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La Covid-19, point de fracture numérique ?

03.09.2020

Il semblerait bien que la pandémie ait révélé de fortes inégalités entre les gagnants et les perdants du numérique en France. Mais en les mettant en lumière, la Covid-19 a aussi favorisé un réseau d’anti-virus solidaires. Autopsie.

Parce que les assiettes sont sales mais que la nappe est belle et que l’ombre du noyer strie parfaitement le plateau des tasses à café, vous décidez d’immortaliser ce moment. C’est une bonne photo, la meilleure de votre séjour. Elle s’intégrera parfaitement dans le fil d’actualité de vos créations champêtres. Mais si le cliché a le charme d’autrefois, votre connexion Internet aussi. Et tout à coup, c’est la panique. Vous voilà en train d’arpenter les quatre coins de l’hectare de terrain à la recherche de barres de vies numériques. C’est une question de temps avant que votre photo ne suffise aux contraintes de l’instantanéité. Tant pis si vos amis attendent et que votre café refroidit.

Skypéros, trafic et néolibéralisme

Vous vivez un (mauvais) moment caricatural mais détendez-vous, ces quelques minutes ont une vertu : vous faire prendre conscience de la réalité quotidienne de celles et ceux qui cherchent toujours du réseau, et qui pendant les longs mois de confinement, ne pouvait pas se vadrouiller pour en trouver.

Pour beaucoup, les mois à l’isolement qui ont jalonné nos vies à l’épreuve de la pandémie de Covid-19, n’ont fait que révéler une quasi-inébranlable fracture numérique. Comprendre : l’exclusion de l’accès et de l’utilisation d’Internet de certaines catégories de la population française.

D’après les premières estimations d’une étude Netscout (réalisée à partir des données des fournisseurs d’accès à internet français), le trafic internet a augmenté d’environ 30 % pendant le confinement. Le télétravail, les commandes en ligne, le e-commerce, les « Skypéros » et le binge-watching ont considérablement garni les bandes passantes de l’Internet. Ces dernières auront permis à des millions de Français de prendre l’autoroute du Web avec ses 1 001 fenêtres sur le monde, que l’on peut ouvrir depuis son canapé. En revanche, elles auront aussi laissé quelques millions d’autres sur le bas-côté, boutés par définition hors du « monde d’après » 3.0 puisque incapables d’y entrer. Vous l’aurez compris, l’ère numérique pendant le Covid-19 ressemble à une bonne vieille théorie critique du néolibéralisme : elle privilégie les privilégiés pour démunir les démunis.

Les raisons de la colère

À la fin de l’année 2019, l’INSEE établissait à 17 % la part de la population française touchée par « l’illectronisme », définie comme l’incapacité d’une personne à utiliser Internet. Dit autrement, une personne sur cinq est incapable de communiquer via Internet en France. Dans la même étude de l’INSEE, on apprend aussi que ce sont les plus âgés, les moins diplômés et les revenus modestes qui sont les plus touchés. Près de quatre mois après le jour du déconfinement, plusieurs experts sont en mesure de détailler les éléments qui couvent derrière l’e-exclusion de ces populations.

Premièrement, un calque géographique. Si au troisième trimestre de 2019, le gouvernement s’enorgueillissait de réels progrès quant à l’aménagement numérique du territoire, son Plan France Très Haut Débit laisse encore apparaître de nombreuses zones blanches : des lieux où aucun réseau n’est disponible. À savoir qu’un Français sur deux, résident hors des grandes villes, n’estime pas sa connexion satisfaisante selon le PDG de Capgemini. Or, ce sont souvent dans ces endroits de l’Hexagone que vivent les Français marginalisés cités plus haut.

Deuxièmement, des conditions d’usage. L’illectronisme renvoie en premier lieu à l’incapacité à s’emparer d’un outil technologique qui creuse le fossé entre les générations. Selon une étude des Petits Frères des Pauvres et de l’Institut CSA, 27 % des personnes de 60 ans et plus n’utilisent jamais Internet.

Troisièmement, des raisons économiques. Si l’on pense directement aux populations rurales et aux personnes âgées, on considère moins qu’une personne aux revenus modestes - même si elle réside dans une métropole hyperconnectée - accuse le coût du Web. Or, dans la tranche d’âge 22-36 ans, 56 % des non-connectés depuis plus d’un an déclarent que le coût de l’équipement ou de l’abonnement est la raison principale pour laquelle ils ont décroché des réseaux.

Plusieurs témoignages récoltés au mitan du confinement soulignent cette dernière tendance. Privés de tiers-lieux tels que les bibliothèques ou les cybercafés, des familles entières se sont retrouvées démunies. Comme cette femme interrogée par le jdd.fr qui n’a qu’un smartphone pour un foyer et qui déclare que « 60 % des familles autour d’elle n’ont pas d’ordinateur ». Dans ces conditions, impossible de télétravailler ni même d’assurer la continuité pédagogique des enfants. Plus grave encore, impossible de faire son deuil comme le rapporte une jeune femme à l’AFP : « Mon père est décédé du coronavirus, mais je ne l’ai su que 10 jours après parce qu’on nous a envoyé un mail ».

Solidarité chérie

La crise de la Covid-19 aura permis de révéler les grands enjeux qui campent au fond de la fracture numérique française… Avant de mettre en lumière les actions solidaires orchestrées par une multitude d’acteurs sur le territoire. Face à un défi de société, plusieurs organisations ont d’abord aidé les personnes « illectrées » à pouvoir recevoir des équipements à la faveur de dons. Fort de son engagement passé sur la question, Emmaüs Connect a lancé un dispositif baptisé « Connexion d’urgence » qui a déjà permis de récupérer plus de 500 équipements. La Fondation Simplon et le Collectif d’entreprises pour une économie plus inclusive en France ont aussi imaginé « Gardons le lien » qui vise à rompre l’isolement des personnes vulnérables et rassurer leur proche. Des tablettes ont ainsi été distribuées dans les EHPADs et les hôpitaux pour que les personnes âgées puissent communiquer avec leur famille.

Des actions antérieures à la crise sanitaire peuvent aussi porter leurs fruits comme « Mon centre social à la maison », une plateforme cofinancée par l’Union européenne depuis 2017 qui propose des ressources éducatives, des tutoriels mais aussi des permanences téléphoniques pour accompagner les gens dans leurs démarches. Citons enfin une initiative de l’Armée du Salut sur un public spécifique mais également touché par la fracture numérique : les sans-abris (dont seulement 50 % possèdent un téléphone portable). L’association a mis en place un dispositif intitulé « Free plugs » qui permet aux personnes qui sont à la rue de recharger leur téléphone. Des habitants d’immeubles situés au 1er ou au 2ème étage pouvaient laisser dépasser une rallonge électrique de leur fenêtre.

En sus des efforts consentis pour mailler l’ensemble du territoire avec ses connexions haut débit, le gouvernement a aussi tenté de se joindre aux actions solidaires. Ainsi la Med Num - acteur de la médiation et de l’inclusion numérique - avec le soutien du secrétariat d’État chargée du Numérique - a mis en ligne un site : solidarite-numerique.fr. Y figurent des ressources pratiques dans le cadre professionnel et personnel, pour se former simplement aux outils numériques mais aussi des réponses à des questions comme : comment faire mes courses en ligne ? Comment télécharger mon attestation de sortie ? Ou encore comment effectuer mes démarches auprès de Pôle Emploi ?

Depuis le début de la crise sanitaire, le virus a toujours fait l’objet de considérations ambivalentes. Car en mettant le doigt là où cela fait mal, il aussi permis à des réseaux d’acteurs de travailler ensemble et de mutualiser les efforts pour réduire la fracture numérique. Pour faire une belle jambe à tout le monde ?

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