Blockchain : la révolution silencieuse
Elle serait annonciatrice d’une nouvelle révolution, équivalente à celle d’Internet. Si l’on tend bien l’oreille, la technologie blockchain devrait même sauver le monde. Mais de quoi s’agit-il ?
Qui est aujourd’hui capable de nommer l’inventeur d’Internet ? Chaque fois qu’un grand mouvement se lève, il est en général déjà trop tard pour en identifier les pionniers. Quant à la technologie blockchain, nombreux sont ceux qui l’associent déjà à une révolution similaire à celle survenue avec Internet. Mais cette fois, tous en situent très bien les origines.
Déchaînement
C’était en 2008. Cette année-là, alors que la crise frappe la planète, Satoshi Nakamoto met en ligne un fichier PDF intitulé « Bitcoin : un système monétaire électronique de pair-à-pair ». Dix ans plus tard, le document éclabousse encore le monde de l’économie, qui a vu le cours du bitcoin monter et descendre, sans vraiment tomber d’accord sur sa viabilité. En revanche, tout le monde s’accorde sur le bien-fondé de la technologie à l’origine de la crypto-monnaie, et ce bien au-delà du monde économique.
Politiques, artistes, ingénieurs, développeurs… tous se mettent à parler de révolution. Ils finiront par mettre un nom sur la technologie que Satoshi Nakamoto lui-même ne nomme jamais le long des neuf pages de son manifeste : il s’agit de la blockchain ou « chaîne de blocs ».
Aujourd’hui, elle est partout. À la Une des magazines, sur les fils d’actualité Facebook, au sein des conversations Twitter et même dans l’hémicycle de certains parlements.
En France, la blockchain a fait une entrée fracassante à l’Assemblée Nationale via deux amendements défendus par une députée LR dans le cadre de la loi Sapin sur la transparence financière et la lutte contre la corruption. Son idée ? Se servir de cette technologie pour valider les transactions financières ou la reconnaissance d’actes juridiques.
Si ces propositions ne sont finalement pas retenues, la blockchain parvient dès lors à pénétrer les institutions, et fera même son bout de chemin en politique. Le 9 décembre dernier, le conseil des ministres a adopté une ordonnance qui facilite la transmission de certains titres financiers non côtés au moyen de la technologie blockchain. Une première en Europe.
Dans d’autres pays, la blockchain dépasse même le domaine financier. Au Ghana, elle est utilisée pour résoudre les problèmes liés à l’absence de registres et de cadastres. La technologie quitte donc peu à peu le milieu des initiés. Mais quid du grand public ?
Malgré les couvertures de magazines et les titres racoleurs, il serait aujourd’hui très prétentieux d’affirmer qu’une majorité s’est appropriée le concept. Alors, on l’explique. Et on fait souvent référence à l’allégorie donnée par un mathématicien 1 pour présenter la technologie.
La blockchain ressemblerait à un « grand livre de compte qu’on met sur la place du village et où tout le monde a le droit d’écrire mais que personne ne peut effacer. Le livre enregistre l’historique de toutes les transactions qui ont lieu au sein du village ». Mais la blockchain se fonde aussi sur une promesse, celle de pouvoir se faire confiance sans se connaître et sans intermédiaire.
Mieux qu’une banque, Uber et… la loi
La chaîne de bloc est ainsi composée de toutes les transactions que les individus ont passées entre eux. Elle garde trace de tout ce que l’on possède et de tout ce que l’on échange. Avant de valider une transaction, le système va scanner l’ensemble de la chaîne pour s’assurer que le contractant possède bien ce qu’il prétend échanger. Une fois la transaction approuvée, un nouveau bloc vient s’ajouter à la chaîne.
Le système informatique fonctionne grâce à une grande puissance de calcul que des particuliers - baptisés « mineurs » - offrent et utilisent pour vérifier les échanges. Mais à quoi cela sert-il concrètement ?
Dans le cas du bitcoin, la blockchain permet à des individus d’échanger de l’argent sans avoir recours à un tiers, qu’il soit privé (une banque) ou public (les institutions monétaires). La technologie donne donc un pouvoir décentralisé à ses utilisateurs. Comprendre : la blockchain offre un vrai espace de liberté et redonnerait purement et simplement le pouvoir aux internautes.
Dans la vraie vie, comment ça marche ? Les défenseurs de la technologie ont plusieurs fois mis en avant les smart contracts, ces programmes autonomes qui exécutent automatiquement les conditions définies au préalable et inscrites dans la blockchain.
Certaines applications rêvent ainsi de concurrencer Airbnb, Uber ou Deliveroo en mettant en relation les utilisateurs directement entre eux. L’industrie culturelle pourrait aussi tirer parti des chaînes de blocs pour prouver qu’une création appartient bien à un artiste, ou encore rémunérer équitablement les artistes en identifiant facilement les auteurs d’une œuvre d’art. Ces éléments intéressent de plus en plus les gouvernements, séduits par son potentiel de simplification, qui pourraient ainsi l’utiliser dans les domaines de l’économie et de la culture, mais aussi dans celui de la santé.
Mais alors, pourquoi la révolution n’est-elle pas d’ores et déjà en marche ? Car plusieurs freins empêchent la blockchain d’avancer.
Le premier est culturel : on l’a dit, le grand public associe encore la technologie à un milieu d’initiés, qui a du mal à en démocratiser les usages. En découle une méfiance vis-à-vis d’un protocole technique dont la confiance est paradoxalement le principe fondateur.
Le deuxième est légal : beaucoup de sujets liés à la blockchain tombent dans un vide juridique, et le vœu d’un Internet décentralisé est encore un mythe auquel goûte peu le Législateur.
Enfin, le troisième est écologique : pour vérifier une chaîne de blocs, le système utilise énormément de puissance de calcul et beaucoup de machines qui font grimper la facture énergétique. Il semblerait donc qu’il faille attendre encore un peu avant de sauver le monde.
1 Jean-Paul Delahaye
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