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Pourquoi le vote par internet ne s’est-il pas imposé ?

03.04.2020

Dans une période où le confinement et la distanciation sociale sont devenus impératifs, le vote par internet pourrait être la solution miracle pour que perdure la vie démocratique. Cependant, cette technologie n’a pas encore convaincu à grande échelle.

En pleine crise mondiale du coronavirus et à l’aube d’un confinement inédit en France, le premier tour des élections municipales s’est déroulé le 15 mars de la façon la plus normale possible. En dépit de la crise sanitaire, assesseurs et citoyens se sont rendus dans de vrais bureaux de vote. Dans ce contexte, le vote électronique aurait pu être envisagé, lui qui a déjà utilisé pour les ressortissants français de l’étranger, par exemple. Comment expliquer que le vote dématérialisé à distance n’est toujours pas une alternative viable et solide au vote traditionnel ?

Concrètement, le vote électronique consiste à faire voter à distance les électeurs de façon totalement dématérialisée. L’électeur se connecte, depuis son ordinateur ou son mobile, sur un site officiel dédié grâce à ses identifiants personnels. Il peut ensuite choisir le candidat ou la liste pour laquelle il veut voter.

Dans quels pays vote-t-on par Internet ?

En Estonie, pays qui a déjà dématérialisé la quasi-totalité de ses services publics, le vote électronique est proposé depuis 2005 pour plusieurs scrutins : élections européennes, élections nationales… Lors des dernières élections législatives en mars 2019, 44% des Estoniens ont voté par internet via un système dédié, baptisé “i-Voting”1 . Ce dernier permet notamment au citoyen de revenir sur son vote autant de fois qu’il le souhaite, et ce, jusqu’à quatre jours avant le scrutin. Et l’électeur peut, s’il suspecte une fraude, un bug ou qu’il n’a pas pu voter en toute liberté de choix, se rendre dans bureau de vote, ce qui annulera alors son vote par internet et rendra celui en bureau de vote définitif.

L’ancêtre du vote électronique est le vote par correspondance, qui est encore utilisé dans certains pays comme la Suisse ou l’Allemagne, mais aussi pour les élections législatives françaises pour les Français de l’étranger. En Suisse, le vote électronique à distance a pu se développer “grâce à la grande expérience du pays avec le vote par correspondance”2, comme le mentionne le site de la chancellerie fédérale suisse. Les Suisses ont donc l’habitude de voter depuis chez eux, “dans un environnement non contrôlé par les autorités. Dans d’autres pays qui n’ont pas de vote par correspondance, le vote électronique est donc un changement de paradigme plus conséquent, et certains risques, comme l’achat de votes, sont considérés comme plus élevés”3, ajoute la chancellerie.

Mais la Suisse n’est pourtant pas épargnée par les risques que présente le vote électronique. Alors que jusqu’au début de l’année 2019, dix des 26 cantons proposaient le vote électronique, plus aucun ne le propose actuellement.

En France, le vote par internet est utilisé pour les Français de l’étranger. Les expatriés ont ainsi pu le tester pour la première fois pour les élections législatives de 2012. Et ils ont majoritairement opté pour ce mode de scrutin à chacun des tours (57,4% au premier, 53,5% au second). En revanche, le dernier gouvernement du quinquennat Hollande avait décidé de renoncer à ce dispositif pour les élections législatives de 2017, par crainte de cyber-attaque. Le communiqué du ministère des Affaires étrangères évoquait “des recommandations des experts de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes informatiques” et “un niveau de menace extrêmement élevé de cyber-attaques qui pourrait affecter le déroulement du vote électronique"4 pour justifier cette décision.

Des risques de cyber-attaques encore trop importants

Matthias Fekl, secrétaire d’Etat chargé du commerce extérieur et des français de l’étranger, avait pour sa part parlé d’un “contexte très précis”, à savoir des “soupçons sur l’élection américaine” (en référence aux soupçons de triche lors de l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche) et de “la décision des Pays-Bas de renoncer au vote électronique”. Ces événements auraient pu laisser croire “qu’on laisse s’organiser des élections législatives qui ne soient pas 100 % fiables et incontestables”5, avait ajouté le secrétaire d’Etat.

Le vote par internet présente des risques indéniables en matière de cybersécurité. Steve Grobman, directeur de la technologie de McAfee, conseille “aux gouvernements d’utiliser le vote par correspondance plutôt que de mettre en place un vote par internet ou application mobile”.
“Le vote par correspondance est une mode de scrutin plus sûr parce qu’il est plus compliqué de truquer les bulletins de vote à grande échelle. Alors qu’à l’inverse, voter par internet induit la possibilité de l’erreur humaine, mais aussi la possibilité de manipuler plus facilement le vote des citoyens à grande échelle via des cyber-attaques utilisant des malwares par exemple”, nous précise Steve Grobman.

Cette manipulation des votes pourrait être calquée sur le modèle du phishing. Cette escroquerie numérique consiste à faire entrer à un utilisateur ses identifiants sur un site qu’il croit être officiel, comme celui de sa banque par exemple. Ensuite, l’utilisateur est incité à réaliser une transaction, comme un virement bancaire. C’est à ce moment-là que le virus réalise à son insu une opération différente, comme celle de transférer de l’argent vers le compte du fraudeur.
Comme l’explique Steve Grobman, le même genre de fraude pourrait être appliqué aux votes par internet : “Le votant pourrait choisir un candidat ou une liste et avoir l’impression d’avoir voté pour son choix, mais le vote serait en réalité comptabilisé pour un autre candidat”. Pire encore, à l’inverse d’un phishing bancaire où l’utilisateur peut se rendre compte par la suite de l’arnaque en constatant des mouvements suspects sur son compte, il ne pourrait pas le déceler sur une plateforme de vote en ligne.

Cette possibilité de fraude a d’ailleurs été prouvée par un informaticien français, Laurent Grégoire. Habitant à Amsterdam, il était appelé à voter par Internet via le dispositif prévu pour les Français de l’étranger lors des élections législatives de 2012. Il a alors démontré que l’application Java prévue pour ce scrutin numérique pouvait être facilement modifiée et le vote de l’électeur pouvait ainsi être changé à son insu.

Au-delà de l’aspect purement cyber-sécurité, le vote par internet soulève bien d’autres questions : comment garantir l’égalité des citoyens face au vote alors que de nombreuses personnes n’ont toujours pas accès à internet ? Comment s’assurer que les citoyens votent en toute liberté et sans contrainte et influence extérieure ? L’installation de bureaux de vote numérique est-elle une priorité quand on voit que l’administration n’a pas encore achevé sa transformation numérique pour des services de base ?


1 Source : “site officiel de l’e-Estonia”

2 Source : “site de la Confédération, des cantons et des communes suisses”

3 Ibid.

4 “Les Français de l’étranger privés de vote électronique pour les législatives” publié le 06/03/2017 par la rédaction de RFI.

5 “Pas de vote électronique pour les Français de l’étranger” dépêche AFP du 06/03/2017.

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