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Risque et sécurité
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Fake news et web chinois

11.10.2019

Les internautes français affrontent quotidiennement des fake news et autre faits alternatifs… Mais quand est-il des autres pays ? Et notamment de la Chine où les réseaux sociaux ne sont pas ceux qu’on connaît ? Capitaine Data a mené l’enquête.

Les fake news ont envahi nos vies numériques. Face à ce phénomène, nos politiques, nos professeurs, nos experts s’affairent pour tenter d’endiguer le problème à grand renfort de tribunes, de législations et de programmes scolaires. En France, ce constat semble irréfutable. Mais est-ce également le cas en Chine - où Facebook, Twitter, YouTube sont censurés ? Les fausses informations ont-elles également investi les réseaux sociaux chinois : Wechat, Sina weibo, Tencent, Baidu… ?

C’est la question que nous avons posée à Siwei Liu. Experte des réseaux sociaux chinois, elle conseille des entreprises et des particuliers français sur la gestion de leur e-réputation sur les réseaux sociaux chinois.

On compte plus de 800 millions d’internautes chinois1, soit plus de 50 % de la population chinoise ! Cela va de pair avec la création d’une immense masse d’informations, et donc inévitablement de fausses nouvelles. Selon un rapport QuestMobile datant de 20182, un citoyen chinois passait en moyenne près de 5 heures par jour sur son téléphone (273,2 minutes). La Chine subit bien sûr, elle aussi, les conséquences de fausses nouvelles. Quelles sont les fake news les plus largement répandues sur le web chinois ?

Les fake news les plus connues qui circulent sur le web chinois concernent surtout la sécurité sanitaire. Par exemple, en 2008, des bruits affirmant que des asticots avaient été retrouvés dans des mandarines du Sichuan ont fait baisser les ventes de ces fruits dans tout le pays. En 2011, après la catastrophe nucléaire de Fukushima, des internautes ont affirmé que le sel protégeait des radiations, provoquant une pénurie de sel.

Ou encore en 2017, un faux ‘scandale’ a fait la une des réseaux sociaux, on aurait soi-disant retrouvé du plastique dans des algues alimentaires : les ventes d’algues ont chuté. C’est préoccupant, parce que souvent ces fausses informations ont de vrais impacts. Ce ne sont pas seulement des problèmes virtuels de réputation. Les consommateurs n’osent plus acheter les produits ciblés par les fake news, et cela fait chuter les ventes des entreprises.

Il y a un second type de fake news : comme les réseaux sociaux sont étroitement liés aux sites de e-commerce chinois, il est très lucratif d’être influenceurs sur ces réseaux. Chaque fois qu’un internaute clique vers un site marchand ou achète un produit depuis le profil d’un influenceur, l’influenceur est rémunéré.

Aussi de nombreux contenus faux sont créés quotidiennement par des internautes qui souhaitent devenir ‘influenceurs’. Pour cela ils publient des articles qui choquent ou interpellent les internautes, dans le but de faire augmenter le nombre de vues de profils pour gagner des abonnés. Cela pourrait s’approcher de la pratique des ‘clickbaits’3 en France, mais en Chine cette pratique va plus loin, les titres ne sont pas seulement un peu trompeurs ou accrocheurs, ils sont sciemment faux.

Selon la sociologue de Harvard Ya-Wen Lei, la confiance des chinois dans les médias s’est effondrée entre 2002 et 2008 ; elle serait désormais inférieure à 43 %4. Est-ce que cela s’accompagne d’une croissance de la confiance des internautes chinois dans les contenus partagés ou créés par leurs pairs sur les réseaux sociaux ?

La majorité des contenus qui sont commentés et partagés sur les réseaux sociaux chinois sont produits par des influenceurs internes aux réseaux. Plus récemment la confiance des utilisateurs et utilisatrices des réseaux sociaux chinois a chuté – 73,4 % en 2014 contre 67 % en 2016 – et l’objectivité des plates-formes a été jugée particulièrement faible (41%).

Mais cela concerne surtout les questions d’actualités politiques ou économiques. Car pour accéder aux recommandations, aux témoignages et aux conseils les plus récents, les utilisateurs mobiles se tournent quasi systématiquement vers des plateformes telles que WeChat et Weibo. En effet, avec plus de 1 milliard d’utilisateurs mensuels actifs, WeChat est sans aucun doute le Goliath des médias sociaux chinois. Développée par Tencent, cette application polyvalente propose à peu près tout : shopping en ligne, jeux, services financiers…

Quelles méthodes sont mises en place pour lutter contre les fake news ? A qui la responsabilité de la lutte contre les fausses nouvelles incombe ? Au gouvernement, aux entreprises, ou aux médias ?

Comme en France, le gouvernement chinois instaure régulièrement de nouvelles réglementations obligeant les acteurs du numérique à agir contre les fausses nouvelles. Techniquement, la législation chinoise exige une surveillance des contenus Internet par les médias eux-mêmes. Mais comme en France, les modalités concrètes de ces législations demeurent peu claires et sont souvent très compliquées à mettre en oeuvre.

Dans un récent rapport, Tencent affirme avoir pénalisé 40 000 comptes publics WeChat en deux mois pour avoir diffusé des contenus violents ou trompeurs5, et Sina Weibo a traité plus de 6 000 fausses informations et publié 159 messages de démenti au seul mois de septembre 20186.

Le directeur de Sina Weibo s’est également exprimé sur le sujet lors d’une interview à CNBC7 : « Au début, beaucoup de gens voulaient encourager des internautes à suivre leurs comptes. Dans ce but, ils avaient tendance à publier beaucoup de fausses informations ou à exagérer beaucoup de choses pour attirer l’attention et gagner en influence. »

Pour lutter contre cela Sina Weibo travaille maintenant avec des médias pour aider à vérifier si les messages sont exacts. Finalement c’est un peu comme lorsque Facebook affiche des informations sur la source d’un article relayé par un internaute.

Face au fléau des fakes news, certaines initiatives citoyennes émergent comme “简而言之” (en français “coquille de noix”). Ce compte - plus suivi que le profil de certaines stars de musique chinoises - regroupe des scientifiques qui publient quotidiennement des démentis sur les fausses informations les plus partagées du moment. Des sortes d’influenceurs du fact checking !


1 Louis Jean-Philippe, On compte désormais plus de 800 millions d’internautes chinois, Les Echos, le 25 août 2018, https://www.lesechos.fr/tech-medias/…

2 Zhihui Tian, How govt and internet giants fight fake news, China Daily, le 11 juin 2018, http://www.chinadaily.com.cn/a/201806/…

3 « Les clickbaits («pièges à clic») font miroiter un contenu «étonnant», «insolite», «incroyable» mais s’avèrent souvent décevants pour le lecteur » définition tirée d’un article de Lacroux Margaux, Facebook filtre les «pièges à clic», Libération, 5 août 2016, https://www.liberation.fr/futurs/…

4 Repnikova Maria, China’s Lessons for Fighting Fake News, Foreign Policy, le 6 septembre 2018, https://foreignpolicy.com/2018/09/06/…

5 En Chine, WeChat a fermé 40 000 comptes en deux mois, Courrier International, 28 février 2019, https://www.courrierinternational.com/article/…

6 Udemas Chris, Weibo processed 6229 fake posts in September, TechNode, le 11 octobre 2018, https://technode.com/2018/10/11/weibo-fake-posts/

7 Yoon Eunice, Chinese social media giant opens up on ‘fake news’ and charges of stifling dissent, CNBC, le 24 mars 2017, https://www.cnbc.com/2017/…

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