Enfants youtubeurs : que dit la loi ?
Les plateformes de vidéos comme les parents de vidéastes de moins de seize ans doivent respecter une nouvelle loi, entrée en vigueur en avril dernier. Plusieurs mesures encadrent (enfin) la pratique.
« Bonjour à tous. Je vous remercie pour toutes mes vues et tous mes abonnés (…). Donc on va commencer maintenant le maquillage de La Reine des Neiges avec un petit peu de fond de teint. » Amy a tressé sa chevelure bonde, comme Elsa, princesse Disney à qui elle va tenter de ressembler. Diadème en toc posé sur sa petite tête d’enfant, la (très jeune) Youtubeuse détaille face caméra chaque étape de son tutoriel de maquillage. Derrière l’écran ? Presque quatre millions d’internautes ont vu cette vidéo de 9 minutes.
Amy n’est pas l’exception qui confirmerait la règle. Nombreux sont les enfants Youtubeurs qui cumulent des centaines de milliers, voire des millions de vues sur la plateforme de vidéos, interdite - c’est un comble - au moins de 13 ans.
En France, la chaîne YouTube de « Swan & Néo », deux frères de 9 et 13 ans, et celle des sœurs Athéna et Khalys, 8 et 13 ans, nommée « Studio Bubble Tea », sont suivies respectivement par 5,52 millions et 1,75 millions d’abonnés.
Outre leur popularité, leurs vidéos (des challenges, des dépaquetages de jouets, des pranks, des tests de jeux vidéo…), ont un point commun : la présence, tantôt derrière tantôt devant la caméra, de leurs parents.
Les enfants influenceurs sont-ils influencés par leurs parents ?
Les chaînes « familiales » sur YouTube interrogent : les enfants apprécient-ils réellement cette activité ? Leurs parents les poussent-ils à tourner toujours plus de vidéos, dans la visée de faire toujours plus de vues, donc d’argent (puisque les créateurs de contenus sont rémunérés par la plateforme au nombre de clics) ? Les adultes vivent-ils leur rêve à travers le succès de leur enfant ? S’agit-il de travail dissimulé ? Pourquoi les enfants mannequins ou acteurs sont-ils soumis à un contrat de travail et pas ces enfants vidéastes ? Oui, mais… comment contrôler le nombre d’heures d’un travail si celles-ci sont effectuées à l’abri des regards, entre les murs du foyer, et non dans un studio ou un plateau de tournage ?
Il n’y avait jusqu’à peu aucun texte de loi pour répondre à ces questions. Vide juridique. Mais le 19 octobre 2020, une loi pour règlementer la pratique a été promulguée.
Déposé au Parlement en décembre 2019, examiné puis voté à l’unanimité par les élus début octobre 2020, le texte porté par le député LReM du Bas-Rhin Bruno Studer qui contient plusieurs mesures pour encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’un mineur de moins de 16 ans, est en vigueur depuis le mois d’avril 2021.
La fin du vide juridique
Parmi ces mesures : l’obligation pour les parents d’enfants de moins de seize ans Youtubeurs, influenceurs, ou e-sportifs, de demander avant diffusion une autorisation ou un agrément auprès de l’administration compétente, soit, le préfet du siège social de l’entreprise qui engage le mineur.
Si l’enfant est à la fois le producteur de l’enregistrement audio-visuel, le principal sujet de celui-ci, et enfin, que son contenu est diffusé à titre lucratif sur une plateforme vidéo, alors, il est aussi imposé aux parents d’avoir une autorisation ou un agrément préalable, avant tournage. En l’absence de ces documents, l’administration peut saisir le juge des référés.
Enfants youtubeurs, influenceurs ou e-sportifs : des enfants du spectacle comme les autres
Lorsqu’ils formuleront ces demandes obligatoires, les parents seront informés des droits de l’enfant et des conséquences de son exposition sur la Toile. La partie « sensibilisation » de cette loi, qui n’est autre qu’un prolongement de la législation pour les enfants du spectacle.
Et comme c’est la règle pour les enfants du spectacle, les parents de « baby Youtubeurs » ont désormais l’obligation financière de placer une partie des revenus perçus par leur progéniture (par YouTube, grâce aux nombres de vues sous ses vidéos, mais aussi, par les marques qui ont payé pour des placements de produits), à la Caisse des dépôts et consignation, où ils seront bloqués jusqu’à leur majorité ou leur émancipation. La loi prévoit des sanctions - applicables depuis avril 2021, donc - pour les parents profiteurs qui refuseraient de se plier à cette nouvelle règle et garderaient le pécule.
Quid des vidéos « faites maison », ces « vlogs » (mot-valise créé à partir de « vidéo » et « blog ») tournés en famille ? Cette « zone grise » a elle aussi été réglementée, dans l’article 3, qui tranche : « Lorsque la diffusion de ces contenus occasionne, au profit de la personne responsable de la réalisation, de la production ou de la diffusion de ceux-ci, des revenus directs ou indirects supérieurs à un seuil fixé par décret en Conseil d’Etat », mais aussi, dès lors que les productions de ces vidéos dépassent un certain temps ainsi qu’un certain volumes de contenus (nombre de vidéos publiées en ligne), alors, les vlogs seront soumis aux mêmes règles de protection des jeunes protagoniste que pour les travaux plus professionnels d’enfants vidéastes. Déclaration obligatoire, sensibilisation aux parents, et consignation d’une partie des revenus de l’enfant, donc.
Le droit à l’oubli : droit fondamental de l’enfant influenceur
Le droit à l’oubli, aussi appelé le droit à l’effacement (différent du droit au déréférencement, moins radical), prévu par la loi Informatique et libertés, et grâce à ce nouveau texte, ouvert aux mineurs influenceurs. Ainsi, sur demande directe de ces derniers, les plateformes de vidéos ont désormais l’obligation de retirer leurs contenus, et ce, sans passer par le consentement des parents.
Une précieuse protection pour ceux, qui, en grandissant, ont le droit de ne plus vouloir de ce passé numérique consultable en deux clics.
Les parents ne sont pas les seuls à être pointés par la loi. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) est chargé d’inciter les plateformes de vidéos à signer une charte qui informe les mineurs sur les conséquences de la diffusion de leur image à plusieurs niveaux : sur leur vie privée, mais aussi d’un point de vue psychologique et juridique, comme le demandaient, inquiètes, les associations de protection de l’enfance.
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