Le phénomène de désespoir par comparaison, l’autre mal des réseaux sociaux
Les retouches peuvent créer des complexes physiques mais ce ne sont pas les seuls contenus qui peuvent avoir un effet néfaste sur la santé mentale des utilisateurs. Plus d’informations sur le moins connu phénomène de désespoir par comparaison.
Qu’est-ce que le phénomène de désespoir par comparaison ?
Mais comment fait-elle ? Cette camarade classe, pour poser avec une nouvelle brochette d’amis, à chacune de ses nouvelles publications ? Mais comment fait-il ? Cet influenceur, pour se filmer sous le soleil des tropiques une semaine sur deux ? Et que fais-je, moi, au fond de mon lit, en pyjama depuis 19h30, à « scroller » leur vie de rêve ?
Assister à la vie de l’Autre - que l’on observe via ses réseaux sociaux qu’il approvisionne d’instants joyeux - revient, souvent, à la comparer à la sienne. Quoi de plus humain ? Mais être spectateur des vacances de l’un, des sorties des évènements branchés de l’autre, peut conduire l’internaute à trouver, en comparaison à ces vies animées, la sienne ennuyante, voire à se trouver lui-même ennuyant. Une reproduction XXL de ce qu’un adolescent pourrait ressentir dans la cour de récréation de son collège, lorsqu’il se compare au délégué de classe, star de la bande des « populaires », qui est, lui, invité aux évènements les plus « cool » de la promotion, quand ce n’est pas lui qui les organise et trie sur le volet ses convives.
Insidieusement, une forme d’aigreur et de frustration se créent à travers l’écran, ainsi qu’un sentiment d’exclusion. Le jeune sujet peut même développer un complexe d’infériorité jusqu’à, parfois, faire une dépression.
Shirley Cramer, directrice de la Royal Society for Public Health (RSPH), nomme ce mal le « phénomène de désespoir par comparaison ». « Le fait de voir en permanence des amis en vacances ou sortir peut amener les jeunes à se sentir exclus alors que d’autres profitent de la vie. Ces sentiments peuvent provoquer chez eux une attitude de désespoir par comparaison », explique-t-elle simplement.
L’association caritative qu’elle dirige, dédiée à la santé publique, a mené une étude aux conclusions alarmantes. 1479 jeunes âgés de 14 à 24 ans, ont fait part de leur anxiété, de leur solitude, voire, de leur dépression. Leurs témoignages ont conduit à la conclusion suivante : Instagram et Snapchat sont les deux pires réseaux sociaux en matière de bien-être et de santé mentale pour les jeunes.
Sur Instagram, 95 millions de photos et vidéos sont postées chaque jour, rappelle « l’association de protection de l’enfance sur Internet » e-Enfance. Le concept-même de la plateforme repose sur l’image, l’illustration filtrée de sa vie. Et comme Snapchat, le but est aussi de poster des « stories », des publications éphémères de ses sorties : au restaurant à la mode, en festival, sur une plage dansante, bref, là où il faut être pour profiter et, au passage, montrer à l’autre qu’on s’y trouve. Ce qui donne immanquablement à ce dernier l’impression de ne pas bénéficier d’une vie aussi trépidante.
Un cercle vicieux qui entraîne chacun à présenter un portrait irréaliste de soi
Pourtant, cette vie effervescente affichée est souvent mise en scène. Les publications sur le fil des influenceurs, dont le métier est de produire du contenu qui « fait rêver » (quand elle ne frustre pas et ne conduit pas au désespoir), sont souvent des shootings, réalisés par des photographes professionnels, avant d’être retouchées et filtrées. Le cadre est idyllique car il s’agit d’un partenariat. L’influenceur semble heureux, car son métier est de paraître ainsi.
Conséquences : leurs publications irréelles produisent des attentes irréalistes, « qui peuvent pousser les jeunes à des sentiments de gêne, de mauvaise estime de soi et une recherche de perfection qui peut prendre la forme de troubles d’anxiété », alerte la RSPH.
Il s’agit là d’un cercle vicieux : les influenceurs enjolivent leur vie pour la gagner, et leurs abonnés, poussés par un sentiment de frustration face à leurs publications parfaites, souffrant à la fois d’un « désespoir par comparaison » et d’une quête d’approbation sociale, par les likes, travestissent à leur tour leur vie pour que celle-ci paraisse moins banale.
Plus d’une personne sur dix (12%) avoue mentir quant à ses activités postées et les lieux où il se trouve pour embellir son existence virtuelle et s’attirer plus de likes, selon une étude menée en 2017 par Kaspersky Lab, une société privée multinationale spécialisée dans la cyber-sécurité, et repérée par le Journal du Geek.
On peut par ailleurs imaginer que le phénomène de désespoir par comparaison est lié à un autre nouveau mal : le syndrome du FOMO, acronyme anglais de « fear of missing out ». Ou quand la peur de rater un évènement génère une anxiété sociale. Certains abonnés en désespoir de comparaison, et qui lutterait contre celui-ci par la mise en scène d’eux-mêmes, pourraient développer une crainte de manquer un évènement qui leur aurait donner une occasion de se mettre en situation, et d’interagir avec leurs abonnés.
La pandémie mondiale a-t-elle apaisé ces sentiments de désespoirs par comparaison ?
On serait d’abord tenté de penser que la crise sanitaire a fait régresser ce sentiment de désespoir par comparaison, puisque les célébrités comme les anonymes étaient logées à la même enseigne : confinés. Les professionnels du « contenu qui donnent envie » ne pouvaient publier rien de plus original que leurs abonnés. Plus que jamais, les vies des internautes se confondaient, créant même, dans un premier temps, une proximité complice entre eux et les artistes ou influenceurs. Il était par exemple rassurant de les savoir s’ennuyer, avec nous, dans leurs vidéos live sur Instagram, et dans lesquelles ils interagissaient simplement avec leur public.
Mais dans ces zones du globe où un premier confinement avait été déclaré, le trafic Internet mondial avait inévitablement progressé : un bond de 70%, selon l’institut Omdia, cité par Forbes. Sur le podium des domaines les plus impactés par cette augmentation spectaculaire : les réseaux sociaux, bien sûr, aux côtés des plateformes de streaming et des sites commerçants. Les internautes ont sur-consommé les médias sociaux durant cette période. Ils ont donc davantage été au contact de ces fausses vies merveilleuses, devant les stories « souvenirs » ou les publications pérennes des feeds ultra-filtrés.
Et puis, un à un, les influenceurs ont commencé à voyager de nouveau, voire à déménager loin de la France et du quotidien de leurs abonnés, dont la vie n’a jamais été aussi banale, du fait des restrictions sanitaires.
En quelques mois, ils se sont installés par dizaines (et dizaines) à Dubaï, pour bénéficier d’une réduction d’impôt, comme on peut l’imaginer, mais aussi, dans la visée de partager avec leurs followers des photos et des vidéos qui invitent, selon eux, à la rêverie. C’est ce qu’expliquait l’une d’eux chez le Youtubeur Sam Zirah. « Pour un influenceur, c’est dur de faire du contenu quand tu es enfermé chez toi, de montrer des beaux paysages », plaide Kellyn Sun, 21 ans, suivie sur Instagram par presque 800.000 abonnés. « Ça reste un métier. Chacun a un métier et le mien, c’est de partager des beaux contenus », balaie-t-elle, sans se questionner quant aux complexes que peuvent générer ses mises en scène auprès d’une jeune audience, dans un tel contexte de surcroît.
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