Estonie : le paradis du numérique (1/2)
Au Nord-est de l’Europe se trouve un petit pays dont la France aimerait s’inspirer. Bonne idée, car dans le domaine du numérique, l’Estonie est la championne du monde toutes catégories. Exploration d’un État nation qui a tout compris avant les autres.
Il y a parfois du bon à gouverner sous Jupiter. À l’abri des regards, chercher sa bonne étoile s’apparente à la traversée d’un fleuve tranquille. Pour Édouard Philippe, les planètes se sont alignées les 28 et 29 juin derniers. Alors qu’Emmanuel Macron nage en plein état de grâce, le Premier ministre peaufine sereinement son agenda diplomatique. Et décide de s’envoler pour l’Estonie.
Dans le jargon, on appelle ça « un geste fort ». Car c’est bel et bien dans ce petit pays d’1,3 millions d’habitants, situé sur la rive orientale de la mer Baltique, qu’Edouard Philippe a réservé son premier voyage officiel en tant que chef du gouvernement français. Sans triomphe, ni prééminence. Lors de sa rencontre avec le Premier ministre estonien, Jüri Ratas, il effectuera même quelques révérences et confiera que l’ensemble de la délégation française est venue jusqu’ici pour une seule chose : en prendre de la graine.
Simple comme une mise à jour
« La réalité estonienne, c’est l’objectif français en matière d’e-administration d’ici 2022 », annonce Édouard Philippe pendant la conférence de presse avec son homologue. De retour en France, lors de son discours de politique générale devant l’Assemblée nationale, il répète que l’Estonie a cinq ans d’avance dans le domaine du numérique. Les « gestes forts » ne cachent plus une ambition qui sonne désormais comme un aveu : il faut faire de ce pays de l’ancien bloc soviétique un modèle. Mais pourquoi ça ? Parce que l’Estonie est considérée comme le pays le plus le plus avancé au monde sur les questions numériques.
Depuis son indépendance en 1991, le gouvernement n’a cessé d’innover dans le secteur jusqu’à présenter, 26 ans plus tard, des chiffres qui frisent l’insolence. Aujourd’hui, 96% des échanges avec les services publics se font en ligne, 95% des Estoniens payent leurs impôts sur Internet, 100% des médecins recourent à l’ordonnance en ligne, 30% du corps électoral vote sur le Net…
Et ce n’est pas fini. Car le pays qui a enfanté Skype, actuellement en charge de la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne, compte bien afficher ses atouts aux yeux du monde entier. Fin 2014, le gouvernement estonien annonçait la création de son « e-résidence » qui permet aux entrepreneurs étrangers de bénéficier de l’accès à tous les services web du pays. Objectif : attirer 10 millions de « digital nomads » en 10 ans.
À l’heure actuelle, 21 000 personnes auraient été séduites par la simplicité du programme, et pour cause ! On estime par exemple qu’il faut compter 20 minutes pour monter son entreprise en Estonie. Un passeport et une centaine d’euros suffisent, le reste est intégralement couvert par l’administration.
La limpidité du système estonien ne convainc pas que des entrepreneurs. Arnaud Castaignet était l’un des anciens conseillers au numérique de l’Elysée. Profitant d’une visite entre François Hollande et la présidente de la République d’Estonie, Kersti Kaljulaid, le jeune français de 30 ans ne tarde pas à envisager un exil vers l’est européen. Aujourd’hui, Arnaud est responsable des relations publiques du programme de l’e-résidence, à Tallinn, la capitale. « Lorsque le gouvernement a retenu ma candidature, l’administration m’a dit qu’il fallait compter quatre jours pour s’occuper de mes démarches, confie-t-il. Le lendemain, tout était réglé. »
En deux mois, Arnaud Castaignet a déjà eu le temps de mesurer la différence qui existe entre l’Estonie et la France en matière de culture numérique. Il évolue au milieu de Canadiens, de Britanniques, d’Américains. La plupart ont moins de 30 ans. Et quand il faut délivrer, les ministres d’État lui répondent en direct sur WhatsApp ou Messenger.
« Les solutions digitales définissent ce que nous sommes »
« On surnomme souvent notre pays e-Estonia pour illustrer à quel point les solutions digitales font partie de notre quotidien. Elles définissent désormais ce que nous sommes, en tant que citoyens, entrepreneurs ou cadres de l’administration. ». Siim Sikkut ne s’y trompe pas. Le directeur des systèmes d’information (CIO) de la République d’Estonie sait bien que le savoir-faire numérique de son pays ne permet pas simplement d’attirer des investisseurs étrangers. « L’objectif est de créer une meilleure société, reprend-t-il.* Avoir un gouvernement et une économie plus efficaces apporte davantage de bien-être grâce aux bénéfices et au gain de temps que génère le digital.* »
Inutile de dire que le pays caracole en tête des classements internationaux, qu’il s’agisse de sa dette souveraine (qui représente 10% de son PIB) ou de son rang dans les enquêtes PISA. D’aucuns attribuent ces bons résultats aux innovations digitales. « C’est désormais avéré : le numérique permet à l’Estonie de boxer au-dessus de sa catégorie », glisse Arnaud Castaignet.
Mais comment un pays d’un peu plus d’un million d’habitants a-t-il pris autant d’avance sur un tel secteur d’avenir ? « Nous n’avons pas eu peur de prendre de risques en termes d’innovation, commence par éclairer Siim Sikkut. L’usage généralisé de la signature électronique (promulgué en 2000, ndlr) ou le vote Internet (introduit en 2005, ndlr) étaient inédits dans le monde. » Mais au-delà des initiatives audacieuses, l’Estonie n’a pas vraiment eu le choix. « En tant que petit pays avec très peu de ressources naturelles et une population vieillissante, il fallait tout mettre en œuvre pour avoir un État le plus efficace possible », continue le CIO.
Lire le 2e épisode consacré aux causes et contexte du succès estonien.
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