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Usages numériques
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Internet et climat : la ligne verte

26.04.2019

Malgré son potentiel collaboratif évident, Internet peine à faire éclore des projets écologiques d’envergure. Alors que les mobilisations se multiplient, certains jeunes acteurs du numérique comptent bien cultiver la Toile en terrains fertiles.

Généralement, l’écologie supporte mal les particularités. Il n’empêche, les faits viennent rappeler que les questions universelles qu’elle soulève peuvent télescoper des domaines bien spécifiques. Concernant le numérique, le choc est plutôt violent. C’est bien simple : d’ici 15 ans, le changement climatique va mettre fin à Internet. Point de collapsologues1 derrière cette assertion mais une équipe de chercheurs des universités de l’Oregon et du Wisconsin aux États-Unis.

En étudiant l’élévation du niveau de la mer, leurs résultats montrent qu’un certain nombre de villes côtières telles que New York, Miami, Seattle ou encore Los Angeles seraient immergées dès 2030 et avec elles, quelque 6 000 kilomètres de câbles de fibre optique et plus d’un millier de centres de maintenance. De quoi noyer Internet.

Le Web, responsable

Ce n’est pas la première fois que la planète menace l’équilibre 2.0. En 2015, les serveurs du deuxième plus grand fournisseur d’accès australien ont lâché suite à une vague de chaleur. La tempête Sandy à New York ou l’ouragan Irma en Floride avaient aussi largement perturbé les connexions dans toute l’Amérique duNord.

Au fur et à mesure que la planète seréchauffe, un aréopage d’experts en convient : le Web fondra bientôt les plombs. Alors que faire ?

Certains ont d’ores et déjà pensé le problème à l’envers en sensibilisant le grand public à leur empreinte carbone en ligne. Ce, dans une relative confidentialité. Combien sont-ils encore à ignorer qu’un e-mail génère en moyenne 10 grammes de CO2, l’équivalent du bilan carbone d’un sac plastique ?

En 2025, on estime que les data centers - qui stockent entre autres vos emails – contiendraient 175 zettaoctets de données, soit 175 milliards de téraoctets.

Nul besoin de faire le calcul pour réaliser que le monde numérique est tout aussi responsable que n’importe quelle autre industrie polluante de la dégradation de conditions de vie sur Terre.

Le duo de Youtubeurs derrière Greenweb, la série qui pointe les dégâts écologiques provoqués par le Web, rappelle qu’au Ghana, l’espérance de vie des jeunes qui travaillent sur la plus grande décharge de déchets numériques du monde est de 25 ans.

Assez terrifiant. Néanmoins, dans le sillage des mobilisations de plus en plus denses pour le climat, différents acteurs sont en train de tisser une Toile éco-responsable. Après avoir pointé le coût énergétique d’Internet, de jeunes startups s’attèlent désormais à penser la transition écologique du numérique.

En 2015, à l’orée de la COP 21, Elliot Lepers imaginait déjà une sorte d’assistant personnel - 90 jours - pour réconcilier les citoyens avec les bonnes pratiques, simples et basiques, qui préservent l’environnement. Depuis, des plateformes d’échanges de bonnes pratiques comme Tinkuy, des capteurs de pollution comme Plume Labs ou des annuaires du « consommer responsable » comme Le Marché Citoyen ont essaimé en France.

L’objectif de ces applications ? Rendre tangibles les petits gestes éco-compatibles du quotidien. Convaincus que les dynamiques collectives peuvent déplacer des montagnes, ces jeunes startuppers ont fait fleurir une constellation d’auto-entraînement en poussant les utilisateurs au changement grâce aux outils numériques.

Concrètement, Koom - la plateforme de crowdacting sur le développement durable - a convaincu 2 000 personnes de recycler leur vieux téléphone en l’envoyant à une entreprise sociale. Résultat : une économie faramineuse en termes de ressources nécessaires à la fabrication de portables neufs et deux emplois en insertion maintenus.

Le Wikipédia de l’écologie

Si les jeunes boîtes se mettent au vert, ces actions en faveur de l’environnement sur le Net restent des zones grises pour la plupart des gens.

Laur Fisher, chercheuse au Centre pour l’Intelligence Collective du MIT, a lancé en 2016 une plateforme de discussion en ligne où 50000 contributeurs travaillent ensemble à sélectionner les meilleures propositions pour résoudre le changement climatique.

Depuis Genève, elle rappelle que bien que nous soyons conscients depuis 40 ans du problème climatique, nous n’avons pas fait d’avancées importantes pour réduire nos émissions de carbone. Or, ces 40 dernières années sont aussi celles du développement informatique et numérique.

Que s’est-il passé ? Essentiellement, des promesses non tenues. Alors qu’à ses débuts, Internet irradiait de sa culture numérique et du potentiel collaboratif qui en découle, force est de constater que l’on cherche encore les projets écologiques d’envergure en ligne.

La trentaine à peine, Laur Fisher n’a toutefois pas encore eu le temps d’être désenchantée. En Suisse, elle abonde : « Un jour, comme pour Wikipédia, il y aura aussi une musique pour célébrer les propositions autour des solutions climatiques. Ce sera la symphonie du monde qui se réunit pour résoudre le problème du changement climatique. »

Lorsqu’elle découvre la force collégiale de Wikipédia en terminant un projet de recherche, l’étudiante au MIT prend conscience qu’elle peut enfin joindre son engagement écolo à l’intelligence collective virtuelle.

En 2015, elle crée Climate CoLab, un site où les idées responsables de milliers de bénévoles viennent épouser l’expertise de centaines de spécialistes. L’objectif est de déconstruire les problèmes climatiques complexes en sous-ensembles pour ensuite prendre en compte les solutions de la communauté, évaluées par des experts.

Si la plateforme revendique 50 000 contributeurs en 2016, elle en compte désormais plus de 115 000, représentant tous les pays du globe. Aujourd’hui, Climat CoLab réclame la paternité d’un dispositif conçu pour améliorer l’efficacité des panneaux solaires de 30% ou encore une solution de compensation des émissions carbone du transport maritime (qui représente 80% du fret mondial).

Finalement, ne serait-ce pas la culture numérique au sens large qui rendrait les espaces 2.0 fertiles ?

« La culture numérique montre dans ses façons même d’innover combien elle peut contribuer à la transition écologique, explique Daniel Kaplan, cofondateur de la Fing (Fondation internet nouvelle génération, ndlr) et spécialiste des transitions numériques. L’engagement, l’agilité, l’ouverture, la coordination ouverte sont des valeurs de la transition numérique qui doivent nourrir la transition écologique. La collaboration outillée par le numérique est la valeur clef de l’engagement qui permettra à la transition écologique de se réaliser. »

Internet porterait-il en lui les germes d’une révolution écologique ? Pour beaucoup d’acteurs,le réseau en a toujours disposé. Reste à affirmer un potentiel de quatre décennies à l’aune d’une problématique environnementale qui fait se soulever de plus en plus de monde. Surtout quand la mer monte.


1 Adeptes de la collapsologie, néologisme désignant l’étude de l’effondrement de la civilisation industrielle.

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