Fact-checking : et si les citoyens donnaient une correction aux journalistes ?
Ces dernières années, les journalistes ont été rappelés aux devoirs premiers de leur profession : la vérification des faits. Mais à l’heure où les fausses informations pullulent, n’est-il pas temps pour les médias de compter sur les citoyens ?
Le 10 octobre dernier, la Terre a tremblé. Il a suffi que le fil d’actualité du Dow Jones affiche « Google va racheter Apple pour 9 milliards de dollars » pour que l’espace de quelques minutes, la Toile s’embrase et les Internautes avec. Le prix de l’action d’Apple aura même eu le temps de connaître quelques secousses. Pourtant, fausse alerte. Le titre que des milliers d’abonnés à la newsletter du Dow Jones ont reçu ce matin-là, n’était en réalité qu’un test qui n’avait pas du tout vocation à être publié.
La post-vérité
Quelques jours après cette épi-catastrophe, l’activité de la bourse et du monde médiatique a repris son rythme frénétique, balayant les informations les unes après les autres. Néanmoins, tout porte à croire qu’au sein du Dow Jones, quelqu’un s’est fait souffler dans les bronches. Car à l’heure actuelle, on ne rigole plus beaucoup avec les fausses informations. Même quand elles paraissent improbables.
Depuis quelques années, le monde de l’information semble tourner en permanence autour du même axe : la résistance aux fake news. Ce qui fait partie de la fabrique de l’information depuis l’origine est soudainement devenu l’élément le plus discuté des rédactions. Nous serions même rentrés dans une nouvelle ère, celle de la post-vérité. Un néologisme que l’influent dictionnaire britannique Oxford a même choisi de couronner de « mot de l’année » 2016.
Comme un jeu de miroir parfait, deux autres termes que l’on peinait jusque-là à définir sont également devenus les mots les plus véhiculés par les médias : le « fact-checking ». Traduction : la vérification des faits. Parties immergées d’un immense iceberg, des rubriques voire des émissions sont désormais entièrement consacrées à la vérification de l’information. En France, elles s’appellent « Désintox » (Libération), « Les Décodeurs » (Le Monde) ou « Le Vrai du Fake » (France Info).
Ces programmes connaissent un intérêt grandissant, précisément pendant les périodes électorales où la parole publique y est plus engagée. Pourtant, le fact-checking a fait son apparition il y a bien longtemps. En France, l’anglicisme se répand dans les salles de rédaction à partir des élections présidentielles de 2007. Mais c’est aux États-Unis qu’il naît, au mitan des années 90, à la faveur d’une expérience menée par l’université de Pennsylvanie : The Annenberg Political Fact Check. Et c’est à travers le média spécialisé PolitiFact.com, prix Pulitzer 2009, que la pratique va véritablement s’institutionnaliser.
Correctiv, Facebook et les fake news
L’histoire de la vérification de l’information est multiple et lointaine. De tout temps, le journalisme a dû faire face aux fausses nouvelles. Alors, pourquoi le fact-checking est-il soudainement revenu sur le devant de la scène ces dernières années ? « Si la propagande existe depuis longtemps, les moyens pour la véhiculer ont bien changé. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, les personnes qui veulent bouleverser nos sociétés possèdent les meilleurs outils pour cibler et toucher des groupes de gens bien précis », explique David Schraven, directeur de la publication de Correctiv.
Ce média allemand, lancé en 2014, est devenu en moins de deux ans la référence de la lutte contre les fake news en Europe. Parce que son nom l’indique mais aussi parce qu’il a compris avant les autres qu’il se tramait quelque chose de néfaste dans l’univers des médias. « Lorsque le journalisme web est apparu, la course aux clics, l’accent mis sur les sujets polémiques et le manque de sources vérifiées ont appauvri la profession. Ce qui a conduit à une perte de confiance énorme dans les médias », poursuit David Schraven.
En faisant de l’investigation et du fact-checking le cœur de son activité journalistique, Correctiv a su regagner la confiance du public et propose désormais à de nombreux médias allemands de relayer ses contenus et ses enquêtes dans leurs colonnes.
Correctiv s’est ouvert à tout, y compris à ce qui semblait représenter « l’ennemi ». L’année dernière, il a conclu un partenariat avec Facebook, bouleversé par la prolifération de fausses informations sur son réseau lors de la campagne présidentielle américaine de 2016. Le deal est alors simple : Facebook permet à ses utilisateurs d’identifier un contenu incorrect, Correctiv vérifie la requête. « Ça ne s’est pas passé tout à fait comme je le voulais, mais c’est une bonne approche. Les gens lisent en majorité les informations sur les réseaux sociaux, c’est donc là qu’il faut intervenir », confie David.
Pourtant, ce dont il est le plus fier ne se passe pas en ligne mais bel et bien sur le terrain. Les équipes de Correctiv ont également monté des projets pour éduquer le citoyen à la collecte d’informations. « Nous avons monté des classes dans tout le pays pour apprendre au citoyen comment récolter une information dont il a besoin », traduit le patron de Correctiv.
À ce jour, 3 000 personnes ont bénéficié de ses cours et sont désormais capables de se rendre dans n’importe quelle institution publique pour formuler une requête précise. La démocratie s’en porte mieux, mais le média aussi puisqu’il peut utiliser les données collectées par les citoyens. C’est ainsi que Correctiv a lancé une plateforme intitulée « Crowdnewsroom » composée des mots « foule » et « rédaction ».
« Un fact-checking citoyen est clairement possible »
En France, le fact-checking reste une pratique dévolue aux journalistes. Pourtant, ici et là, des initiatives commencent à placer le citoyen au cœur du processus de vérification des informations. C’est le cas de Voxe, une plateforme civique créée en 2012 qui vise à rapprocher les jeunes du débat public. À l’origine, elle proposait de comparer les programmes des candidats afin que le citoyen s’informe davantage sur la campagne présidentielle en cours.
Mais aujourd’hui, les membres de l’organisation organisent aussi des débats, des ateliers, des conférences sur la politique dans toute la France par l’intermédiaire du « Voxe Tour ». « On s’est rendu compte que si on veut faire du fact-checking citoyen, il faut que les gens sachent de quoi on parle. Or, on observe un déficit démocratique grandissant qui fait que les gens n’ont pas les armes pour certifier ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas », affirme Léonore de Roquefeuil, directrice exécutive de Voxe. La solution ? « Éduquer, former, parler aux gens. »
Ainsi, la mission de sensibilisation et d’éducation à l’information, aujourd’hui portée par des médias et des organisations civiques, ne relèverait-elle pas aussi des institutions publiques, à commencer par l’école ? « Nous, ce sont les professeurs qui viennent nous voir, répond Léonore. L’école, on ne peut pas lui dire de tout faire. Il faut mettre en action le citoyen, le faire discuter, l’animer. »
Même son de cloche chez David Schraven : « Un fact-checking citoyen est clairement possible. Mais il faut éduquer les gens, dès le plus jeune âge. On ne trouvera jamais la recette miracle par des partenariats prestigieux ou des projets géniaux. Aujourd’hui, ce qu’il nous faut, c’est du temps. Cela prendra peut-être 10 ans, mais on montrera aux gens qui pensent que c’est impossible que c’est en faisant les choses que ça marche ». Alors, méfiez-vous. La prochaine fois qu’un citoyen lambda vous annonce que Google rachète Apple, croyez-le.
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