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Usages numériques
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Exclusion numérique : 50 nuances d'illectronisme

27.08.2021

Sans être en situation d’illectronisme, plus d’un usager sur trois, en France, manque d’au moins une des compétences numériques de base, fondamentales. Un inconfort au quotidien.

Dans l’enfance, ma grande-tante Danielle me paraissait si moderne. Sœur de ma grand-mère, elle sortait davantage qu’elle, allait au cinéma plusieurs fois par semaine, se rendait chez Virgin pour écouter dans les casques en libre service les dernières nouveautés en tête des ventes. Elle ne se baladait jamais sans son walkman, et lorsqu’elle rentrait chez elle, elle se précipitait devant son lecteur DVD portable.

À la même époque, ma grand-mère, elle, s’allongeait devant sa télévision, zappait de la 2 à la 1, de la 1 à la 3, point. C’était là son rapport le plus poussé à la technologie.

Les courbes se sont finalement croisées avec la démocratisation d’Internet à domicile. « Moderne Danielle » n’a pas pris le train en marche. Ça ne l’intéressait pas, elle préférait sortir, a-t-elle répété les premières années, avant de se murer depuis dans un silence honteux, chaque fois qu’elle n’arrivait plus à suivre les conversations sur les trolls Twitter ou les stories Instagram.

Défauts de matériel et de compétence sont souvent liés

Danielle est aujourd’hui sans ordinateur, tablette, smartphone, ni même abonnement à un cyber-café. Sans aucun outil donc pour se connecter à Internet, qu’elle ne sait de toutes façons pas utiliser. Comme elle, 23% des Français de plus de 12 ans ne possédaient pas de smartphone en 2019, et 24%, pas d’ordinateur, selon l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep)1. Plus précisément, une personne de plus de 75 ans sur deux n’a pas d’accès à Internet depuis son domicile.

On considère aujourd’hui que 17% de la population seraient victimes de la fracture numérique2, dans une société de plus en plus digitalisée, à la faveur des confinements qui ont exacerbé l’importance du numérique dans nos vies et accéléré la dématérialisation de l’administration. Cette part de Français souffre « d’illectronisme », ou encore, d’ « illettrisme électronique », lié à un défaut matériel (absence d’équipement ou d’accès à Internet) ou de compétence, qui vont dans de nombreux cas de pair. Leur situation les isole, les exclut, inévitablement.

Pas toujours « illectronique », mais privé d’au moins une compétence essentielle

Un gouffre sépare les conversations et les quotidiens des sœurs octogénaires désormais. Car ma grand-mère, elle, s’accroche à cette époque, tente d’en comprendre les codes et les langages 2.0, de manier son iPad avec dextérité…

Mais il ne lui semble pas toujours évident de savoir chercher là où il faut : sur le bon site, et même, au bon endroit de ce site. Elle n’est pas née avec une souris dans la main, utiliser ces outils numériques lui demandent un effort certain. Elle n’est pas touchée par l’illectronisme. Mais comme le Sénat le pointe dans un rapport d’information3, l’illectronisme forme en réalité un « halo », regroupant des personnes qui disposent d’au moins une compétence de base (contre aucune chez les illectroniques, selon la définition de l’Insee), sans pour autant être à l’aise avec le numérique.

Selon la dernière étude de l’Insee, citée dans ce même rapport, 38% des usagers, en France, manquent d’aptitudes considérées comme basiques, dans - au moins - l’un des quatre domaines essentiels identifiés par Eurostat : la recherche d’information (sur des services marchands ou administratifs…), la communication (envoyer ou recevoir des e-mails), la résolution de problèmes (accéder à son compte bancaire par Internet, copier des fichiers, …) et l’utilisation de logiciels (tels que les logiciels de traitement de texte). Cette dernière compétence est, selon l’INSEE, celle que les Français maîtrisent le moins : 35% des usagers d’Internet et 45% de l’ensemble de la population se trouvent dans l’incapacité d’utiliser un logiciel de traitement de texte. Un outil pourtant clef aujourd’hui dans de nombreuses vies professionnelles et démarches administratives.

Autres données édifiantes : 11% des usagers et 24% de la population, soit presque une personne sur quatre, ne savent pas rechercher des informations sur Internet, tandis qu’une sur cinq est dépourvue de la compétence « communication » et ignore donc, comment échanger en ligne.
38% d’internautes en difficulté au total : c’est plus d’un usager sur trois. « En rapportant ces chiffres à l’ensemble de la population, autrement dit, en intégrant les non-usagers, on en conclut que près de la moitié de la population française âgée de plus de 15 ans (47,3 %) manque au moins d’une compétence de base », appuient les rapporteurs du Sénat. Par ailleurs, 2% ne savent pas utiliser un ordinateur, bien qu’ils disposent de l’équipement nécessaire.

Qui sont les usagers les moins à l’aise ?

Dans son rapport « Les bénéfices d’une meilleure autonomie numérique4 », l’organisme d’expertise et d’analyse rattachée au premier Ministre France Stratégie a divisé la population en cinq catégories pertinentes : les non-internautes, qui rassemblent 16% des Français qui ne se connectent jamais à Internet ; les internautes « distants », qui représentent 12% de la population et dont les compétences semblent insuffisantes pour réaliser des opérations simples (la recherche d’information ou un achat en ligne, par exemple) ; puis il y a ceux qui maîtrisent convenablement les outils numériques. Ce sont les internautes « traditionnels » (à 14%), les internautes « utilitaristes » (32%) et enfin, les « hyper-connectés », à hauteur de 26%.

Si l’on additionne les populations des deux premières catégories - les non-internautes et les internautes distants - on atteint les 28% de la population en difficulté vis-à-vis du numérique. Soit, 14 millions de Français.

Si la population de 75 ans et plus a 8,8 fois plus de risque d’être en situation d’illettrisme numérique que les 15-29 ans, et les 60-74 ans 5 fois plus, Stéphane Legleye, chercheur à la division « Conditions de vie des ménages » de l’Insee et responsable de cette étude, tient à nuancer : « Bien que l’âge constitue un facteur particulièrement discriminant, il ne faut pas perdre de vue des formes parfois plus complexes d’exclusion numérique chez les jeunes. Ces derniers sont certes beaucoup moins concernés par la catégorie « illectronisme », notamment car il est plus rare qu’ils soient totalement dépourvus de compétences numériques. Mais il est moins rare que des adolescents ou jeunes adultes, particulièrement actifs sur les réseaux sociaux et aptes à communiquer par Internet, soient en difficulté pour d’autres tâches, comme l’envoi de courriels ou la recherche d’informations administratives ».

Par ailleurs, un tiers des personnes peu ou pas diplômées, comme les 16% des ménages les plus modestes, sont touchées par un manque d’équipements, qui leur permettraient d’acquérir des compétences numériques premières et fondamentales.

Pour comprendre les machines, il faut encore des Hommes. Alors, si vous n’êtes pas à l’aise avec les outils numériques, sachez qu’un numéro vert existe pour vous aider à vous y familiariser : 0800 11 10 35.


1 [Arcep, Baromètre Numérique, novembre 2019 - « Enquête sur la diffusion des technologies de l’information et de la communication dans la société française en 2019 »] (https://www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/rapport-barometre-num-2019.pdf)

2 [Enquête réalisée par l’Insee sur la fracture numérique] (https://www.vie-publique.fr/en-bref/271657-fracture-numerique-lillectronisme-touche-17-de-la-population)

3 [« L’illectronisme ne disparaîtra pas d’un coup de tablette magique ! »] (https://www.senat.fr/rap/r19-711/r19-711.html), sur Sénat.fr

4 [« Les bénéfices d’une meilleure autonomie numérique »] (https://www.strategie.gouv.fr/publications/benefices-dune-meilleure-autonomie-numerique), sur Stratégie.gouv

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