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Risque et sécurité
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Conspirationnisme sur Internet : VOUS N’ALLEZ JAMAIS CROIRE CET ARTICLE

31.05.2019

De l’aveu de beaucoup, le Web facilite la multiplication de théories fallacieuses. Endoctrinement, fake news, radicalisation… entre alunissage fictif et vrais reptiliens, qui tire les ficelles du complotisme sur la Toile ?

Sunkyspammy est conspirationniste. Et elle n’y croyait plus. Non pas au grand ordonnancement du monde, mais à l’amour.

D’abord, dans une ville comme New York, les relations se font et se défont comme un jouet dans un Happy Meal. Mais surtout, selon elle, beaucoup trop de monde n’est pas assez « éveillé ».

Alors quand elle a entendu parler d’Awake, l’application de rencontre qui permet « aux vrais gens de faire des vraies rencontres », elle s’est jetée dessus. Pensant enfin trouver une âme sœur réfléchie, vigilante et hyper attentive « à toutes ces choses qui affectent nos vies quotidiennes ».

You(en)Tube

Nous ignorons si Spunkyspammy a trouvé l’amour. Ce que l’on sait, c’est qu’à ce jour Awake existe encore et met toujours plus de personnes « éveillées » en relation.

Créé en 2016, le service ferait matcher des milliers de personnes qui échangent des théories abstraites sur la façon dont le « système » endort la population.

Certains se sont moqués en taxant l’idée brevetée par l’Australien Jarrod Fidden de « site de rencontres conspirationnistes ». D’autres, moins nombreux, se sont un peu plus inquiétés, soulignant que si une telle application pouvait prospérer, c’est que le conspirationniste avait définitivement infiltré la culture digitale.

Ce n’est sûrement pas Jonathan Albright qui dira le contraire. Ce directeur de recherche au Tow Center for Digital Journalism a disséqué l’algorithme de YouTube après la fusillade de Parkland, survenue aux États-Unis le 14 février 2018. En partant du mot-clé « crisis actor », le data journaliste a découvert un réseau de 8842 vidéos dont la majorité recèle une théorie conspirationniste. Au total, elles cumulent 4 milliards de vues.

Quelques jours avant la tuerie de Parkland, un ancien employé de YouTube décidait de révéler dans le Guardian comment l’algorithme de recommandation de l’entreprise avait joué un rôle déterminant dans la campagne présidentielle américaine de 2016.

Licencié par Google en 2013 (Google a racheté YouTube en 2006, ndlr), Guillaume Chaslot est un développeur en informatique français qui a désormais fondé son association baptisée AlgoTrasnparency.

À l’aide d’un robot, lui et son équipe ont montré que YouTube favorise certaines vidéos politiques, nettement clivantes voire conspirationnistes. Au Guardian, il explique que l’algorithme de recommandation du site n’a pas été créé pour offrir un contenu éclairé et objectif mais « pour faire rester les gens sur le site et accroître le temps de visionnage ».

Zeynep Tufekci, célèbre techno-sociologue critique, le pose autrement. « C’est comme si rien n’était trop hardcore pour YouTube, écrit-elle dans le New York Times. L’algorithme s’est rendu compte que si vous pouviez inciter les gens à penser que vous pouvez encore leur montrer quelque chose de plus hardcore, ils sont susceptibles de rester plus longtemps ».

Accusé de faire le jeu des conspirationnistes, Google n’a pas tardé à réagir. Premièrement, en démentant vaguement les arguments de Guillaume Chaslot. Deuxièmement, en essayant de faire bonne figure.

En début d’année, YouTube s’engage dans un communiqué à « commencer à réduire le nombre de recommandations de contenus susceptibles de désinformer les usagers de façon néfaste » en prenant l’exemple de vidéos faisant la promotion d’un remède miracle à une maladie grave, d’autres assurant que la Terre est plate ou affirmant des éléments faux sur le 11 septembre.

Entre-temps, l’ensemble des géants du Net a lancé une offensive contre les conspirationnistes et notamment l’un de leurs plus célèbres représentants, Alex Jones. L’été dernier, cet ancien animateur de radio qui rassemblait des millions de personnes sur sa chaîne YouTube s’était vu privé d’accès à Facebook, YouTube, Apple et Spotify.

Anti conspi

Pour les lanceurs d’alerte comme Guillaume Chaslot, l’initiative des GAFA ne tombe pas du ciel. D’abord, elle répond à un souci d’influence et de responsabilité. On compte 1,5 milliards d’utilisateurs de YouTube dans le monde, c’est plus que le nombre de foyers possèdant une télévision. Ensuite, la pénétration du conspirationnisme sur Internet télescope celle des infox, ou fake news, face à auxquelles les États commencent à légiférer.

En France, le président de la République promulguait le 22 décembre dernier une loi organique contre la manipulation de l’information. Elle fait suite à la vigilance croissante des pouvoirs publics vis-à-vis de la prévention du complotisme, perçu également comme facteur de radicalisation, de racisme et d’antisémitisme.

Pour Rudy Reichstadt, fondateur de l’Observatoire du conspirationnisme et des théories du complot (Conspiracy Watch), la recrudescence des théories fallacieuses s’est accélérée dans l’Hexagone à partir des attentats de 2015.

À l’époque, la ministre de l’Éducation nationale soulignait qu’un jeune sur cinq y adhérait. Et c’est évidemment sur la Toile que ces derniers leur donnent du sens.

« Aujourd’hui, explique-t-il dans un entretien au Magazine Littéraire, avec une simple connexion internet, nous sommes tous, en puissance, des producteurs de contenus. Pour le meilleur, nous pouvons témoigner de ce que nous voyons en direct sur les réseaux sociaux. Pour le pire, nous pouvons aussi lancer et surtout relayer une rumeur en quelques secondes. »

Certaines d’entre elles jouissent parfois d’une longue durée de vie. Parmi les grandes théories du complot qui semblent en circulation depuis toujours, on trouve l’existence de sociétés secrètes, les « chemtrails » chimiques (traînées blanches créées par le passage des avions en vol, ndlr), l’assassinat de JFK commandité par la CIA ou l’alunissage qui n’a jamais eu lieu.

Autant de présomptions compilées dans une enquête menée par Conspiracy Watch en partenariat avec la Fondation Jean Jaurès. Parue en janvier 2019, elle rappelle que le conspirationnisme concerne, « dans sa forme la plus intense », pas moins d’un Français sur quatre.

Suffisant pour alerter le gouvernement et les organisations de la société civile impliquées dans le besoin de sensibiliser le public au phénomène.

Après tout, un million de mensonges auraient été visionnés chaque jour sur les réseaux sociaux pendant la campagne présidentielle. Et une étude publiée le 21 mai dernier par l’Université d’Oxford vient de montrer que les fake news sur l’Europe se répandent sur Facebook.jusqu’à 4 fois plus que les vraies infos.

Alors, que faire ? D’abord, établir un diagnostic : l’accélération des flux d’informations sur un mode intuitif et émotionnel, l’industrialisation des fausses nouvelles (à une époque où l’on peut acheter des milliers de retweets pour 3 euros) et la crise de confiance envers les sources traditionnelles d’information favorise l’accumulation de complots.

Ensuite, proposer des moyens d’action. Le gouvernement s’engage depuis 2016 à déconstruire le conspirationnisme via des dispositifs comme ontemanipule.fr auquel s’est joint le comédien et humoriste Kevin Razy.

De son côté, le réseau Canopée, opérateur public, propose une série d’outils aux professeurs pour les aider à préparer leurs classes à faire face aux fausses informations. Certains d’entre eux comme Sophie Mazet, autrice d’un Manuel d’autodéfense intellectuelle, organisent même des formations à l’esprit critique à destination de leurs élèves.

Au-delà de la sphère publique, ils sont de plus en nombreux à combattre les complotistes sur YouTube. Ils s’appellent les « anticonspi » et cumulent désormais des millions de vues en utilisant les mêmes codes que leurs adversaires.

De la vigilance donc, et beaucoup d’éducation face à des théories farfelues qui, d’après les spécialistes, sont somme toute faciles à démonter. Cela étant dit, il sera sans doute beaucoup plus compliqué de lutter contre les éveillés d’Awake. Car que peut-on contre l’amour ?

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