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Hygiène numérique
Article

Quand le numérique nous rend malades

06.07.2018

L’Organisation mondiale de la Santé a intégré le « trouble du jeu vidéo » dans la classification internationale des maladies (CIM) publiée le 18 juin dernier. Et les spécialistes accusent le numérique de générer bien d’autres maux encore. Examen.

L’abus de numérique nuit (parfois gravement) à la santé. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) vient en effet d’officialiser l’existence d’une pathologie nouvelle, apparue avec l’usage des nouvelles technologies numériques. Le « trouble du jeu vidéo » est désormais référencé dans la nouvelle édition de sa « classification internationale des maladies », publiée le 18 juin dernier et révisée pour la première fois depuis les années 1990. Plusieurs autres maladies du numérique pourraient bientôt rejoindre ce corpus, si le corps médical s’accorde sur la nécessité de les reconnaître comme des troubles spécifiques. Examinons-les :

Le « trouble du jeu vidéo »

L’OMS le décrit comme « un comportement lié à la pratique des jeux vidéo ou des jeux numériques, qui se caractérise par une perte de contrôle sur le jeu, une priorité accrue accordée au jeu, au point que celui-ci prenne le pas sur d’autres centres d’intérêt et activités quotidiennes, et par la poursuite ou la pratique croissante du jeu en dépit de répercussions dommageables ».

Concrètement, les joueurs atteints de ce trouble restent rivés à leurs écrans, parfois pendant des jours, oubliant de se nourrir ou de dormir, jusqu’à l’épuisement voire la mort. Depuis 2005 et l’avènement des jeux vidéo multijoueurs en ligne, des décès dus à ce trouble ont été répertoriés à Taïwan, en Corée du Sud, ou encore aux Etats-Unis.

Le journaliste britannique Simon Parkin a publié une enquête sur ce phénomène dans un livre intitulé « Death by videogames » 1. Parmi les 2,5 milliards de « gamers » dans le monde, ce trouble affecterait surtout les adeptes de jeux impliquant « un mécanisme de survie cosmique comme World of Warcraft » et épargnerait les pratiquants de jeux reposant sur « une interaction sociale en ligne tels que Minecraft », selon le psychologue américain Anthony Bean.

En Corée du Sud, où la culture du jeu vidéo est très vivace, le gouvernement a créé un centre de prévention dédié après avoir observé dans une étude de 2010 que 8% des jeunes coréens de 9 à 19 ans étaient dépendants aux jeux vidéo ou à internet.

Cyberdépendance et « Fobo »

Outre les « gamers », d’autres usagers du numérique peuvent développer une dépendance pathologique : l’addiction à internet, ou cyberdépendance. Théorisé par Ivan Goldberg dès 1995, ce trouble a été nommé et testé l’année suivante par Kimberly Young, une chercheuse de l’Université de Pittsburgh et fondatrice du centre thérapeutique Center for Internet Addiction.

Dans son étude 2, elle décrit des parents qui délaissent leur famille pour surfer sur internet, des employés qui ne peuvent s’empêcher de passer leur temps en ligne durant leurs heures de travail jusqu’à être licenciés, des consommateurs qui dépensent des centaines de dollars chaque mois pour des services du web, des internautes qui discutent continuellement sur des forums virtuels au point de se couper de toute interaction sociale IRL (i.e. : in real life, « dans la vraie vie »).

La chercheuse assimile l’addiction à internet à d’autres dépendances (l’alcoolisme, le jeu compulsif et les troubles alimentaires) et constate un même déni du principe d’addiction : plus de la moitié des accros à internet nie tout problème.

Depuis la publication de cette étude, notre quotidien est devenu de plus en plus connecté, et nous passons désormais en moyenne 6 heures par jour en ligne 3. Cette nouvelle habitude a fait apparaître la « Fobo » (i.e. : fear of being offline, ou « peur d’être déconnecté »), qui se traduit par des poussées d’angoisse quand l’utilisateur ne capte plus de réseau et la sensation de « vibrations fantômes ».

Nomophobie

Trois quarts des Français 4 utilisent leur smartphone chaque jour, souvent dès le lever et jusqu’au coucher 5, si bien que certains utilisateurs paniquent littéralement à l’idée d’en être séparés ou de le voir s’éteindre pour cause de batterie vide.

Ce trouble, nommé nomophobie (pour « no mobile phobia », peur d’être sans portable) touchait déjà 53% d’entre nous en 2008, selon une étude britannique. En cas de doute, vous pouvez vous autotester avec le questionnaire mis au point par Caglar Yildirim, un chercheur de l’Université d’Iowa, disponible en ligne (en Français ici).

La « dépression de Facebook »

Plus on passe de temps sur les réseaux sociaux, moins on a d’interactions en face-à-face. A l’origine de ce constat, la Faculté de médecine de Pittsburgh a alerté sur les risques liés aux réseaux sociaux dès juillet 2017 6 : obésité, problèmes vasculaires, perturbation de l’expression des gènes, et surtout dépression. Particulièrement friands de ces réseaux, les millenials sont aussi les plus exposés.

Le taux de jeunes anxieux ou dépressifs a bondi de 70% au cours des 25 dernières années, selon une étude britannique de la Royal Society of Public Health 7 qui relie directement ce chiffre à l’essor des réseaux sociaux. Parmi les 1500 sondés âgés de 16 à 24 ans, 7 sur 10 déclarent y avoir été victimes de cyberharcèlement.

D’autres se sentent déprimés ou angoissés de voir les photos de vacances et de célébrations de leurs amis, estimant que leur vie n’est pas aussi intéressante ou satisfaisante. Selon l’étude, 80 000 jeunes britanniques souffriraient de dépression sévère et 90% des jeunes filles aurait une mauvaise image de leur corps à cause des réseaux sociaux. Or, 5% des jeunes disent souffrir d’une dépendance aux réseaux sociaux, qu’ils jugent plus forte que celle à l’alcool ou au tabac.

Selfitisme

Vous prenez trois selfies (i.e. photo de vous-même) par jour, que vous retouchez minutieusement sans les publier sur les réseaux sociaux ? Ou vous publiez quotidiennement sur Instagram, Facebook ou Snapchat au moins 6 selfies ? Dans les deux cas, vous souffrez de « selfitisme » selon les récents travaux de deux chercheurs indien et britannique 8.

Les garçons âgés de 16 à 25 ans sont les plus sujets à ce syndrome traduisant une recherche d’attention, mais aussi un embellissant de leur quotidien, un effort de conformité sociale, une quête de likes virant à la compétition, et une estime de soi corrélée au nombre de « likes » reçus. La pratique massive du selfie fragiliserait l’estime de soi au lieu de la renforcer, et le déluge d’images à peine regardées amoindrirait notre capacité à ressentir des émotions face à une photo.

Plusieurs professionnels des réseaux sociaux ont déjà dénoncé ce miroir aux alouettes : dans une vidéo d’octobre 2016 intitulée « je vous mens », la youtubeuse lilloise Tycia dévoilait l’envers du décor de ses photos Instagram et interrogeait le bien-fondé de sa pratique : elle expliquait que pour engranger 700 « likes » grâce à une charmante photo d’une table agréable avec une assiette de moules-frites, elle avait dû se résoudre à manger froid et à exaspérer ses amis, invitant les internautes à conclure si cela était vraiment enviable. En février 2017, une vidéo de Ditch the Label et Boohoo.com montrait également les dérives du selfitisme.

« Cybersickness » ou « cybercinétose »

Avec un casque sur la tête, la réalité virtuelle nous fait expérimenter des univers nouveaux… et des désagréments bien connus des personnes souffrant du mal des transports (appelé « cinétose »).

Lors de ces immersions virtuelles, le cerveau se trouve décontenancé par les informations visuelles qui lui parviennent, et qui ne correspondent pas aux informations spatiales simultanément transmises par l’oreille interne. Il en résulte des nausées, des sueurs froides, des vertiges voire des suffocations. Des experts de l’ergonomie des médias interactifs, comme le Français Eloi Duclercq, travaillent à améliorer la conception des univers virtuels pour atténuer ces effets.

Cybercondrie

Qui n’a jamais consulté les sites médicaux sur Internet à la vue d’un bouton suspect ? Mais pour certains internautes, cette recherche d’information vire à la certitude d’avoir un cancer dès qu’ils souffrent d’une simple fièvre. Ces hypocondriaques connectés ne peuvent s’empêcher de traquer le moindre signe d’une dégradation de leur condition de santé, vivant dans la phobie d’une maladie grave.

Ils trouvent alors sur la Toile des éléments pour nourrir leur angoisse, au grand dam de leurs médecins qui perdent un temps précieux à démonter point par point ces pseudo-diagnostics alarmistes étayés en ligne.

Plus généralement, la lumière bleue des écrans est accusée de perturber notre endormissement et de provoquer des insomnies. L’afflux de notifications au cours de la journée perturbe notre concentration. Par ailleurs, les navigateurs GPS, les moteurs de recherches et les assistants numériques érodent nos capacités de mémorisation (« effet Google »). Pour aborder la rentrée en forme et en toute sérénité, pensez donc à déconnecter cet été !


1 Parkin Simon, Death by videogames : tales of obsession from the virtual frontline, Serpent’s Tail, 2015, 288 p. (en anglais)

2 Young Kimberly, « Internet Addiction : the emergence of a new clinical disorder », Université de Pittsburgh, août 1996.

3 Chiffre extrait de l’enquête « Digital, Social Media, Mobile et e-Commerce » publiée par Hootsuite et We Are Social le 29 janvier 2018

4 Ibid

5 89% des utilisateurs consultent leur smartphone au réveil et 81% avant de dormir, selon une étude Deloitte publiée en novembre 2017

6 « Social Media Use and Perceived social isolation among young adults in the US », étude menée auprès de 1787 Américains entre 19 à 32 ans

7 « Status of Mind : social media and young people’s mental health », 2017

8 « An exploratory study of « selfitis » and the development of the selfie behavior scale », par Janarthanan Balakrishnan (Ecole de Commerce de Madurai en Inde) et Mark D. Griffiths (Université de Notingham Trent, Grande-Bretagne), publiée en novembre 2017

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