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Risques numériques
Article

Parlons (enfin) de cyberharcèlement ! (1/2)

05.10.2017

L’usage des smartphones, tablettes et ordinateurs par les adolescents a fait émerger de nouvelles pratiques sociales et communicationnelles, à l’origine d’une mutation des procédés de harcèlement, aux effets potentiellement ravageurs. Episode 1/2.

« Quelqu’un a mis une vieille photo de classe sur Internet et l’a envoyée à toute la classe. Tout le monde se moque de moi et fait des plaisanteries à cause de mon appareil dentaire1 » ; « Des élèves de ma classe font circuler des rumeurs et tiennent des propos agressifs, via Facebook, contre une élève. » ; « Des garçons de mon collège ont reçu une photo de moi accompagnée de propositions sexuelles »…Ces témoignages issus du Guide pratique pour lutter contre le cyberharcèlement entre élèves illustrent parfaitement les applications concrètes de cette nouvelle forme de harcèlement spécifique au web et aux réseaux sociaux. En France, on estime qu’un collégien sur vingt est victime de cyberharcèlement 2. En 2017, 61 % d’entre eux disent avoir des idées suicidaires, et on estime que 3 à 4 suicides d’adolescents par an3 seraient dus au cyberharcèlement.

Aux origines : le harcèlement

Les définitions du harcèlement sont nombreuses et varient en fonction des auteurs. Dan Olweus4, spécialiste norvégien du phénomène, relève « trois composantes caractéristiques du harcèlement : l’agression, la répétition et le déséquilibre des forces. ». Ainsi, le harcèlement, pour être caractérisé, reposerait sur la récurrence des actes incriminés et sur leur teneur, écartant de fait « des brimades isolées, des disputes ou des bagarres ponctuelles5 ». Le harcèlement relève en outre d’un rapport asymétrique entre le harceleur et sa victime, source d’attaques, de moqueries et d’humiliations systématiques.

Le harcèlement peut avoir des répercussions psychologiques et émotionnelles de longue durée telles que des troubles d’anxiété, alimentaires ou de concentration accompagnés ou non de difficultés scolaires (absentéisme, décrochage scolaire), pouvant mener à une faible estime de soi. Dans les cas les plus sévères, le harcèlement peut conduire au mal-être, à la dépression voire au suicide. Ainsi que le souligne l’enseignante et psychologue britannique Michele Elliott, « quand quelqu’un est victime de harcèlement, cela envahit sa vie. L’élève en classe, ne peut se concentrer sur [son] cours, trop préoccupé par ce qui va se passer pendant la récréation, le déjeuner, après l’école et en ligne, une fois à la maison6. ».

Du numérique naît le cyberharcèlement

Avec Internet, les médias sociaux, les téléphones mobiles et autres appareils électroniques, le harcèlement se renouvelle, toujours gouverné par l’objectif de menacer, d’intimider voire d’agresser quelqu’un délibérément et de façon répétée.

Le harcèlement scolaire reste le plus souvent circonscrit à l’enceinte de l’école. Le cyberharcèlement, lui, envahit l’ensemble des espaces privés des adolescents et est quasi permanent : « il n’y a pas de répit pour les victimes qui sont la cible de leur(s) agresseur(s) 24h/24 et 7 jours/77 », et « la chambre n’est plus un sanctuaire qui protège8 ». L’anonymat sur Internet permet au harceleur d’agir sous couvert d’un pseudo, qui ne garantit toutefois pas « que l’agresseur et la victime ne se connaissent pas9. ». Pour la psychologue française, C. Blaya10, « les établissements scolaires sont directement affectés par ce qu’il se passe sur le web, le cyberharcèlement est une violence de proximité11 ». Une recherche menée par le T.A.B.B.Y12 (Évaluation du risque de cyberharcèlement entre jeunes) le confirme : « […] le cyberharcèlement est fortement corrélé au harcèlement en milieu scolaire et il peut s’agir de la prolongation de ce qu’il se passe dans l’établissement ou d’une vengeance par rapport à un harcèlement à l’école. »

Les messages constitutifs de cyberharcèlement se caractérisent par la rapidité et la viralité de leur diffusion : avec un seul clic, un même message peut être vu, relayé, « liké » et partagé plusieurs dizaines, centaines voire milliers de fois. De plus, ils sont quasi inaltérables, car les contenus diffusés peuvent rester en ligne même après avoir été effacés et supprimés par leur auteur originel, et venir hanter leur victime longtemps après les faits.

Il existe une certaine analogie avec les pilotes de chasse qui, dans un cockpit protégé et très loin de leur cible, ne réalisent pas directement les dommages occasionnés.

Malheureusement, les harceleurs, en l’absence d’interaction réelle et physique avec leur victime, n’ont souvent pas conscience des conséquences de leurs actes. On parle alors d’« effet cockpit », décrit dans le rapport Cyberharcèlement de l’Observatoire des Droits de l’Internet : « ce que les enfants […] osent écrire dans les e-mails et les sms est beaucoup moins nuancé que ce qui peut être exprimé en vis-à-vis. Il existe une certaine analogie avec les pilotes de chasse qui, dans un cockpit protégé et très loin de leur cible, ne réalisent pas directement les dommages occasionnés. De manière similaire, le cyberharceleur qui se trouve derrière l’écran de son ordinateur n’est pas conscient de la réaction émotionnelle de sa victime. Cet « effet cockpit » conduit le cyberharceleur à prendre une position ne laissant aucune place à la pitié face à sa victime et à montrer une absence totale d’empathie13. »

En outre, ce même rapport soulignait déjà en 2009 que « la chambre est une « zone connectée » dans laquelle les jeunes ont accès, grâce à la technologie, à un éventail plus large de culture, de détente et d’interaction sociale, souvent hors de la surveillance des parents ». L’ensemble de ces usages médiatiques développés en circuit fermé, entre adolescents et en dehors de tout contrôle, sont constitutifs d’une « Bedroom culture » propre aux jeunes générations, et qui s’applique parfaitement aux situations de cyberharcèlement.

Lire le 2e épisode consacré aux méthodes de cyberharcèlement et aux moyens de les prévenir.


1 Guide pratique pour lutter contre le cyber-harcèlement entre élèves, 2011, p. 7, http://www.nonauharcelement.education.gouv.fr/wp-content/uploads/2012/01/guide_cyberharcelement_finalwebnouveau_numero.pdf

2 Note d’information de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance n°39, Novembre 2014

3 Source : association, e-Enfance, 2016

4 https://fr.wikipedia.org/wiki/Dan_Olweus

5 As cited in danah boyd, C’est compliqué !, 2016, p. 253

6 Prévenir le (cyber)harcèlement en milieu scolaire, M. Elliott, traduction française par C. Blaya, éditions De boeck, Paris, 2015, p.22

7 Source : rapport du TABBY, http://fra.tabby.eu/

8 ibid. , p. 158

9 Source : rapport du TABBY, http://fra.tabby.eu/

10 Source : http://www.touteduc.fr/fr/archives/id-5848-cyberharcelement-et-climat-scolaire-les-premieres-donnees-de-l-enquete-de-c-blaya

11 Catherine Blaya, étude du lien entre cyberviolence et climat scolaire : enquête auprès des collégiens d’Ile de France, Les dossiers des sciences de l’éducation, 33 | 2015, 69-90, https://dse.revues.org/815

12 Source : rapport du TABBY, http://fra.tabby.eu/

13 Rapport Cyberharcèlement : Risque du virtuel, impact dans le réel, Observatoire des Droits de l’Internet, 2009, URL : http://economie.fgov.be/fr/binaries/Boek_cyberpesten_fr_tcm326-271185.pdf, p. 17

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