenus similaires à ceux déjà consultés, empêche l’internaute de découvrir et d’explorer des propositions différentes de ses opinions déjà formées, et l’enferme dans une vision étriquée qui tend alors à se radicaliser au fil du temps.

De plus, le pseudonymat en vigueur sur ces plateformes - qui est garant de la liberté d’expression des minorités – facilite la diffusion des idées militantes dans le but d’orienter les convictions des citoyens en période électorale.

Le chercheur indépendant Baptiste Robert, qui tweete sous le pseudonyme « Elliot Alderson », a ainsi montré dans une enquête publiée par Mediapart en avril dernier, que les partis politiques français ont eu recours aux faux comptes sur les réseaux sociaux pour populariser leurs programmes en amont des élections européennes.

Lors de l’élection présidentielle aux Etats-Unis en 2016, le scandale Cambridge Analytica a montré que les réseaux sociaux pouvaient même devenir l’instrument de diffusion de « fake news » au bénéfice d’un candidat.

Former les citoyens de demain grâce à l’éducation aux médias numériques

Si rien de tel n’a été observé en France jusqu’à présent, les récents progrès des technologies numériques décuplent les risques de manipulation : l’intelligence artificielle permet aujourd’hui de créer de toutes pièces un discours vidéo semblant authentique, tel que celui mettant en scène l’ancien président américain Barack Obama insultant son successeur Donald Trump5.

A court terme, les campagnes électorales risquent d’être parasitées par ces « deep fake ». Les citoyens qui y seront confrontés sont aujourd’hui sur les bancs des écoles (voire des collèges ?). L’Education nationale est en première ligne pour les former à développer leur esprit critique face aux contenus diffusés par les plateformes numériques, où les frontières du savoir et de l’imposture sont de plus en plus floues.


1 Du 23 au 26 mai 2019 en Europe (le 26 en France)

2 En France, la liste EELV est arrivée troisième. Elle ressort en tête chez les jeunes, réunissant 28% des suffrages exprimés chez les jeunes de 25 à 34 ans et 25% chez les jeunes de 18 à 24 ans selon Ipsos.

3 In real life (dans l’environnement physique, par opposition à la sphère numérique)

4 https://www.mesdatasetmoi-observatoire.fr/article/illectronisme-une-fracture-sociale-ineffacable

5 https://www.youtube.com/watch?v=EtEPE859w94

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