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Biohacking : la révolution scientifique en ligne

26.10.2018

Alors que la biologie française s’empêtre dans de nombreuses affaires depuis 3 ans, des hackeurs montrent qu’il est possible de faire de la science avec une connexion Internet et très peu de moyens. Plongée dans le milieu expérimental du biohacking.

Il faut passer une cour pavée, puis une deuxième. Là, à droite, avec sa façade proprette et ses tables en bois posées à l’extérieur, La Paillasse pourrait ressembler à n’importe quel incubateur de start-up. Après tout, nous sommes dans le 2ème arrondissement de Paris et non loin d’un secteur que l’on appelle « Silicon Sentier ».

L’endroit pourrait très bien être investi par de jeunes conquérants 3.0 prêts à disrupter l’économie. Sauf qu’à l’intérieur, ni seuil de rentabilité ou plan de retour sur investissement.

La Paillasse est un long dédale d’inventions, de bric, de broc et de fils, de matériaux épars et d’ordinateurs. Entre une tablette et une bouteille de Badoit, on peut trouver une boîte en carton qui pourrait bientôt révolutionner les diagnostics génétiques sur les aliments contenant des traces d’OGM.

Dans la salle de réunion vitrée, on discute de futurs composants biodégradables qui changeront à jamais le futur des appareils électroniques. À la Paillasse, on ne bouleverse définitivement pas l’économie, on invente le futur de la biologie.

Réparer le vivant

La Paillasse - du nom du plan de travail scientifique - se définit comme un laboratoire du XXIème siècle. Ouvert, communautaire et plein de hackeurs. Parce qu’il est surtout le premier « biohackerspace » d’Europe, ces endroits où l’on redéfinit complètement la biologie, avec un clavier et une souris.

« L’enjeu ici est de faire exploser la diversité des usages en favorisant l’accès aux laboratoires et aux ressources, pour permettre à un grand nombre de personnes d’imaginer la façon d’utiliser la biologie au service d’une problématique sociétale », disait en 2013 Thomas Landrain co-fondateur du lieu, lors d’une conférence TEDx parisienne.

À l’époque, le jeune thésard en biologie de synthèse investit un squat dans la banlieue de Paris. Au contact de plusieurs hackers, il peaufine sa vision d’une biologie accessible à tous, pas chère et complètement ouverte.

En 2013, cela ne fait que deux ans que Thomas a entendu parler d’un drôle de concept né aux États-Unis quelques années plus tôt : le DIY Bio (de Do It Yourself, Le faire soi-même, ndlr). À la base du mouvement, une idée qui ne coûte pas très cher : tout le monde peut réinventer le vivant avec un placard, 1000 dollars et un mois de loyer.

Comme souvent dans le milieu de la contre-culture américaine, cette idée en télescope une autre - complètement préconçue d’après les jeunes visionnaires - selon laquelle le génie génétique serait une activité réservée à une élite. D’après eux, elle est l’affaire de tous et n’a pas besoin de laboratoires ultra-sophistiqués pour s’inventer.

En rupture totale avec la communauté scientifique, les premiers adeptes du DIY Bio chercheront très tôt à se rapprocher d’un autre groupe qui croit en l’ouverture autant qu’en la désobéissance à l’égard des autorités. C’est ainsi qu’ils vont trouver dans les hackers et leur culture - solidarité, compétences techniques, démontage - de solides alliés.

Aux alentours des années 2010, presque tous les membres de la Do It Yourself Biology se revendiquent en tant que « biohackers ». Quelques années plus tard, ils feront la démonstration, avec leurs PC, de leur capacité à faire des découvertes théoriques. Qu’il s’agisse de jouer avec les codes génétiques de l’homme et de l’animal ou de créer des kits biologiques en open source.

Tous des super-héros ?

À ce jour, on compterait environ 1 240 biohackerspaces dans le monde. Selon Thomas Landrain, il en naîtrait un nouveau chaque mois.

De ces espaces de liberté absolue - où l’on associe chercheurs, juristes, sociologues, philosophes, artistes - s’échappent de nouvelles inventions aux vocations qui semblent extraordinaires. Comme cet algorithme capable de différencier, d’après l’imagerie médicale, tumeurs bénignes et malignes pour un coût proche de zéro.

Grâce au numérique, la Paillasse a créé un bioréacteur qui permet de contrôler la prolifération des bactéries et de créer des biomolécules pour détoxifier les déchets. Coût ? 500 euros, soit 100 fois moins qu’un développement commercial.

Le Web et la DIY Bio ont également permis de démocratiser des savoirs extrêmement complexes. Longue entreprise académique de 23 ans, le code du génome humain serait désormais disponible en ligne, sous la forme d’un fichier de 1,44 gigaoctet.

En près de 10 ans de conceptualisation et à grands renforts de conférences TEDx, le biohacking semble désormais être parvenu à un certain degré d’institutionnalisation. Depuis 2014, la Paillasse est soutenue par la Ville de Paris et plusieurs de ses projets ont été financés par des organisations bien connues, de la NASA à Sony.

Sur Internet aussi, les biohackers commencent à se faire une certaine e-réputation. À commencer par Josiah Zayner, chercheur scientifique américain aussi talentueux qu’excentrique, qui vend « des kits d’auto-administration de thérapie génique » entre 23 et 150 euros.

Le biohacker s’est révélé au grand public en s’injectant dans l’avant-bras de quoi modifier ses cellules musculaires. Dans son sillage, de drôles de personnalités brandissent les propriétés de la DIY Bio, comme ce guru de la tech qui entend dépenser 250 000 euros afin de devenir un super-héros ou cet ancien « bricoleur du vivant », premier homme à s’injecter un traitement inédit contre l’herpès et retrouvé mort dans de mystérieuses circonstances.

Parce qu’Internet est un immense espace de liberté, le biohacking fait aussi l’objet des plus folles rumeurs. Va-t-on pouvoir vivre éternellement via à un kit à 100 euros en ligne ? Va-t-on pouvoir choisir la qualité de peau de nos enfants ainsi que leur taille et la couleur de leur yeux par grâce à un PDF ? Quoi qu’il en soit, les biohackers posent d’ores et déjà des cas de conscience à certains gouvernements en matière de biosécurité, notamment en Allemagne.

Thomas Landrain ne s’embarasse pas de ces questions juridiques et préfère souligner que les biohackers ont mis au point une première charte éthique, ce que les académiciens n’avaient jamais su faire avant eux. Et les récentes affaires d’inconduite scientifique de la biologie française pourraient bien lui donner raison.

Alors, demain, tous savants ?

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