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Environnement
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Jeux vidéo et crise écologique : le grand défi multijoueur du siècle ?

09.01.2022

La transition écologique est en train de changer les règles du jeu de la 1ère industrie culturelle mondiale. Ce tournant majeur pourrait-il modifier à terme notre façon de jouer, d’interagir avec « la nature » et d’habiter notre planète ?

À quelques notables exceptions, l’écologie était jusqu’à présent un thème plutôt rare dans les jeux vidéo. Mais face à l’urgence grandissante des enjeux environnementaux, cela est en train de changer.
Le mouvement Playing for the Planet Alliance emblématise la prise de conscience collective qui traverse depuis quelques années le secteur. En partenariat avec le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), Microsoft, Sony Interactive, Twitch, Ubisoft et une vingtaine d’autres ont en effet décidé en 2019 d’unir leurs forces en faveur de la planète. Le mouvement affiche une double ambition : réduire l’impact environnemental du secteur et sensibiliser à grande échelle les professionnels et le grand public. L’alliance milite en ce sens pour des modes de production durables et œuvre à la régénération des écosystèmes forestiers. Encore un coup de greenwashing ? Comme en témoigne le rapport des Nations Unies, les membres de l’alliance semblent tenir leurs engagements et tendent à faire des émules à travers le monde. En France par exemple, l’association Game Impact se voue à « changer les jeux vidéo pour changer le monde », notamment à travers la sensibilisation des studios.
Si ces engagements en faveur de la protection de notre planète vont dans le bon sens, sont-ils pour autant suffisants au regard de l’impact environnemental du jeu vidéo ?

Un bilan difficile à évaluer

En l’absence d’étude référente sur le sujet, l’impact du jeu vidéo et sa part dans le bilan du numérique se révèlent opaques. Cet impact est pourtant bien réel : chaque heure de Fortnite et de World of Warcraft a un coût énergétique. La fabrication et l’alimentation des jeux vidéo consomment en effet de l’énergie et des ressources, en plus d’émettre du CO2. Cependant, plusieurs indicateurs suggèrent que le bilan énergétique du secteur serait moins important qu’on ne le présente souvent. Le marché mondial des consoles par exemple : selon l’expert indépendant du numérique Frédéric Bordage, ce marché émettrait 37 millions de tonnes d’équivalent CO2, contre 600 millions pour l’aviation. Et contrairement à l’idée reçue, la consommation électrique des consoles de jeux serait même décroissante depuis trois générations. C’est déjà trop, mais c’est bien peu comparé au cinéma, une autre grande industrie culturelle à l’aube elle aussi de sa transition écologique.

D’un point de vue écologique, comme le démontre la chercheuse américaine Alenda Y. Chang dans son essai Playing Nature : Ecology in Video Games, le secteur du jeu vidéo pèse en revanche dans deux domaines critiques : le recyclage de ses déchets électroniques, et l’efficience énergétique de ses chaînes d’approvisionnement. L’extraction des ressources nécessaires à la fabrication des équipements dégrade en plus les écosystèmes concernés. Si le bilan énergétique du jeu vidéo est donc souvent surestimé, les voyants de son impact global sont loin d’être au vert. Un bilan qui devrait d’ailleurs s’alourdir avec la globalisation du cloud gaming, un gouffre à données qui relâcherait de grandes quantités de gaz à effet de serre, et la démocratisation du medium. Car comme le rappelle Le Monde, « si l’impact environnemental du jeu vidéo demeure encore limité, c’est parce qu’il reste à ce jour un loisir de pays riches ».
Mais le bilan énergétique d’une industrie culturelle ne se mesure pas seulement en CO2, ou en kWh. Si la transition du jeu vidéo se concrétise sur un plan industriel, qu’en est-il sur celui de la culture ?

Un impact culturel indéniable

Le secteur du jeu vidéo (et de la tech en général) est dominé par une mythologie de la puissance qui se révèle en l’état difficilement incompatible avec la transition écologique, comme nous le démontre le philosophe Timothy Morton. C’est un problème systémique. La course un peu folle à l’innovation technologique alimente la fabrication toujours plus rapide de jeux et de gadgets énergivores. Les performances graphiques des cartes de nouvelle génération n’ont d’égal que leurs contre-performances énergétiques. Quant à la consommation d’un blockbuster (triple A), elle serait dix fois supérieure à celle d’un jeu indépendant. Que penser en ce sens du slowplay, ce mouvement qui préconise la sobriété ludique ? Enfin et surtout, cette mythologie donne naissance à des mécaniques et des représentations anthropocentristes problématiques à l’égard du vivant et de « la nature ».

Cependant, depuis quelques années, une contre-mythologie plus écologique émerge et prend de l’ampleur dans le secteur. Recyclage de l’eau (Working with Water), protection de la biodiversité (BeeSimulator), protection des océans (Beyond Blue), agroécologie (Roots of Tomorrow)… Le mouvement des green games se confronte à la diversité et la complexité des grands enjeux écologiques de notre époque. Il forme un écosystème ludique exceptionnel où s’imaginent des relations au vivant plus vertueuses, des représentations plus constructives de « la nature » et des modes d’interaction plus responsables. Par certains aspects, Death Stranding ou Zelda : Breath of the Wild s’inscrivent dans ce mouvement qui démonte un par un les mythes fondateurs les plus limitants du dixième art, contribuant ainsi à la sensibilisation du grand public, un domaine où le cinéma joue déjà un rôle majeur.

Le défi multijoueur du siècle

Considérant sa puissance économique et son influence culturelle, le secteur du jeu vidéo se situe dans une position unique et historique pour relever le défi de la crise écologique.
Comme nous l’évoquions dans un précédent article, la marge de manœuvre du secteur est colossale : 1 personne sur 3 dans le monde jouerait aux jeux vidéo, soit environ 2,7 milliards d’individus, pour un marché estimé à plus de 300 milliards de dollars en 2020. Comme le démontre à lui seul le jeu multijoueur Animal Jam, qui a levé plus de 10 millions de dollars en faveur de la conservation des espèces en danger, les licences à succès sont des leviers de financement et de sensibilisation massifs. Mais la transition du secteur n’aboutira pas sans une transition des consciences, c’est-à-dire une révolution culturelle. La formation des nouvelles générations sera en ce sens décisive.
Certes, la survie de notre planète (et de notre espèce) ne se jouera pas dans les petits zoos virtuels d’Animal Jam. Mais face au risque d’un game over planétaire, les jeux vidéo nous aideront peut-être à prendre conscience de l’essentiel : à savoir que nous jouons dans le même camps que la planète, et non contre elle.


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