Mobilisations en ligne : tout est bon dans la pétition ?
En ces temps de désertion des places publiques, c’est sur les plateformes de mobilisation citoyenne que les associations, ONG et autres collectifs militants continuent leurs combats. Mais votre signature se fait-elle vraiment d’un clic innocent ?
Ils sont nus et prêts à tout. Non, on ne parle pas d’un nouveau concept improbable de télé-réalité à regarder pendant votre confinement mais bien des professionnels du tourisme qui se sont lancés dans une mobilisation sans précédent. Et dans le plus simple appareil. Ils sont hôteliers, restaurateurs ou commerçants et demandent dans une tentative quelque peu désespérée que la population française les soutienne à l’heure où leur activité se retrouve à l’arrêt, en plein épidémie du Covid-19.
La plateforme du changement
Leur page Facebook baptisée #Assurez-nus1 compte déjà des centaines de messages mais, pour avoir un réel impact, c’est sur une plateforme numérique de mobilisation citoyenne que ces actifs qui ne rouvriront le rideau probablement qu’à l’été prochain ont choisi de véhiculer leur message. Plus précisément, le numéro 1 français de la pétition en ligne : Change.org. Le texte2, mis en ligne le 8 avril dernier, a d’ores et déjà recueilli près de 50 000 signatures, surpassant par trois fois l’objectif initial fixé. Bien malin celui qui pourrait affirmer aujourd’hui s’il sera suivi d’effets mais une chose est sûre : l’action dévêtue des professionnels du tourisme s’inscrit dans une multitude d’autres, publiées sur la « plateforme du changement » depuis le début du confinement français. Aux lendemains de la première allocution présidentielle liée à la pandémie le 16 mars dernier, ce sont des centaines de réclamations qui sont postées sur Change.org, allant du droit de jardiner à l’extérieur à une manifestation du personnel soignant le 14 juillet prochain, en passant par le soutien aux centres équestres de Picardie. Entre toutes, certaines affichent des résultats d’engagement assez impressionnants. Comme ce texte3 emmenée par l’ancien ministre de la Santé, Philippe Doust-Blazy, qui recense à ce jour plus d’un demi-million de signatures en vue d’appeler le gouvernement à autoriser le traitement des patients atteint de Covid-19 par la fameuse chloroquine.
Ces chiffres ne sont pas à prendre à la légère. Si Change.org se targue d’être un « outil pour redonner le pouvoir aux citoyens », c’est que parfois, ça marche. En 2012, un texte qui réclamait davantage d’exposition pour les Jeux Paralympiques a forcé France Télévisions à les diffuser. En 2016, une pétition dépasse pour la première fois le million de signatures contre la loi Travail. Enfin, c’est sur la plateforme du changement qu’une certaine Priscilla Ludosky, lance le mouvement des Gilets Jaunes autour d’une mobilisation en ligne contre la hausse des prix de l’essence. Tout se passe comme si Change.org était devenu le nouvel espace idéal pour jauger puis sceller ses opinions politiques. En plein confinement, le site connaîtra sans doute un printemps fécond. Avant la propagation de l’épidémie, il était déjà devenu le réceptacle virtuel préféré des doléances écolos. En 2019, l’environnement est devenu la thématique phare en regroupant 16 % des signatures. C’est que la petite équipe d’une dizaine de personnes qui gère la plateforme a appris à se placer dans le sens du vent. Ils sont désormais une quinzaine en France à prendre le pouls de l’époque et hiérarchiser les combats entre les droits des minorités, ceux des animaux ou la justice économique.
Signer, c’est tromper ?
Après 8 ans d’exploitation dans l’Hexagone, le site déploie un spectre suffisamment large pour convaincre 12 millions d’utilisateurs français. Loin devant ses concurrents comme MesOpinions.com qui n’en compte que 4 millions ou sa rivale plus politique, Avaaz. Pour accroître son avance, le n°1 de la mobilisation en ligne a annoncé en septembre dernier la création à Paris de son premier bureau d’ingénierie. Offrir une meilleure expérience d’utilisation, fluidifier la navigation, entraîner un algorithme qui présentera des pétitions similaires à celles que vous venez de signer… Change.org s’arrime aux grandes intentions d’une start-up en hypercroissance. Car gageons-le, son suffixe est trompeur. Malgré le nom de domaine créé en 2007 aux États-Unis par Ben Rattray, la solution est bel et bien une entreprise. Née quelque part dans les couloirs de Stanford, elle s’est tout de suite dotée d’un modèle économique nécessaire à son expansion. Le deal ? Des associations ou des ONGs qui payent au nombre de signataires d’une pétition. Selon une enquête de France Culture4 sur la version française datant de 2016, les prix proposés varient entre 0,5 à plus d’un euro par signatures. En échange, ces structures seraient assurées de cibler une base qualitative d’aspirants militants qui leur permettra de porter leurs messages et d’élargir leur cercle de donateurs.
Cette transaction s’enrichit, toujours selon France Culture, de la collecte d’un nombre bien portant de données personnelles qui vont bien au-delà d’un nom et d’une adresse email puisqu’elles font apparaître les avis politiques et les aspirations des utilisateurs. Une manne numérique inestimable qui vaudra à Change.org d’être qualifié de « Google de la politique moderne » par le magazine américain Wired5.Entre-temps, l’entreprise aux 200 millions d’utilisateurs dans 196 pays différents, est devenu B-Corp, un label qui permet aux structures d’être crédibles quand elles promettent d’intégrer des objectifs sociaux, sociétaux et environnementaux à leurs missions. Elle est également scrutée par certaines organisations6 qui recensent diverses plateformes proposant pétitions, sondages et cyberactions en ligne en fonction de leurs financements mais aussi du pistage et de la marchandisation de données.
En septembre dernier, Sarah Durieux, nouvelle directrice de Change.org, annonçait7 avoir abandonné le modèle de vente de données personnelles des signataires. À la place, la plateforme profiterait de la contribution de près de 10 000 donateurs mensuels et de levée de fonds internationales dont la plus importante - 30 millions de dollars - a été conclue auprès de Reid Offman, co-fondateur de LinkedIn. Avec ses 22 millions d’euros de chiffre d’affaires mondial, l’avenir de la « plateforme du changement » semble assuré au moment où l’ensemble du globe connaît un bouleversement économique sans précédent. Reste à savoir si les acteurs dévêtus qui l’alimentent pourraient se rhabiller un jour.
2 “Pétition Ne laissez pas mourir les professionnels du tourisme. Soutenez-nous! sur Change.org”
3 “Pétition Traitement Covid-19: ne perdons plus de temps ! #NePerdonsPlusDeTemps sur Change.org”
4 “Pétitions en ligne : le marché des mobilisations”, émission Pixel du 19.02.2016 animée par Eric Chaverou, Abdelhak El Idrissi et Catherine Petillon, et à écouter sur France Culture.
5 “Meet Change.org, the Google of Modern Politics
” un article de Klint Finley à lire en anglais sur Wired
6 “Quelles pétitions signer sur internet ? - ÉTUDE DES DIFFÉRENTS SITES PROPOSANT PÉTITIONS, SONDAGES, CYBERACTIONS EN LIGNE”
7 “Change.org : qui se cache derrière le numéro 1 de la pétition ?” un article de Camille Wong à lire sur Les Echos Start
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