Netflix : un ami qui vous vend du bien
Avec ses 130 millions d’abonnés et sa récente capitalisation boursière, Netflix est devenu le numéro 1 du divertissement mondial. Mais si la plateforme de SVOD est si bien entrée dans votre salon, c’est parce que vous y avez invité votre meilleur ami.
Soyons honnêtes, notre cerveau ne s’embarrasse plus. Saturé d’informations, de notifications, d’invitations et d’injonctions à choisir et cliquer, il arrive très souvent à notre masse nerveuse de trouver refuge dans un confort intellectuel nappé de certitudes, de replay et de films de Noël. Pour son best-seller intitulé Hit Makers (2017), Derek Thompson s’est penché sur « la science de la popularité dans un âge de distraction ». Résultat ? Il ne dit pas autre chose : nous ne ferions plus rien qui nous emmène à réfléchir.
1001 reasons why
La conclusion de Derek Thompson tient en peu de mots : Internet a tué la sérendipité.
Soutenus par des algorithmes et une logique obsessionnelle de la personnalisation, les nouveaux services disponibles sur le Web ont, selon le rédacteur en chef américain de The Atlantic, annihilé notre propension à aller s’aventurer en dehors de notre zone de confort.
Si le journaliste nomme très peu les services concernés, son argumentation tourne autour de la stratégie d’un acteur bien singulier : Netflix.
Avec son puissant algorithme de recommandation, la plateforme de SVOD est capable de proposer à ses 130 millions d’abonnés dans le monde des contenus sur-mesure, dénichés non seulement selon leurs goûts mais aussi l’endroit où ils se trouvent ou encore le type d’appareil qu’ils utilisent.
Selon Thompson, le dénouement n’est pas vraiment compliqué à deviner : dans un futur proche, plus personne ne cherchera de nouveautés. En vérité, c’est déjà le cas.
Interrogé lors du Machine Intelligence Summit à San Francisco en 2017, Hossein Taghavi - ingénieur en charge de la recherche chez Netflix -, confiait que « 80% des contenus visionnés par [leurs] utilisateurs sont des recommandations ». Et de conclure : « Notre objectif, à long terme, est que lorsque l’utilisateur se connecte, le contenu qu’il souhaite visionner s’affiche en haut de la page, sans qu’aucune action de sa part soit nécessaire ».
Jusqu’à aujourd’hui, les services d’abonnement ont fait un pari : capitaliser sur le trop plein d’optimisme des gens et faire confiance à leurs « bonnes résolutions ». C’est le modèle des salles de sport par exemple. Netflix a choisi de faire l’inverse en exploitant le manque de connaissance de soi.
Nul besoin de miser sur votre bonne volonté, Netflix a déjà anticipé ce que vous vouliez. Si la plateforme est entrée avec autant d’impact dans les salons du monde entier, c’est d’abord parce qu’elle sait tout de vous. Dit encore autrement, Netflix vous connaît mieux que vous ne vous connaissez vous-même.
La formule n’est pas une critique. Loin s’en faut, c’est même devenu un slogan. Répétée à l’envi par Reed Hastings - le PDG de Netflix - et ses porte-parole, elle permet de marteler que l’entreprise est devenue votre meilleure amie. Et si possible, pour la vie.
Un avenir dont vous êtes le héros
Jadis ultra-secret, le fameux algorithme tout-puissant de Netflix fait l’objet de coming-out à répétition sur la Toile.
L’an dernier, quatre ingénieurs du géant américain ont fièrement expliqué par le menu les détails de la stratégie de personnalisation informatique de l’entreprise. Les employés insistaient sur la prépondérance des fenêtres de prévisualisation des contenus, qui seraient responsables de 82% des choix des abonnés de la plateforme.
En fonction des comportements et informations de chacun, les illustrations changent et se personnifient. Les équipes de Netflix peuvent proposer plus de 100 millions de visuels différents pour affiner l’expérience de visionnage.
Pour ce faire, elles récupèrent un maximum de données grâce au machine learning (apprentissage et traitement automatique d’une intelligence artificielle, ndlr) mais s’inspirent aussi de méthodes de psychologie comme l’AB testing ou mathématiques ou le bandit manchot. Tant et si bien qu’aujourd’hui, Netflix annonce avoir identifié 2000 « communautés de goûts » parmi ses abonnés, lui permettant d’affiner son processus de recommandation à destination de ses utilisateurs et de proposer la meilleure expérience à chacun.
Cela dit, dans son élan de transparence, Netflix ne s’est pas arrêté là. Durant l’été 2017, votre nouveau meilleur ami des soirs pluvieux révélait qu’il utilisait sa série The Defenders pour mieux comprendre son audience.
L’idée ? Regrouper quatre super-héros bien distincts de la société Marvel afin d’identifier si des publics tout aussi différents pouvaient se regrouper autour du show. Au-delà de savoir ce que vous souhaitez regarder, Netflix cherche aussi à comprendre les raisons pour lesquelles vous passez d’une série à une autre.
Dans un entretien accordé à Wired, Todd Yellin - vice-président « produit » de Netflix - parle de « chemins ». Le but de la plateforme étant de trouver ce qui amène un utilisateur à sauter de Walking Dead à Narcos ou d’Orange is the New Black à 13 Reasons Why. L’idée de regrouper quatre personnages dissemblables - Daredevil, Jessica Jones, Luke Cage et Iron Fist - permettait d’associer les caractères singuliers que le public leur prête. Et ainsi, de réaliser une sorte de série totale où convergeront les fameuses 2000 communautés de goûts.
Toutefois, les spécialistes du secteur ont rapidement dévoilé que The Defenders servait aussi d’autres intérêts, à commencer par un contrat juteux avec Marvel. La série devient presque expérimentale lorsqu’on apprend que la première saison ne connaîtra jamais de suite, pour des raisons qui n’ont jamais été divulguées.
Demain, la plateforme pourrait démocratiser les séries-jeux, déjà testées sur un public jeune, où les abonnés pourront prendre part au scénario comme dans la série de science-fiction Black Mirror.
Connu pour la précision de son algorithme et ses efforts certains dans le calcul de raisonnements logiques, Netflix a semble-t-il décidé de s’intéresser à un autre champ d’étude : la psychologie.
Reste à savoir pourquoi l’entreprise révèle chaque jour un peu plus d’informations sur ses stratégies captives. Ce qui est sûr, c’est que votre cerveau est le cobaye d’un nouveau laboratoire divertissant et il se pourrait bien que la plateforme devienne vite un outil dont vous êtes le héros discret. Derek Thompson vous proposerait bien de réfléchir mais allez-vous vous y risquer ? Et puis ça aussi, Netflix le sait peut-être déjà.
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