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Risques numériques
Article

Isolement numérique : l’e-solitude

20.08.2017

Ils sont des millions à ne pas pouvoir ou savoir utiliser Internet. À tel point que le gouvernement a décidé de faire de l’inclusion numérique un enjeu national. Plongée dans un monde où l’informatique n’est pas automatique.

Dans un petit village des Landes, l’été s’annonce mouvementé. Aux traditionnels ferias et hommages aux échassiers landais, vient de s’ajouter une nouvelle attraction dans le village. Sous la gouttière de l’épicerie, une borne Wi-Fi crache ses ondes et répand du réseau à une cinquantaine de mètres à la ronde. Depuis le comptoir-caisse de l’établissement, on peut facilement observer le bal des internautes qui viennent s’y connecter. De l’ouverture de la boutique à la fin de journée, il est même devenu quasi-systématique : c’est d’abord une jeune cadre en vacances qui l’ouvre pour consulter quelques mails, déboule ensuite une poignée d’ados qui s’installeront sur le banc pour « scroller » les fils d’actualités de leurs comptes Facebook, Snapchat ou Instagram, etc. Si les avis sont partagés au village, la plupart sont d’accord pour dire que l’installation de la borne Wi-Fi est un franc succès. Selon certains, elle aurait même remplacé le rôle que jouait la fontaine ou le boulodrome au temps jadis.

Terroirs 2.0

Et si le feuilleton de l’été de ce petit village landais n’était qu’une page d’un roman français ? Depuis peu, la France s’est fixé un cap pour son horizon numérique : en 2020, l’ensemble du territoire devra être doté d’un réseau haut-débit. L’enjeu ? Lutter contre l’isolement numérique des personnes résidant dans des milieux ruraux ou tout simplement non-couvertes, ni par le réseau Internet ni par le réseau téléphonique. Ces poches sans réseau sont appelées des « zones blanches ». Et selon plusieurs recensements officiels, il en subsisterait un peu plus de 500 en France, peu exemplaire à l’échelle du continent. En effet, un rapport de Bruxelles révélait en début d’année que « la proportion de foyers couverts par le très haut débit dans l’hexagone se chiffre à 45% contre 71% pour la moyenne européenne »1.

Mais pour tirer la couverture numérique sur les moindres recoins du pays, le gouvernement a un plan : la France Très Haut Débit. Lancé en février 2013, il vise à déployer des infrastructures numériques de pointe sur l’ensemble du territoire d’ici à 2022. Pour ce faire, l’État mobilise opérateurs, collectivités territoriales et différents acteurs comme la toute fraîche Agence du numérique ou le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET). Et ne lésine pas sur ses intentions : dans une lettre de mission distribuée le 19 juillet dernier, Emmanuel Macron faisait de l’e-inclusion l’une des 15 réformes clés de son quinquennat en matière de numérique. Objectif : former 3 millions de personnes sur 5 ans pour mener à bien les promesses.

« L’enjeu pour nous, c’est le décrochage de certains territoires », explique Anne Faure, chargée de mission au CGET, l’un des pilotes de la stratégie digitale de l’État. « Alors même que le numérique représente une véritable chance », poursuit-elle. En tant qu’administration centrale, le CGET coordonne une pluralité d’acteurs qui vont des opérateurs téléphoniques aux médiateurs sociaux en passant par la Banque Postale. Les Assises du numérique et la Convention nationale des territoires sont autant d’événements qui permettent de les rassembler autour de la question numérique. Car Anne Faure n’a qu’un mot à la bouche lorsqu’il s’agit d’inclusion : « la médiation numérique ». Pour elle, les objectifs affichés par le gouvernement seraient difficiles à tenir si on ne parvenait pas à rapprocher les citoyens lésés des personnes qui peuvent les aider. C’est pourquoi depuis 3 ans, le CGET a développé un vaste réseau de Maisons de services au public. Autrement dit, plus de 1000 centres positionnés sur des territoires ruraux qui permettent aux personnes en difficulté d’avoir accès à un accompagnement numérique.

L’illectronisme

Si câbler le pays est une chose, l’enjeu de la couverture ne préside pas seul à la destinée numérique de la France. Les profils frappés par l’isolement numérique sont multiples. On cite souvent les personnes âgées quand il s’agit d’identifier la frange de la population la plus en difficulté face aux outils digitaux. C’est oublier qu’en France, 2,5 millions de personnes sont encore illettrées et que précarité numérique rime souvent avec précarité sociale. En tout, on estime qu’entre 4 et 6 millions de personnes seraient en situation d’exclusion face au monde digital. En 2011, l’INSEE évaluait l’étendue du problème entre 12% et 18% de la population française. Depuis, le Défenseur des Droits a même posé un nom sur le phénomène : « l’illectronisme ».

Son ampleur a conduit la société civile à réagir. En dehors des sentiers battus par l’État, un réseau constitué de start-up et d’associations lutte chaque jour un peu plus contre l’« illectronisme ». C’est le cas de We Tech Care. Émanation d’Emmaüs Connect, l’organisation a vocation à ouvrir les opportunités d’Internet au plus grand nombre. Pour sa directrice générale adjointe, Cécilia Creuzet Germain, le sujet est multidimensionnel. « C’est une problématique au niveau individuel puisque tous ceux qui ne montent pas dans le train du numérique vont être impactés par une nouvelle forme d’exclusion, détaille-t-elle. Mais c’est aussi un sujet d’égalité sociale dans la mesure où on ne peut pas promouvoir une administration dématérialisée et en même temps ne pas mettre en capacité les personnes pour y accéder. » La référence est à peine voilée. À la rentrée 2016, l’État a accéléré sa stratégie de dématérialisation. Depuis lors, l’inscription à Pôle Emploi ne peut se faire qu’en ligne, idem pour l’obtention de la prime d’activité. Un an après, le nouveau gouvernement Philippe tranche encore plus fort : en 2022, tous les services administratifs seront numérisés. Selon Cécilia Creuzet Germain, la volonté 2.0 de l’administration justifie son action autant qu’elle marque une prise de conscience sans précédent sur « l’illectronisme ».

Vers une société du numérique

À l’heure où un Français sur trois est incapable d’effectuer ses démarches en ligne, We Tech Care pense des outils susceptibles d’aider les acteurs sociaux. En partenariat avec Pôle Emploi, l’association a expérimenté un projet intitulé « Les Bons Clics ». L’objectif ? Former des « aidants » à l’inclusion numérique grâce à une plateforme qui permet d’évaluer le niveau numérique des personnes en difficultés puis de construire des parcours adaptés selon leur autonomie. Si le projet est encore embryonnaire, Cecilia Creuzet Germain est formelle : « Jusqu’ici, les retours sont extrêmement positifs. Plus de 80% des personnes qui sont passées par la plateforme se déclarent désormais autonomes face aux démarches de Pôle Emploi ». Finalement, « la médiation numérique » d’Anne Faure n’a jamais été aussi tendance. À côté du CGET, la Mednum – une coopérative des acteurs de la médiation numérique – aide considérablement à paver le chemin qu’il reste à parcourir. À coté du « Plan France Très Haut Débit », l’Agence du numérique place quant à elle beaucoup d’espoir dans son « Programme société numérique » qui a pour ambition d’embarquer l’ensemble des citoyens vers la transformation digitale de la société.

Reste à lutter contre les vieux démons. Dans les rapports de l’OCDE, la France apparaît souvent comme la championne de l’e-administration. En revanche, « elle accuse un retard conséquent en matière de formation des citoyens à l’utilisation d’Internet » selon la directrice adjointe de We Tech Care. D’ici cinq ans, il va falloir investir massivement pour que tous les acteurs tirent dans le même sens. Et faire en sorte que les bénéficiaires de la nouvelle borne Wi-Fi de la supérette ne soient pas que des jeunes cadres dynamiques et des ados.


1 “Internet : le très cher plan «France très haut débit»”, Le Parisien, 31/01/2017 : http://www.leparisien.fr/economie/internet-le-tres-cher-plan-france-tres-haut-debit-31-01-2017-6642096.php

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