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Vie privée
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Vos données peuvent rapporter gros

27.04.2017

Votre navigation sur internet en dit long sur vous. Ces informations précieuses permettent aux e-commerçants de vous proposer leurs produits au moment où vous en avez besoin, et d’augmenter leurs ventes. Découvrez la valeur de vos données personnelles.

« Si c’est gratuit, vous êtes le produit. » Ce constat est devenu proverbial sur Internet. Le moindre mouvement en ligne de chaque internaute est scruté par des programmes informatiques destinés à recueillir ses données personnelles pour aider les e-commerçants à lui adresser la publicité qui l’intéresse, au bon moment. Ces “trackers” et “cookies” se cachent dans des diaporamas photo, des sondages, des tests et quizz, des jeux-concours ou encore des comparateurs de prix. Ils enregistrent l’adresse IP de votre ordinateur et étudient l’historique de votre navigation pour déterminer vos centres d’intérêt et vos préoccupations du moment. Ainsi, après avoir fait quelques recherches en ligne sur un modèle de voiture, vous découvrirez en visitant votre profil Facebook une publicité pour ce constructeur automobile. Sachant que l’internaute est intéressé par son produit, le vendeur en ligne peut alors lui adresser une remise ou une offre spéciale pour le convaincre d’acheter chez lui plutôt que chez un concurrent. Et ça marche : le chiffre d’affaires issu des activités de ‘big data’ devrait croître de 50% d’ici à 2019, par rapport à 2016, pour atteindre 187 milliards de dollars dans le monde, selon les prévisions du cabinet IDC.

Des chasseurs de données discrets, mais efficaces

Avides de découvrir vos projets personnels, votre état de santé et vos intentions d’achats, les e-commerçants recueillent eux-mêmes vos données de navigation ou les achètent auprès de sociétés spécialisées. Auteurs d’« Anonymat sur Internet : Comprendre pour protéger sa vie privée » (Eyrolles, 2013), Martin Untersinger et Benjamin Bayart chiffrent à une centaine, le nombre de ces entreprises spécialisées dans la chasse aux informations de navigation, qui sont ensuite vendues aux e-commerçants par l’intermédiaire de sociétés négociantes.

Parmi ces courtiers de la donnée, BlueKai, rachetée par l’américain Oracle en 2014, compile 80 sources différentes, et traite 50 millions d’informations d’internautes par jour selon les auteurs. Datalogix, elle, vend les informations d’achats qu’elle extrait des transactions bancaires en ligne et dans les boutiques. Elle détiendrait plus de 1000 milliards d’informations détaillées sur les achats réalisés auprès de 1400 marques, selon une enquête publiée en 2014 par la journaliste Loïs Beckett. Acxiom, une société américaine qui dit « gérer et personnaliser 1 trillion d’interactions en ligne par semaine » propose aux marketeurs des statistiques spécifiques, issues des 700 millions de données de consommateurs qu’elle possède, selon la Federal Trade Commission. L’agence américaine de contrôle des activités commerciales estime qu’Acxiom a généré l’an dernier 850 millions d’euros de chiffre d’affaires grâce à la vente de données.

Peut-être les vôtres. Rien qu’en France, Acxiom assure pouvoir fournir l’adresse postale de 22 millions de foyers, l’adresse mail de 46 millions de comptes de messagerie, et 15 millions de numéros de téléphone… Mediapost, filiale du groupe La Poste, détient deux fois plus d’adresses postales, moitié moins d’adresses en ligne et autant de numéros de téléphone. Interrogé lors d’un reportage de Cash Investigation diffusé en octobre 2015, un responsable a confié -sous couvert d’anonymat- que cette société vend des fichiers clients aux e-commerçants, par exemple un lot de « 200.000 personnes avec enfant qui veulent acheter une voiture dans les trois prochains mois ». Une commande qu’il dit pouvoir livrer… en un quart d’heure !

Chacun de vos clics vaut quelques centimes

Les réseaux sociaux recueillent également les informations contenues dans vos posts, commentaires et “likes” avec assiduité pour les revendre sur le colossal marché de la data. Grâce au ciblage publicitaire permis par les données recueillies, voici ce que rapporte un utilisateur aux géants du web gratuit, selon une enquête dévoilée par Capital.fr avec les agences de publicité en ligne Ad’up et Makemereach en août dernier :

  • 0,002 euro : pour chaque affichage d’une publicité géolocalisée sur le trajet d’un utilisateur de Waze
  • 0,0056 euro : pour chaque photo sponsorisée affichée sur un profil Instagram
  • 0,05 euro pour chaque publicité vidéo visionnée pendant au moins 30 secondes sur Youtube
  • 0,15 euro : pour chaque clic d’un internaute CSP+ sur une publicité ciblée sur Twitter
  • 0,15 euro : pour chaque clic d’un internaute sur un bandeau publicitaire sur Gmail
  • 0,65 euro : pour chaque clic sur une publicité sur Facebook
  • 2 euros : pour chaque clic d’un internaute CSP+ sur une publicité ciblée sur Google
  • 4 euros : pour chaque clic d’un internaute CSP+ sur une publicité ciblée sur Linkedin

Pour valoriser vos données, suivez un régime !

Aux yeux des courtiers de données et des e-commerçants, nous ne sommes pas tous égaux en matière de données personnelles. Votre profil prendra de la valeur si vous attendez un enfant -en particulier si c’est le premier- ou si vous êtes fiancé -surtout si le mariage est prévu dans le mois. Et si vous souffrez d’une maladie chronique, vous serez la coqueluche des publicitaires !

Le Financial Times a mis en ligne un simulateur pour permettre à chacun de calculer la valeur de ses données personnelles. Chez un courtier en données, les informations de base -votre âge, votre code postal, votre sexe et votre niveau d’éducation- rapportent chacun 0,0005 dollar. Votre origine ethnique vaut dix fois plus. Connaître votre profession vaut entre 7 et 10 cents si vous exercer l’un des 24 métiers chéris des publicitaires, comme : pilote, avocat, comptable, ingénieur, agent immobilier ou d’assurances, entrepreneur, professionnel de la santé, du monde associatif, des ressources humaines, de la banque et de la finance, ou encore de la cosmétique et de l’industrie pharmaceutique.

Votre consultation de sites en lignes est valorisée à quelques dixièmes de cents, trois fois plus si vous vous intéressez à l’automobile plutôt qu’aux recettes de cuisine. Vos intentions d’achats valent autant, sauf s’il s’agit d’un téléphone portable : votre profil sera revalorisé d’un cent.

Vous êtes propriétaire ou vous venez de déménager ? Alors vous valez 8 cents de plus ! Idem si vous êtes propriétaire d’un bateau ou d’un avion. Si vous préférez la salle de fitness aux croisières, ne vous inquiétez pas : les annonceurs aussi ! Ils sont également friands des adeptes du régime, dont les données valent 10 cents de plus, soit autant que celles d’un milliardaire. Obésité, migraines, reflux gastriques, dépression, cholestérol : vos données de santé battent tous les records, à 20 cents pièce.

A profil et intentions d’achats similaires, un internaute américain rapportera deux fois plus qu’un Espagnol. Les chercheurs espagnols Ángel et Rubén Cuevas l’ont montré dans le cadre du projet européen TYPES. Leur plateforme Facebook Data Valuation Tool permet à chacun d’estimer les profits réalisés par le réseau social à partir de ses données personnelles, qu’il clique ou non sur des contenus publicitaires.

Arrondir ses fins de mois en vendant ses données personnelles

Le commerce des données personnelles interpelle les gouvernements et les associations de défense des libertés de chaque côté de l’Atlantique. Chargé de cours en psychologie et en science des données, à l’Université de Stanford, Michal Kosinski a montré en 2013, lors de son doctorat à Cambridge, qu’il est possible de profiler un utilisateur de Facebook – et de déterminer ses orientations sexuelle, politique et religieuse - en étudiant 68 de ses posts. Un autre chercheur américain a démontré que 87% des Américains peuvent être identifiés nominativement si l’on connaît leur âge, leur sexe et leur code postal.

Pour préserver les libertés individuelles, l’Union européenne a prévu de durcir dès 2019 les contraintes législatives pour les entreprises en matière de collecte et d’utilisation des données personnelles des internautes. Créer une taxe sur la collecte de cette nouvelle matière première est également en débat, tant en Europe que dans l’Etat de Washington.

Des start-ups entendent contourner ces questions en rémunérant les internautes qui acceptent de fournir leurs données personnelles. Comme la new-yorkaise Datacoup, la jeune pousse française Kwalead a lancé une plateforme proposant des sondages et des questionnaires dans 100 catégories, comme la banque, les travaux ou encore l’automobile. Les internautes inscrits gagnent entre 1 et 70 euros pour chaque étude à laquelle ils répondent, dans la limite d’un total de 500 euros par mois. Kwalead, qui a lancé ce service en janvier dernier, entend séduire 500.000 membres d’ici à la fin de l’année. Reste à savoir si les Français sont prêts à se mettre à nu en ligne pour monétiser leurs données.

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