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Alexis Rosier

Designer narratif indépendant et critique de jeu vidéo passionné par le champ des nouvelles narrations et communications. Œuvre à ouvrir de nouveaux espaces d’expression, d’évasion et d’émancipation à travers l’interactivité.

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Article

Games for Change : jeux vidéo et responsabilité sociétale

Les jeux vidéo peuvent-ils contribuer au progrès social ? C’est la conviction de Games for Changes. Portrait d’une ONG américaine désormais incontournable qui emploie les jeux à bâtir une société plus juste et une industrie plus responsable.

Considérant aujourd’hui la place du jeu vidéo dans nos sociétés, son impact sociétal ne fait désormais plus aucun doute.

En moins d’un demi-siècle, le dixième art est en effet devenu la première industrie culturelle en France et dans le monde. Un divertissement de masse estimé à 126 milliards en 2020 dont l’influence culturelle et la puissance économique ne cessent de croître. Cette « industrie du futur » est-elle en capacité et en volonté de servir le progrès social ? La question se pose et n’est pas nouvelle. Comme en témoignait récemment la prise de conscience écologique dans le cinéma, les grandes industries culturelles doivent régulièrement réévaluer leurs responsabilités à l’aune des défis sociétaux.

Fondée à New York en 2004, l’ONG américaine Games for Change travaille en ce sens à promouvoir les jeux vidéo et plus largement les médias immersifs (XR) qui font bouger les lignes. Chaque année, son festival international rassemble autour de la table acteurs émergents, titans de l’industrie et institutions publiques pour évoquer la responsabilité sociétale du medium. L’occasion de récompenser les œuvres qui s’emparent des débats et visent à impulser un changement social en faveur du bien commun.

Impacter la société

Né au début des années 2000, le mouvement des jeux à impact englobe l’ensemble des expériences interactives conçues pour sensibiliser leurs publics aux sujets de société tels que l’écologie, la justice sociale, l’éducation, ou la santé. La ludothèque de Game for Changes en dénombre actuellement plus de deux cents, allant du jeu vidéo Triple-A (l’équivalent d’un blockbuster) à la petite application éducative. Parmi elles, Enterre-moi mon Amour (Pixel Hunt, Figs, Arte France), une fiction interactive française sortie en 2017 qui raconte le périple vers l’Europe d’une jeune migrante syrienne.

Comme en témoignent les exemples suivants, les jeux à impact visent à agir sur la société à différents niveaux. En 2006, le premier du genre, le jeu de stratégie Darfur is dying est réputé avoir joué un rôle décisif dans la représentation aux États-Unis de la guerre civile au Darfour. Plus récemment, en 2015, l’expérience en réalité virtuelle Clouds Over Sidra a aidé les Nations Unies à collecter pas moins de 3,8 milliards de dollars en faveur des réfugiés syriens. En 2020, le studio français Red Corner a produit 4 FEET HIGH, une expérience en réalité virtuelle qui met en lumière un thème encore largement tabou : la sexualité des personnes handicapées. Et la liste continue…

Longtemps cantonnés à un public de niche, de plus en plus de jeux à impact rencontrent un succès commercial et critique. La reconnaissance du mouvement semble encourager les grands studios à s’engager davantage. Ils sont en effet de plus en plus nombreux à employer la force de frappe économique et médiatique de leurs licences phares comme des leviers d’action. C’est le cas d’Infinity Ward, d’Ubisoft et de Bungie qui se sont mobilisés en 2020 pour lutter contre les feux de brousse en Australie.

Responsabiliser l’industrie

Si le mouvement des jeux à impact démontre que les jeux vidéo peuvent contribuer à bâtir un monde meilleur, l’industrie doit encore faire des progrès en matière de responsabilité sociétale.

Depuis une décennie, une transformation culturelle et sociale de grande ampleur suit son cours au sein des studios, des écoles et des médias spécialisés. Culture du surtravail, racisme, sexisme : les problèmes sont nombreux et désormais connus. Récemment, le journal Libération a publié une nouvelle enquête révélant les conditions d’étude difficiles au sein de certaines écoles spécialisées, chargées de former les futurs professionnels du secteur vidéoludique. Les mouvements sociaux « progressistes » tels que #MeToo et les récents scandales ont cependant accéléré la montée en puissance des questions RSE et des revendications sociales au sein de l’industrie. Les professionnels sont de plus en plus nombreux à appeller à plus d’égalité, d’inclusion et de diversité dans leurs rangs.

Partout dans le monde, aux côtés d’autres associations comme Women in Games, qui œuvre depuis 2017 pour la mixité dans l’industrie française, Games for Changes participe activement à cette transformation. L’association agit là où elle est susceptible de générer le plus d’impact : l’éducation. Multipliant auprès des étudiant.e.s les actions inclusives, l’association a ainsi lancé en mars « Amplifying Voices », une #ImpactJam interculturelle sur le thème de l’expression des minorités culturelles. Créé en 2015, le sommet Games for Learning rapproche quant à lui les champs du jeu vidéo et de l’éducation afin de développer notamment l’esprit critique des nouvelles générations vis-à-vis des médias interactifs. Un champ éducatif qui devient un pilier de la construction des démocraties numériques.

Changer les mentalités

À travers ces programmes, Games for Change mise à long terme sur l’éducation et la jeunesse pour changer durablement les règles du jeu au sein de l’industrie.
Responsabiliser les futurs professionnel.le.s et sensibiliser le grand public aux enjeux sociétaux du medium devrait à terme favoriser le développement de jeux plus responsables. La promotion de valeurs plus inclusives pourrait également favoriser la diversification des jeux eux-mêmes et des représentations que ces derniers véhiculent à grande échelle au sein de la société. Dans un entretien avec le site Gadget page, Susanna Pollack, la présidente de Games for Change, appelle les communautés sous-représentées à employer le dixième art comme un espace d’expression culturelle.

En l’espace de deux décennies, le mouvement des jeux à impact a démontré que les médias interactifs et immersifs sont plus que de simples divertissements. Que ce soient comme des produits culturels de masse, des outils d’éducation populaire, d’expression démocratique, d’émancipation, ou de sensibilisation, les jeux vidéo contribuent désormais à façonner l’avenir de nos sociétés. Reste à savoir quels jeux dessinent la société que nous voulons voir advenir.

La 18e édition du festival Games for Change se tiendra en ligne du 12 au 14 juillet prochain.

15.04.2021
Acculturation
Article

10 livres pour faire mieux connaissance avec l’intelligence artificielle

Lumière sur 10 essais, romans, enquêtes et romans graphiques qui apportent des réponses aux questions que tout le monde se pose à propos de ChatGPT, Midjourney, et toutes ces machines d’un nouveau genre qui bouleversent le monde.

ChatGPT, Midjourney, ces noms vous disent-t-ils quelque chose ?

Les intelligences artificielles dites « génératives » font beaucoup parler d’elles depuis quelques mois et ont remis sur le devant de la scène « la question de l’IA ».

Cette question, qui ne date pas d’hier, hante la science depuis les années 50. Depuis quelques décennies, les intelligences artificielles colonisent nos imaginaires, influencent de plus en plus nos vies, et pourraient bien, dans un futur proche, transformer en profondeur nos sociétés. Pourtant, les avis divergent à leur sujet. Pour leurs défenseurs, les IA incarneraient la promesse d’un monde meilleur. Tandis que pour leurs détracteurs, elles annonceraient la disparition de millions d’emplois, voire celle de notre espèce elle-même. Soixante ans après leurs premiers pas, la seule certitude concernant ces machines d’un nouveau genre, c’est qu’elles demeurent une énigme et défient nos attentes.

Alors que penser des intelligences artificielles ? Les 10 livres suivants vous aideront à y voir un peu plus clair, et à vous forger votre propre avis à leur sujet.

1. « Klara et le Soleil », de Kazuo Ishiguro

De quoi ça parle ?

Ce roman d’anticipation raconte l’histoire de Klara, une androïde destinée à tenir compagnie aux enfants et aux adolescents. Depuis la vitrine de son magasin, Klara observe les passants en espérant secrètement que quelqu’un l’adopte. Mais quand le grand jour arrive enfin, la réalité ne se révèle pas à la hauteur de ses espérances.

En quoi est-ce intéressant ?

Dans cette œuvre aux allures de conte philosophique, l’écrivain japonais Kazuo Ishiguro, prix Nobel de littérature en 2017, vous invite à** une singulière expérience d’empathie : vous placer du point de vue d’une IA** pour comprendre comment les machines nous perçoivent.

Klara et le Soleil, Gallimard, 2022, 432 pp.

2. « La fin de l’individu » de Gaspard Kœnig

De quoi ça parle ?

De Pékin à Washington en passant par Tel-Aviv, le philosophe Gaspard Kœnig nous emmène à la rencontre des 120 plus grands spécialistes de l’IA. Le résultat : une enquête philosophique à la croisée des genres et des sciences qui foisonne d’anecdotes éclairantes et de points de vue singuliers sur le sujet.

En quoi est-ce intéressant ?

Tout en s’attachant à démystifier son objet d’étude avec humour, Gaspard Kœnig vous permettra de vous faire une idée à la fois précise et concrète des visions du monde qui se cristallisent autour de l’IA.

La fin de l’individu, L’Observatoire, 2019, 400 pp.

3. « Génération I.A » d’Alexandre Pachulski

De quoi ça parle ?

Dans cet ouvrage colossal, l’entrepreneur du numérique Alexandre Pachulski a choisi de compiler et de décrypter 80 œuvres cinématographiques traitant du thème de l’intelligence artificielle. Chaque film ou série fait l’objet d’une critique où l’auteur met en lumière les enjeux relatifs à l’IA.

En quoi est-ce intéressant ?

La compilation d’Alexandre Pachulski constitue une référence pour tout cinéphile amateur de science-fiction. Elle vous offre un panorama exceptionnel des œuvres qui ont contribué, depuis les origines du cinéma et de la série télévisée jusqu’à nos jours, a forgé notre imaginaire de l’IA.

Génération IA, E/P/A, 2020, 216 pp.

4. « I.A 2042 » de Kai-Fu Lee et Chen Quifan

De quoi ça parle ?

Le chercheur en informatique chinois Kai-Fu Lee et l’écrivain Chen Quifan, étoile montante de la littérature de science-fiction chinoise, se sont associés pour écrire 10 scénarios d’anticipation centrés sur l’intelligence artificielle, autant de fenêtres sur nos futurs les plus souhaitables et détestables.

En quoi est-ce intéressant ?

En combinant design fiction et essai scientifique, ce recueil d’une grande imagination vous invite à vous projeter dans le futur de l’IA et apprend à distinguer ce qui relève, en ce qui la concerne, des domaines du certain, du possible, et de l’improbable.

I.A 2042, Les Arènes, 2022, 498 pp.

5. « Les Chroniques du Bestiaire » de Steve Coulson avec Midjourney

De quoi ça parle ?

Ces trois bandes dessinées de science-fiction inspirées par le genre du Keiju Eiga se déroulent sur une Terre envahie par des monstres extraterrestres géants. Leur singularité : l’artiste américain Steve Coulson a choisi de « collaborer » avec l’IA Midjourney pour illustrer ses histoires.

En quoi est-ce intéressant ?

Cette œuvre expérimentale préfigure ce que certains experts appellent « l’art du futur ». Elle vous offre un bel aperçu des possibilités artistiques des IA génératives spécialisées dans les créations visuelles.

Les Chroniques du Bestiaire, Campfire, 2022, 114 pp.

6. « Préférence Système » d’Ugo Bienvenu

De quoi ça parle ?

Imaginez un futur où la mémoire de notre espèce serait saturée. Quelles œuvres d’art oublier, lesquelles immortaliser ? Pour sauvegarder celles qui comptent à ses yeux, un « archiviste humaniste » décide, au péril de sa vie et de celle sa famille, de les confier à Mikki, son robot domestique.

En quoi est-ce intéressant ?

Quelle place souhaitons-nous accorder aux machines intelligentes dans nos vies ? C’est la question centrale à laquelle Hugo Bienvenu vous invite à réfléchir dans ce roman graphique d’anticipation aux accents dystopiques.

Préférence Système, Denoël, 2019, 168 pp.

7. « Des Robots et des Hommes » de Laurence Devillers

De quoi ça parle ?

Dans cet essai à la croisée des sciences sociales et informatiques, Laurence Devillers aborde la dimension affective de nos relations aux machines intelligentes. L’enseignante-chercheuse, spécialiste des interactions hommes-machines, revient notamment aux mythes fondateurs de l’IA afin de décrypter nos fantasmes et nos peurs à son sujet.

En quoi est-ce intéressant ?

Cet essai scientifique présente une excellente synthèse de l’état de l’art en matière de robotique. Son autrice vous aidera à comprendre pourquoi cette technologie cristallise autour d’elle tant de passions aussi contradictoires.

Des Robots et des Hommes, Plon, 2017, 288 pp.

8. « Vers un numérique responsable » de Vincent Courboulay

De quoi ça parle ?

Dans cet essai politique, le fondateur de l’Institut du Numérique responsable explore les conséquences sociales et écologiques de la révolution numérique sur nos démocraties. L’ingénieur français pose notamment sur la table les questions éthiques suscitées par l’intégration de l’IA dans nos sociétés.

En quoi est-ce intéressant ?

Comment responsabiliser nos usages numériques ? L’émergence d’une intelligence artificielle responsable est-elle techniquement possible ? À travers ces questionnements, Vincent Courboulay vous invite à repenser vos rapports aux nouvelles technologies comme des citoyens.

Vers un numérique responsable, Acte Sud, 2020, 224 pp.

9. « Intelligence artificielle. Enquête sur ces technologies qui changent nos vies » (Collectif)

De quoi ça parle ?

Cette enquête collective dresse un état des lieux des connaissances sur l’IA qui s’appuie sur les témoignages des plus grands experts français. En s’attachant aux faits plutôt qu’aux mythes, elle retourne aux origines de cette technologie et explore ses futurs potentiels pour cerner ses enjeux, ses limites et ses espoirs.

En quoi est-ce intéressant ?

Très accessible malgré la complexité de son sujet, ce livre propose une introduction solide, notamment en raison de son approche pluridisciplinaire, qui vous permettra d’appréhender les différents visages de la machine.

Intelligence artificielle. Enquête sur ces technologies qui changent nos vies, Flammarion, 2018, 272 pp.

10. « Nous les Robots » d’Isaac Asimov

De quoi ça parle ?

Cette collection légendaire, considérée par les spécialistes du genre comme l’un des chefs-d’œuvre d’Isaac Asimov, rassemble 33 nouvelles de science-fiction sur le thème de la robotique. Le maître du genre y met à l’épreuve les trois lois qui ont posé les fondations de ce nouveau champ scientifique.

En quoi est-ce intéressant ?

À son époque, dans les années 80, Nous les Robots a révolutionné notre vision des robots. Quarante ans plus tard, le recueil demeure une lecture incontournable pour tout lecteur de science-fiction, notamment en raison de galerie géniale de robots.

Nous les Robots s’intègre à toutes les éditions du tome 1 du Cycle des robots.

23.04.2023
Environnement
Article

L’écologie digitale, ou l’art de la sobriété numérique heureuse ?

À votre avis, le numérique est-il un frein, ou un moteur de la transition écologique ? La question divise la société. Lumière (en 6 questions-réponses) sur l’écologie digitale, un mouvement qui pourrait bien mettre un terme positif au débat.

Connaissez-vous le coût énergétique d’un seul like ? Il est estimé en moyenne à 0,025 Wh. La majorité d’entre nous l’ignore, car ce coût est le plus souvent passé sous silence.
Chaque jour, nous sommes pourtant 4 milliards à nous connecter au moyen de 34 milliards d’équipements numériques. Bilan de la facture : beaucoup de likes, 4 % des émissions de gaz à effet de serre et 6 à 10 % de la consommation électrique mondiale. Sous couvert de cloud, nos services digitaux fonctionnent grâce à des infrastructures qui sont, elles, bien matérielles — et énergivores. Le réseau internet par exemple : si la Toile formait un pays, celui-ci serait le 3ème consommateur d’électricité mondial. Si cela semble impressionnant, ce n’est pourtant qu’un début, car l’univers numérique est en pleine expansion, avec une croissance exponentielle. Selon le journaliste Guillaume Pitron, auteur de l’enquête L’enfer Numérique, à terme, le numérique pourrait ainsi devenir « la plus grande infrastructure de l’histoire ». Mais cette expansion a une limite. D’après le collectif Green IT, si nous n’agissons pas, le numérique pourrait constituer d’ici une génération une ressource (immatérielle) critique non renouvelable. Cela signifie que l’avenir d’internet, mais aussi la mémoire de nos sociétés modernes, dont une partie sommeille dans des data centers, est désormais en jeu.
Conscient de ces enjeux, le mouvement pour un numérique responsable travaille à trouver des solutions durables, c’est-à-dire écologiques.

Qu’est-ce que l’écologie digitale ?

Selon l’étude du cabinet Occurrence commandée par l’ONG Digital for the Planet, 91 % des Français interrogés considèrent l’écologie digitale comme un sujet politique et sociétal majeur. Mais parmi eux, 75 % avouent leur ignorance à ce sujet.
L’écologie digitale (ou numérique) désigne le courant de pensées, la démarche techno-sociétale qui fédère les acteurs engagés en faveur d’un numérique responsable, c’est-à-dire soutenable et profitable pour la planète, la société et les personnes. Ce mouvement favorise notamment les usages et les technologies les plus éthiques, les plus économiques et les plus durables : celles qui génèrent le plus « d’externalités positives » (c’est-à-dire de bienfaits et d’économies).

En quoi cela consiste-t-il ?

L’écologie digitale vise en priorité la sobriété numérique de nos sociétés, qui n’est pas synonyme de décroissance, mais de croissance éclairée, c’est-à-dire raisonnable et raisonnée. Dans son manifeste intitulé Sobriété Numérique : les clés pour agir, Frédéric Bordage explique que ce principe vise à réduire assez la place du numérique dans nos vies pour supprimer ses méfaits sur nos sociétés et sur notre planète. Promouvoir les communs numériques, systématiser le réemploi de nos équipements, employer les données environnementales (dites « d’intérêt général »), ou encore favoriser une transformation digitale responsable des entreprises (comme Transfo.green), représentent quelques-uns des principaux leviers d’actions écologiques en faveur de la sobriété numérique.

Pourquoi la sobriété numérique ?

Comme nous l’avons vu en introduction, le train de vie numérique (et énergétique) actuel de nos sociétés n’est pas soutenable à moyen-long terme.
Pour réduire ce train de vie sans renoncer complètement à nos modes de vie, deux grandes solutions existent relevant de la sobriété : l’écoconception des équipements (en amont), et leur réemploi (en aval). La fabrication de nos équipements numériques (soit l’extraction des minerais et leur transformation en composants électroniques) représenterait en effet à elle seule plus de la moitié de l’impact environnemental lié au secteur. Fabriquer moins d’équipement, rallonger leur espérance de vie et leur donner si possible une seconde vie diminuerait donc massivement cet impact. Actuellement, rappelons que seulement 10 % à 20 % de nos terminaux seraient réemployables.

Qui sont les leaders français de ce mouvement ?

Un riche écosystème d’acteurs publics et privés engagés en faveur d’un numérique responsable s’inscrivent aujourd’hui dans une démarche écologique.
Les plus influents sont l’Institut du Numérique Responsable, l’ONG Digital for the Planet, le collectif GreenIt.fr, l’initiative Planet Tech’Care et le think tank The Shift Project. Le Ministère de la Transition Écologique a également pris part au mouvement avec l’écosystème Greentech Innovation. Du côté des entreprises, citons entre autres l’opérateur téléphonique TeleCoop, le premier opérateur d’intérêt collectif engagé en faveur d’un numérique responsable. L’entreprise encourage en effet ses utilisateurs à la sobriété d’usage, notamment en limitant ses offres mobiles.

Que fait la France en matière d’écologie digitale ?

La France et plus largement l’Europe sont à l’avant-garde du numérique responsable.
En France, on assiste même à l’émergence d’une régulation environnementale du numérique inédite au monde. Le 12 janvier 2021, le Sénat a adopté à l’unanimité la proposition de loi visant à « Réduire l’Empreinte Environnementale du Numérique en France » (REEN). Ce texte est le premier projet de loi à se saisir de l’impact environnemental du numérique en lui apportant des solutions concrètes. L’indice de réparabilité prévu par la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire intègre également un volet consacré au numérique. Objectif affiché : atteindre d’ici 5 ans 60 % de taux de réparation des équipements électriques et électroniques.

Comment responsabiliser ma vie digitale ?

Inscrire sa vie digitale dans une démarche plus écologique est à la portée de tous ! Au quotidien, chacun peut notamment réduire l’empreinte environnementale de ses usages numériques. Mais gardez à l’esprit que les grandes entreprises sont les premières responsables de l’impact du secteur.
Voici les cinq écogestes les plus efficients :

  1. éteindre ses appareils électriques la nuit
  2. débrancher sa box internet en cas d’absence
  3. éviter le suréquipement
  4. privilégier la télévision et la radio quand cela est possible,
  5. conserver le plus longtemps possible ses équipements, les recycler et les remplacer par des produits reconditionnés.

Pour aller plus loin, on vous recommande We Act for Good, l’application écoresponsable de WWF.


Aller plus loin

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Pour repenser l’impact de vos activités numérique sur l’environnement, consultez Reboot : un guide complet pour vous aider à y voir plus clair et à agir en faveur d’un numérique plus durable, respectueux de notre planète !

Face à l’urgence climatique, il est encore temps de changer de logiciel. Ensemble, faisons le choix d’un numérique éco-responsable.

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09.01.2022
Environnement
Article

Jeux vidéo et crise écologique : le grand défi multijoueur du siècle ?

La transition écologique est en train de changer les règles du jeu de la 1ère industrie culturelle mondiale. Ce tournant majeur pourrait-il modifier à terme notre façon de jouer, d’interagir avec « la nature » et d’habiter notre planète ?

À quelques notables exceptions, l’écologie était jusqu’à présent un thème plutôt rare dans les jeux vidéo. Mais face à l’urgence grandissante des enjeux environnementaux, cela est en train de changer.
Le mouvement Playing for the Planet Alliance emblématise la prise de conscience collective qui traverse depuis quelques années le secteur. En partenariat avec le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), Microsoft, Sony Interactive, Twitch, Ubisoft et une vingtaine d’autres ont en effet décidé en 2019 d’unir leurs forces en faveur de la planète. Le mouvement affiche une double ambition : réduire l’impact environnemental du secteur et sensibiliser à grande échelle les professionnels et le grand public. L’alliance milite en ce sens pour des modes de production durables et œuvre à la régénération des écosystèmes forestiers. Encore un coup de greenwashing ? Comme en témoigne le rapport des Nations Unies, les membres de l’alliance semblent tenir leurs engagements et tendent à faire des émules à travers le monde. En France par exemple, l’association Game Impact se voue à « changer les jeux vidéo pour changer le monde », notamment à travers la sensibilisation des studios.
Si ces engagements en faveur de la protection de notre planète vont dans le bon sens, sont-ils pour autant suffisants au regard de l’impact environnemental du jeu vidéo ?

Un bilan difficile à évaluer

En l’absence d’étude référente sur le sujet, l’impact du jeu vidéo et sa part dans le bilan du numérique se révèlent opaques. Cet impact est pourtant bien réel : chaque heure de Fortnite et de World of Warcraft a un coût énergétique. La fabrication et l’alimentation des jeux vidéo consomment en effet de l’énergie et des ressources, en plus d’émettre du CO2. Cependant, plusieurs indicateurs suggèrent que le bilan énergétique du secteur serait moins important qu’on ne le présente souvent. Le marché mondial des consoles par exemple : selon l’expert indépendant du numérique Frédéric Bordage, ce marché émettrait 37 millions de tonnes d’équivalent CO2, contre 600 millions pour l’aviation. Et contrairement à l’idée reçue, la consommation électrique des consoles de jeux serait même décroissante depuis trois générations. C’est déjà trop, mais c’est bien peu comparé au cinéma, une autre grande industrie culturelle à l’aube elle aussi de sa transition écologique.

D’un point de vue écologique, comme le démontre la chercheuse américaine Alenda Y. Chang dans son essai Playing Nature : Ecology in Video Games, le secteur du jeu vidéo pèse en revanche dans deux domaines critiques : le recyclage de ses déchets électroniques, et l’efficience énergétique de ses chaînes d’approvisionnement. L’extraction des ressources nécessaires à la fabrication des équipements dégrade en plus les écosystèmes concernés. Si le bilan énergétique du jeu vidéo est donc souvent surestimé, les voyants de son impact global sont loin d’être au vert. Un bilan qui devrait d’ailleurs s’alourdir avec la globalisation du cloud gaming, un gouffre à données qui relâcherait de grandes quantités de gaz à effet de serre, et la démocratisation du medium. Car comme le rappelle Le Monde, « si l’impact environnemental du jeu vidéo demeure encore limité, c’est parce qu’il reste à ce jour un loisir de pays riches ».
Mais le bilan énergétique d’une industrie culturelle ne se mesure pas seulement en CO2, ou en kWh. Si la transition du jeu vidéo se concrétise sur un plan industriel, qu’en est-il sur celui de la culture ?

Un impact culturel indéniable

Le secteur du jeu vidéo (et de la tech en général) est dominé par une mythologie de la puissance qui se révèle en l’état difficilement incompatible avec la transition écologique, comme nous le démontre le philosophe Timothy Morton. C’est un problème systémique. La course un peu folle à l’innovation technologique alimente la fabrication toujours plus rapide de jeux et de gadgets énergivores. Les performances graphiques des cartes de nouvelle génération n’ont d’égal que leurs contre-performances énergétiques. Quant à la consommation d’un blockbuster (triple A), elle serait dix fois supérieure à celle d’un jeu indépendant. Que penser en ce sens du slowplay, ce mouvement qui préconise la sobriété ludique ? Enfin et surtout, cette mythologie donne naissance à des mécaniques et des représentations anthropocentristes problématiques à l’égard du vivant et de « la nature ».

Cependant, depuis quelques années, une contre-mythologie plus écologique émerge et prend de l’ampleur dans le secteur. Recyclage de l’eau (Working with Water), protection de la biodiversité (BeeSimulator), protection des océans (Beyond Blue), agroécologie (Roots of Tomorrow)… Le mouvement des green games se confronte à la diversité et la complexité des grands enjeux écologiques de notre époque. Il forme un écosystème ludique exceptionnel où s’imaginent des relations au vivant plus vertueuses, des représentations plus constructives de « la nature » et des modes d’interaction plus responsables. Par certains aspects, Death Stranding ou Zelda : Breath of the Wild s’inscrivent dans ce mouvement qui démonte un par un les mythes fondateurs les plus limitants du dixième art, contribuant ainsi à la sensibilisation du grand public, un domaine où le cinéma joue déjà un rôle majeur.

Le défi multijoueur du siècle

Considérant sa puissance économique et son influence culturelle, le secteur du jeu vidéo se situe dans une position unique et historique pour relever le défi de la crise écologique.
Comme nous l’évoquions dans un précédent article, la marge de manœuvre du secteur est colossale : 1 personne sur 3 dans le monde jouerait aux jeux vidéo, soit environ 2,7 milliards d’individus, pour un marché estimé à plus de 300 milliards de dollars en 2020. Comme le démontre à lui seul le jeu multijoueur Animal Jam, qui a levé plus de 10 millions de dollars en faveur de la conservation des espèces en danger, les licences à succès sont des leviers de financement et de sensibilisation massifs. Mais la transition du secteur n’aboutira pas sans une transition des consciences, c’est-à-dire une révolution culturelle. La formation des nouvelles générations sera en ce sens décisive.
Certes, la survie de notre planète (et de notre espèce) ne se jouera pas dans les petits zoos virtuels d’Animal Jam. Mais face au risque d’un game over planétaire, les jeux vidéo nous aideront peut-être à prendre conscience de l’essentiel : à savoir que nous jouons dans le même camps que la planète, et non contre elle.


Aller plus loin

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Pour repenser l’impact de vos activités numérique sur l’environnement, consultez Reboot : un guide complet pour vous aider à y voir plus clair et à agir en faveur d’un numérique plus durable, respectueux de notre planète !

Face à l’urgence climatique, il est encore temps de changer de logiciel. Ensemble, faisons le choix d’un numérique éco-responsable.

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09.01.2022
Parentalité numérique
Article

My Lovely Planet : quand jouer, c’est agir pour notre planète

Un petit studio français veut associer les super-pouvoirs du jeu mobile et de la blockchain pour fédérer des millions de joueurs en faveur de la planète. Clément Le Bras, son fondateur, nous raconte l’histoire de ce projet aussi ambitieux qu’innovant.

My Lovely Planet est un peu le Candy Crush des green games.

En apparence du moins, ce jeu mobile engagé, gratuit et destiné au grand public ressemble aux têtes d’affiche des app stores. Comme dans Animal Crossing, vous créez, prenez soin et personnalisez votre île paradisiaque. Et comme dans Candy Crush, vous vous divertissez, seul ou à plusieurs, avec des mini-jeux faciles et amusants entre vos trajets de bus. Mais à la grande différence de ces jeux, dans My Lovely Planet, chacune de vos actions peut avoir un impact positif réel pour la planète. En plantant un arbre sur votre île virtuelle, vous plantez vraiment un arbre dans le monde réel. Le but du jeu ? Devenir un acteur de la protection de la planète.

Le modèle économique de cette boucle de jeu vertueuse est aussi classique qu’efficace : My Lovely Planet comporte des publicités et des achats in-app. 15 % du chiffre d’affaires est reversé à des ONG engagées en faveur de la protection de la planète. Clément Le Bras, le créateur du jeu, semble s’être bien entouré : Eden Reforestation assure le volet protection des forêts, Sea Shepherd celui de la biodiversité marine et Plastic Bank le nettoyage des océans. La SPA est également de la partie. Quand je l’interroge sur la nature des publicités, Clément fait référence à Goodeed, une alternative solidaire à la réclame traditionnelle. « Comme sur Facebook, les publicités seront ciblées et personnalisées. Mais à terme, nous voulons travailler avec des régies engagées. »

Plastic crush

Le développement de My Lovely Planet a commencé à l’automne 2020.

Clément me raconte que le projet serait parti d’un double constat : « chaque année le jeu mobile rassemble des millions de joueurs et génère une quantité colossale d’argent ». En effet, les chiffres sont impressionnants : « en 2020, nous avons cumulé 5 millions d’années de temps de jeu sur mobile, soit un revenu de 70 milliards de dollars ». Pourquoi ne pas orienter cette énergie extraordinaire au profit d’une grande cause ? Moins de deux ans plus tard, la bêta privée de My Lovely Planet voit le jour. Une équipe de huit personnes, basée à Laval, au sein de la technopole régionale, travaille aujourd’hui à temps plein sur la bêta publique du jeu, prévue pour fin juin.

Tout s’est passé très vite, car Clément n’en est pas vraiment à son premier projet. En 2015, à la fin de ses études, cet ingénieur diplômé des Mines Paris co-fonde Lilo, le 1er moteur de recherche français et solidaire. En l’espace de 6 ans, Lilo a permis de reverser plus de 4 630 000 millions d’euros à des associations. L’engagement sociétal semble être le dénominateur commun des différents projets de Clément. « Tout comme Lilo, l’objectif de My Lovely Planet est de [permettre à chacun de] donner du sens à sa consommation. » Le jeune entrepreneur me rapporte que les cours de Jean-Marc Jancovici, fondateur de The Shift Project, ont beaucoup contribué à sa sensibilisation. « Ma mission à Madagascar, où j’ai été confronté à l’extrême pauvreté, a été également une expérience fondatrice. »

My Lovely Coin

Le financement du jeu s’est fait progressivement, subvention par subvention.

Au printemps 2021, Clément et son équipe lancent une campagne de financement participatif sur KissKissBankBank. La campagne permet à l’équipe de lever 15 597 euros et de valider en passant la promesse du projet. Ce dernier reçoit alors le soutien de la Banque Postale et intègre #MakeitaBetterPlace, le programme de valorisation de projets à impact lancé par KKBB.

Début 2022, c’est le prix Unity for Humanity. Ce programme de subvention récompense chaque année les meilleurs jeux à impact développés sur le moteur du même nom. Une petite consécration qui valide la dimension ludique du projet, un aspect crucial pour Clément. « C’est important que My Lovely Planet soit un bon jeu, que les gens prennent du plaisir en jouant. »

Début 2022, le projet a pris un nouveau tournant : Clément et son équipe ont décidé d’intégrer la blockchain au fonctionnement de leur jeu en lançant le jeton écologique My Lovely Coin ($ MLC) sur Tezos. Un choix mûrement réfléchi selon l’ingénieur. « Je savais que la blockchain pouvait avoir un impact environnemental négatif. C’est pourquoi nous avons choisi une méthode à faible empreinte environnementale. » La preuve d’enjeu (POS), la blockchain choisie par Clément, serait en effet deux millions de fois moins polluante que la preuve de travail (POW).

Quand je l’interroge sur ses raisons, le jeune ingénieur évoque les enjeux énergétiques soulevés par la blockchain. « C’est une technologie de rupture, elle va révolutionner nos usages. Il est crucial que son développement s’oriente dans le sens de la planète. » Clément m’informe d’ailleurs que le site tldr.earth recense les NFT engagés en faveur de l’environnement.

Engagement multijoueur

Si tout va bien, My Lovely Planet devrait voir le jour cet été, mais l’aventure ne fait que commencer pour Clément et son équipe. L’ambition est grande : fédérer à travers le monde une communauté engagée en faveur de la protection de la planète.

« Nous visons 100 millions de joueurs. Cela représente environ un 1/3 des joueurs de Candy Crush. » Une telle communauté pourrait constituer un levier d’influence capable de peser dans les débats publics. « L’idée est de canaliser un maximum d’énergies pour la planète. Si demain une entreprise pétrolière décide de miner l’Antarctique, nous pourrons ainsi mobiliser rapidement des centaines de milliers de personnes. »

Depuis quelques années, le mouvement des green games démontre en effet la capacité des développeurs à s’emparer intelligemment des questions écologiques. Mais dans les faits, force est de constater que leur impact reste souvent symbolique.

Si My Lovely Planet rencontre un succès commercial, le projet de Clément pourrait ouvrir la voie à une nouvelle génération de jeux à fort impact environnemental. Et générer au passage des millions d’interactions positives pour la planète.

26.05.2022
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Comment les biens communs numériques font du bien à nos démocraties

Fer de lance des civic tech, les communs contribuent depuis une décennie à construire un numérique d’intérêt général. Lumière sur ces ressources politiques souvent mises au service d’une démocratie plus ouverte et fondée sur une économie du partage.

Dans une société de plus en plus inégalitaire, que nous reste-t-il en commun ? Probablement plus que nous l’imaginons.

Ce postulat de solidarité constitue le socle des Communs, un modèle de partage des ressources en pleine renaissance qui, depuis une décennie, fédère un intérêt croissant au sein de la société civile et des pouvoirs publics. En quoi ce modèle consiste-t-il ? La préservation, la mutualisation et l’autogouvernance par une communauté des biens communs (matériels, naturels, symboliques) essentiels à sa vie collective.

Remettant en question le droit à la propriété privée, les commoners plaident en effet contre la privatisation, la nationalisation et la centralisation des ressources. Longtemps cantonné à des formes politiques marginales, ce modèle a trouvé dans le champ du numérique la source d’un nouvel essor. Logiciels libres (Linux), encyclopédies en ligne (Wikipédia), données ouvertes d’intérêt général (OpenStreetMap), plateformes collaboratives (decidim)… Aujourd’hui, partout à travers le monde, les communs numériques permettent à des millions de citoyen-ne-s de reprendre en main leur vie collective et de lui redonner un sens.

Chaque jour, parfois sans le savoir, nous les utilisons gratuitement pour collaborer, communiquer, apprendre, organiser sa vie — et se réapproprier, comme on va le voir, le pouvoir d’agir politiquement.

Accéder à la connaissance et la partager

Fondées sur une économie ouverte de la connaissance, les encyclopédies en ligne forment un premier ensemble de communs numériques qui contribue à démocratiser l’accès au savoir. Selon le philosophe Michel Serres, c’est tout simplement une révolution anthropologique.

Avec ses millions de connaissances traduites dans plus de 300 langues, Wikipédia représente la plus importante encyclopédie en ligne de toute l’histoire humaine — mais c’est loin d’être la seule. L’encyclopédie en ligne française Movilab, par exemple, documente plus de 2 500 bonnes pratiques concernant les tiers-lieux, acteurs essentiels de la démocratie contributive. Chaque jour, des communautés citoyennes y partagent les ressources qui leur permettent de concrétiser leurs projets collectifs.

Se former et s’insérer par le numérique

Certains communs numériques favorisent la formation et donc la réinsertion des personnes éloignées du numérique, un véritable enjeu de justice sociale à l’heure où 13 millions de Français sont victimes d’illectronisme.

La région Auvergne-Rhône-Alpes a lancé en 2019 l’Hinaura, un hub régional d’intérêt général visant à diminuer la fracture digitale de son territoire. Parmi ses différents programmes, Et si j’accompagnais sensibilise et forme les professionnels de l’action sociale à l’accompagnement des personnes éloignées du numérique. Les ressources sont collaboratives et en accès libre. Chaque membre de la communauté peut ainsi contribuer à leur amélioration par l’apport de son expérience.

Contribuer au projet politique de son territoire

Troisième ensemble de communs numériques, les plateformes collaboratives favorisent le développement de la démocratie ouverte.

Budgets participatifs, conventions citoyennes, enquêtes publiques, pétitions… L’entreprise Open Source Politics s’est spécialisée dans la création de ces nouveaux outils démocratiques. De plus en plus d’acteurs publics s’appuient dessus pour assurer leur mission de service public et pour impliquer les citoyen-ne-s dans les projets politiques territoriaux.

C’est le cas de la Nouvelle-Aquitaine, avec Proto Impact et Logiciels libres innovants, deux appels à projets destinés à financer les « solutions numériques responsables et ouvertes ». En Loire-Atlantique, le département propose à ses habitants de soumettre leurs idées sur une plateforme dédiée. Autre exemple, la ville de Grenoble a lancé en 2018 le Grenoble Civiclab, un programme destiné à accompagner et financer les projets numériques de la communauté grenobloise.

Retrouver collectivement un élan démocratique

Comme en témoignent ces divers exemples, très loin d’être exhaustifs, notre démocratie puise dans le numérique les ressources de sa réinvention.
Le modèle des communs est-il pour autant institutionnalisable ? Les digital commoners cherchent encore leur économie, leur législation et se heurtent à de nombreux blocages culturels. Mais depuis 2018, l’État français multiplie les signaux et les initiatives en leur faveur.

En début d’année, la France a en effet initié la création d’une initiative européenne pour les communs numériques. Au niveau national, le plan d’action Société Numérique encourage la mutualisation des ressources numériques au sein des territoires. Quant à Code.gouv, OGPtoolbox, Aidants connect ou encore Pix, ces services publics numériques vont dans le sens d’une démocratie plus ouverte.

Common washing ? Le sujet divise chez les commoners. Voyant dans la numérisation des services publics « une extension de l’aire du capitalisme », certains observateurs comme Gilles Jeannot et Victor Poirier mettent par exemple en garde contre cette dernière tendance.

Quoi qu’il en soit, la protection des communs numériques semble devenir un enjeu stratégique pour nos démocraties et leur souveraineté. De plus en plus d’Etats envisagent en effet leur modèle comme une solution au monopole des GAFAM et des NATUS, maîtres et possesseurs actuels du monde numérique. Par ailleurs, ces ressources incarnent la promesse d’un Internet libre et neutre, principe fondateur du Web remis en cause par ces géants.

Enfin, comme en témoignent les retours d’expérience à ce sujet, de plus en plus de citoyen-ne-s semblent trouver dans les communs numériques un nouveau moyen d’engagement politique. En cela, face au sentiment d’impuissance politique, leur modèle pourvoie un champ social d’expérimentation et d’expression qui renouvelle l’imaginaire politique et revitalise l’aspiration démocratique de nos sociétés.

Preuve que, si vacillantes et vulnérables qu’elles puissent apparaître, nos démocraties n’en demeurent pas moins pleines de ressources.


Aller plus loin

Pour approfondir le sujet des communs numériques et agir en faveur d’un numérique d’intérêt général, vous pouvez vous tourner vers la plateforme Numérique en Commun[s]. Via un grand événement annuel, des dispositifs locaux, des ressources partagés et des ateliers de co-construction, NEC favorise la constitution d’une culture commune et d’outils destinés aux professionnels, leur permettant de les accompagner concrètement dans leurs missions de terrain.

Et pour bénéficier encore plus largement de savoirs et compétences partagés et enrichis collectivement, le Réseau Français des Fablabs rassemble plusieurs dispositifs animant des espaces ouverts de fabrication (FabLab). Le Réseau dispose ainsi de plusieurs espaces d’échanges favorisant l’apprentissage, la fabrication et le partage de connaissances, avec pour objectif de “contribuer à changer le monde”.

28.04.2022
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Le jeu vidéo au service de la démocratie numérique ?

Les jeux vidéo se politiseraient-ils de plus en plus ? Citoyens et partis politiques les investissent pour exprimer leurs voix et défendre leurs droits. Décryptage d’une tendance qui tend à changer les règles du jeu dans les urnes et sur les games stores.

Incarner le peuple pour reprendre le pouvoir : c’est la promesse sous-jacente à Watch Dogs : Legion, le nouvel opus de la licence futuriste d’Ubisoft. Le jeu offre en effet la possibilité de recruter des citoyens de Londres pour libérer la capitale anglaise d’une dictature numérique. Pour une fois, le message politique est clair et assumé. Il s’agit, selon Clint Hocking, le directeur créatif du jeu, de « travailler ensemble à construire un monde meilleur ». Par ce plaidoyer démocratique, Watch Dogs : Legion remet ainsi en lumière une dimension souvent discutée du dixième art : sa dimension politique.

Contrairement à l’idée reçue, les jeux vidéo forment et ont toujours formé des espaces politiques contestés, vivants, vibrants, traversés et influencés par les enjeux sociétaux qui entourent leurs contextes de production. Ces dernières années, leur dimension politique a pris une ampleur inédite à mesure que le jeu vidéo se transformait en une industrie culturelle florissante. Des jeux comme Minecraft et des plateformes comme Twitch constituent désormais des terrains de jeu politique où les voix s’élèvent par centaines de milliers. Ce qui fait de ces temples du gaming de puissants instruments d’influence.

Politisation du game

Depuis une décennie, de plus en plus de mouvements politiques emploient les jeux et leurs médias comme de nouveaux canaux de communication. Face à l’abstention, qui bat des records dans nos démocraties, les politiques cherchent en effet les moyens de remobiliser les votants indécis et défiants. Lors des dernières élections américaines, le parti démocrate s’est ainsi démarqué en s’invitant sur la plateforme de streaming Twitch et sur le jeu multijoueur Animal Crossing New Horizon. Les élections présidentielles françaises de 2017 avaient déjà vu émerger des jeux vidéo consacrant certains candidats, à l’instar de Jean-Luc Mélenchon (Fiscal Kombat).

Pour les politiques, l’enjeu est de taille : capter les voix des millions d’électeurs qui se connectent chaque jour aux games stores. Car les rencontres virtuelles génèrent parfois des votes qui sont, eux, bien réels. Nous sommes — électeurs, citoyens — en effet de plus en plus nombreux à jouer ou à être exposés aux jeux vidéo. Selon l’étude SELL (Médiamétrie), 71 % des Français avouent jouer au moins occasionnellement à des jeux vidéo — un chiffre en hausse chaque année. La popularisation du jeu vidéo favoriserait ainsi sa politisation, un phénomène largement amplifié par la « démocratisation » des plateformes de streaming dont la plus populaire, Twitch, comptabilise à elle seule 17,5 millions de visiteurs uniques par jour dans le monde.

Les politiques ne sont ainsi pas les seuls à s’exprimer à travers les jeux vidéo. Depuis quelques années, des médias, des citoyens et des associations investissent ces derniers pour défendre et repenser la démocratie. C’est le cas de Reporters Sans Frontières : son projet Uncensored Library, monument numérique mondial en hommage à la liberté d’expression, en est l’une des plus brillantes démonstrations.

Au sein de l’industrie, de plus en plus de professionnels militent également en faveur d’une politisation vertueuse du jeu vidéo. Citons à titre d’exemple Gamers.Vote, qui s’est donnée pour mission d’encourager le vote chez les joueurs.

Gamification de la politique

Bien que largement prédominant, le « marketing politique » du jeu vidéo recouvre cependant des pratiques vidéoludiques plus constructive pour la société. Notamment dans le domaine de la démocratie participative, qui désigne l’ensemble des démarches associant les citoyens au processus de décision et de délibération politiques.

Depuis quelques années, certaines métropoles américaines recourent ainsi à des techniques de game design pour mobiliser leurs citoyens et les impliquer dans l’élaboration et la gestion de leurs services publics. Dans Games, Powers, and Democracies, Gianluca Sgueo, professeur en sociologie politique à l’université de New York, qualifie ce phénomène de « gamification de la gouvernance ». En 2017, Santa Monica a ainsi lancé CitySwipe, le « Tinder de la planification urbaine », qui permet aux résidents de « swapper » pour ou contre les projets d’urbanisme proposés par la ville.

Si la gamification favorise la démocratie participative et incite les citoyens à s’investir davatange dans la vie publique, Sgueo rappelle dans son essai qu’elle présente néanmoins des risques pour la démocratie elle-même. Parmi ces dérives, les problématiques relatives à la protection de la vie privée. Le système de crédit social chinois donne ainsi à voir une gestion autoritaire et étatique des masses de données personnelles requises au bon fonctionnement de ce mode de gouvernance.

La démocratie par le jeu ?

En tant que médium et industrie de masse, le jeu vidéo peut-il contribuer au renouvellement — et à l’enrichissement — de la vie politique de nos sociétés démocratiques ?

D’un côté, on voit qu’en permettant des échanges plus horizontaux entre la société civile et les institutions et en favorisant la participation citoyenne, celui-ci présente de nombreux atouts en matière de démocratie participative et culturelle. Le jeu favorise l’éducation populaire au comportement démocratique, et de nombreuses applications politiques sont possibles en ce sens. Certains jeux de stratégie, de rôle ou de construction pourraient par exemple contribuer à former les citoyens aux processus de décision et de gestion politiques.

D’un autre côté, le plus souvent, les usages politiques du jeu restent anecdotiques et relèvent plus du gadget que de l’outil démocratique. Il est peu probable que les jeux vidéo et leurs applications dérivées, comme la gamification, deviennent à terme le pivot de la démocratie numérique. Mais comme le démontrent les quelques exemples ci-dessus, sa politisation contribue à divers niveaux à favoriser la « démocratisation de la démocratie » — et du jeu vidéo en lui-même. Ce qui, dans un contexte de montée des régimes autoritaires à travers le monde, ne saurait faire du mal à nos sociétés.

08.07.2021