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Numérique au travail : l’informatique, c’est pas automatique ?

28.09.2018

Encore beaucoup d’études soulignent de nettes lacunes informatiques dans le monde de l’entreprise jusqu’à faire émerger un terme : l’incompétence digitale. Mais quelle est la véritable ampleur du phénomène ?

Le milieu de l’informatique a ses légendes. Des grands hackers qui se glissent dans les systèmes du Pentagone aux e-chevaliers blancs qui sauvent la démocratie en diffusant des informations classifiées, Internet regorge d’histoires fabuleuses. Mais loin du « Web of fame » 1, il y aussi Julien du service commercial qui n’arrive pas à se dépêtrer d’un rapport plutôt compliqué avec le digital.

Julien 2 est jeune trentenaire, membre de la génération Y dite des « digital natives » quotidiennement confrontée aux usages numériques et pourtant, chez lui, l’informatique n’est pas vraiment automatique. Commercial dans une grande société, il n’a pas « coulé la boîte » mais « a multiplié les bourdes » qui aurait pu mettre en péril l’entreprise.

Ses erreurs ? Avoir pris en photos ses chiffres en réunion et les avoir envoyés fièrement par email dans une boucle composée de clients et de concurrents potentiels, avoir téléchargé des séries en streaming sur son ordinateur professionnel, ne jamais fermer les applications de messagerie interne sur son Ipad, etc.

Trouver le coupable

De son propre aveu, Julien n’est « pas assez vigilant ». Mais son cas est loin d’être isolé. Le phénomène de la mauvaise utilisation du numérique au travail a même donné lieu à un nouveau concept : l’incompétence digitale. Et dans le monde de l’entreprise, le terme fait grincer les dents puisque selon plusieurs études, son coût est évalué à plus de 2000 euros par an et par salarié.

Alors, quelles sont les causes de cette ignorance informatique ? Encore aujourd’hui, la documentation sur la cybersécurité du milieu professionnel fait reposer sur les employés des sociétés une lourde responsabilité. Selon les données sur les sinistres dont dispose une entreprise internationale de conseil, de courtage et de solutions logicielles, les négligences et les actes de malveillance des salariés seraient ainsi à l’origine de deux tiers des atteintes à la sécurité informatique.

En cause, des erreurs banales : le téléchargement d’un logiciel malveillant, le défaut de mise à jour d’un antivirus ou l’utilisation répétée d’un même mot de passe. Une autre enquête fait remarquer que 24% des salariés utiliseraient les mêmes identifiants de connexion pour leurs comptes personnels et professionnels, et que 96% d’entre eux enregistreraient automatiquement les mots de passe sur leur ordinateur de travail.

Et pourtant, si l’on s’intéresse de plus près aux tenants et aboutissants de l’incompétence digitale, faire porter le chapeau à des personnes en situation de délicatesse avec le numérique est un peu réducteur.

Tout d’abord, le dernier rapport du CLUSIF (Club de la sécurité de l’information français) à propos des menaces informatiques et des pratiques de sécurité en France, daté de juin 2018, souligne que « le nombre de personnes qui déclarent avoir subi la perte ou le vol de données sur un ordinateur au cours des deux dernières années est en diminution sensible ». Et de conclure : « De manière générale, les internautes ont conscience que leur comportement sur internet peut être facteur d’augmentation des risques qu’ils encourent ».

D’autre part, les plus grands scandales en date liés à la sécurité des sociétés ne sont pas vraiment le fait des employés. Si l’on prend l’exemple du [tristement célèbre piratage du site de rencontre canadien Ashley Madison](https://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/08/19/les-donnees-piratees-du-site-de-rencontres-adulteres-ashley-madison-publiees-en-ligne_4729818_4408996.html “Le piratage du site Ashley Madison et la question de la “moralité” des hackeurs”) en 2015 ou de celui des trois milliards de compte Yahoo en 2013, l’infiltration malveillante aurait résulté de la négligence de l’équipe dirigeante.

« Un ordinateur aujourd’hui, c’est comme un arbre de Noël »

Alors à qui la faute ? Pour Stéphane de Jotemps, la question est déjà mal posée. Le directeur des ventes de Skillsoft France 3 indique que faire porter la responsabilité à une catégorie d’acteurs empêche de penser le changement complexe des outils numériques. En clair, les raisons de l’incompétence digitale relèvent selon lui de la perpétuelle mutation de l’écosystème numérique avec lequel chacun doit traiter.

« Un ordinateur aujourd’hui, c’est comme un arbre de Noël, explique-t-il pour Mes Datas et Moi. Les applications sont des boules qui s’illuminent et changent tous les jours. » Comprendre : l’employé doit faire preuve d’une capacité d’adaptation quasi quotidienne pour s’emparer des nouveaux outils, en apprenant au fil de l’eau.

Or, le niveau de culture numérique n’est pas le même pour tous. Pour preuve, le secrétaire d’Etat en charge du Numérique, Mounir Mahjoubi, déclarait le 11 septembre dernier que « 20% des Français étaient encore démunis face aux outils numériques ». « Il y a des clients qui impriment encore leurs emails parce qu’ils veulent tout posséder, alors qu’il y a des nouveaux outils digitaux pensés pour leur faire gagner du temps », reprend Stéphane de Jotemps.

Cela dit, une fois la porte ouverte, de nouveaux défis s’amoncellent tant le changement est perçu comme une aventure dans le monde de l’entreprise. « Modifier la culture d’entreprise revient à attaquer l’Everest par la face Nord », confiait Sylvie Joseph, directrice du programme de transformation interne de La Poste. « Et en France, on n’est pas bons », poursuit Stéphane de Jotemps en faisant référence à notre niveau de culture web en deçà des standards internationaux.

En revanche, le directeur des ventes reconnaît que les entreprises ont enfin compris l’importance que recouvrait leur mue numérique : « Depuis 4 ans, je peux dire que la transformation digitale est au cœur de la stratégie des grandes entreprises. Tout simplement parce qu’elles ont bien compris qu’elles pouvaient mettre la clé sous la porte face à une start-up qui pouvait évoluer beaucoup plus vite. »

Dans cette conception binaire qui oppose salariés et entreprise, Stéphane de Jotemps préfère parier sur une responsabilisation collective. « L’omniprésence du numérique dans nos vies, le RGPD ou encore les nouveaux modes de transmission de savoirs qui empêchent les silos… tout ceci porte à croire que nous allons vers une volonté de mettre l’individu en compétence », détaille-t-il. D’autant plus que malgré les lacunes informatiques, la compréhension des enjeux impliqués est de plus en plus grande.

« Grâce à cette prise de conscience, on évite davantage d’erreurs car les gens sont de plus en plus vigilants. D’un côté le risque numérique est décuplé, mais de l’autre, les individus sont plus intègres. » Et si, avec ses bricoles, Julien avait finalement aidé sa boîte à se développer ?


1 Web des célébrités

2 Le prénom a été volontairement changé

3 Propose « une solution de formation pour développer les compétences bureautiques des salariés »

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