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Usages numériques
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Numériser l’éducation : les codes d’une ambition

20.06.2017

La mue numérique de l’école s’est concrétisée à la rentrée 2016 par l’expérimentation de l’apprentissage du code dès la maternelle. Enjeux, problématiques et bilan d’une vraie révolution dans un pays où l’informatique n’a pas toujours été automatique.

Chaque année, c’est la même chose. À la fin juin, des centaines de milliers d’enfants sortent en pagaille des salles de classes en sachant un peu mieux compter, un peu mieux lire et un peu mieux écrire. Mais en 2017, certains d’entre eux embarqueront d’autres savoirs pour les vacances. Depuis la rentrée 2016, une petite portion d’écoles primaires françaises apprend à ses élèves à coder, à programmer des jeux vidéos ou des robots. Objectif officiel ? Tester l’apprentissage de la science informatique dès le plus jeune âge. Ambition d’État ? Engager une bonne fois pour toute la transition numérique de l’éducation en France.

Une ambition présidentielle

« Il s’agit de changer le rapport à la formation et à l’apprentissage », indique Mathieu Jeandron, à la tête de la Direction du numérique pour l’éducation (DNE). Depuis 2014, cet organisme placé sous la responsabilité de l’Éducation nationale tente de déployer la stratégie numérique du ministère en concevant notamment des dispositifs de formation adéquats. Mais la DNE est d’abord et surtout le fruit d’une ambition présidentielle, celle de François Hollande qui en 2012 entendait bien faire entrer l’école dans le monde numérique. « Tout doit commencer par le codage à l’école », affirme-t-il ainsi lors d’un voyage dans la Silicon Valley en février 2014. Derrière les slogans, il y a les actes qui « commencent dès 2012 et 2013 par une loi de refondation et de définition d’un dispositif numérique éducatif », souligne Mathieu Jeandron. Puis dans le sillage de la création de la DNE, le plan numérique pour l’éducation de 2015 « jettera définitivement les bases des composantes qui vont permettre aux enseignants de s’approprier la culture numérique ».

La partie immergée de l’iceberg digital s’observe surtout depuis 8 mois, lorsqu’on pousse la porte d’une salle de classe. À l’intérieur, des élèves programment des robots tandis que leurs enseignants leur rappellent les rudiments de la cryptographie. Si tout va bien, ces enfants âgés de 3 à 10 ans seront capables dans les années à venir de créer des jeux vidéo, de tout savoir sur le stockage des informations en ligne et même de décrypter des lignes de code aujourd’hui incompréhensibles pour le grand public. Comment une scène qui relevait il n’y pas si longtemps de la science-fiction est-elle devenue réalité ? « En montrant que c’était possible, tout simplement », répond David Wilengbus de La main à la pâte, une fondation qui milite depuis plusieurs années en faveur la mue numérique de l’école. Avec son équipe composée de consultants scientifiques et de concepteurs-rédacteurs, David Wilengbus a conçu un manuel de 358 pages qui s’est rapidement imposé en tant que support pédagogique privilégié de cette nouvelle formation au numérique. L’initiative a reçu le soutien de Google et de Microsoft, mais surtout celui de l’Éducation nationale et du corps enseignant. « C’était le principal challenge, confie l’auteur. Les gens sont a priori méfiants soit parce qu’ils considèrent que c’est inutile, soit parce qu’ils pensent qu’ils ne sont pas capables de le faire. »

« Il est urgent de ne plus attendre »

Au-delà d’un manuel de 300 pages, le projet de La main à la patte entend surtout tordre le cou à certaines idées reçues : « L’informatique n’est pas qu’un ensemble d’outils, c’est une science », rappelle l’introduction d’1,2,3…codez !. D’où l’importance des activités dites « débranchées » préconisées par les pédagogues et qui permettent d’expliquer les concepts et l’histoire de l’informatique avant d’utiliser les ordinateurs. « On est parti d’un mauvais postulat en France, reprend David Wilengbus. Celui de penser que l’informatique se cantonnait à l’apprentissage d’outils numériques, d’un tableur ou d’un logiciel de traitement de texte ». Lorsque Mathieu Jeandron liste toute une série de textes qui ont suivi l’élection de François Hollande, les informaticiens préfèrent citer un rapport de l’Académie des sciences publié en 2013. Intitulé « Il est urgent de ne plus attendre », le document a eu un écho certain au sein de la communauté scientifique tout en apportant la caution intellectuelle qui manquait jusqu’alors à l’ambition du gouvernement.

S’il interpelle, c’est parce que ce rapport a le mérite de souligner les finalités et les enjeux, d’abord économiques, de l’enseignement informatique et plus globalement de la mise en place de la stratégie numérique de l’école. « L’idée générale, c’est de s’ancrer dans un environnement où le numérique est désormais partout », résume Mathieu Jeandron. « Aujourd’hui, tous les métiers – du boulanger au journaliste en passant par le taxi – sont déjà impactés par le numérique », complète David Wilengbus. La deuxième grande dimension est quant à elle citoyenne : « La protection des données personnelles, l’e-réputation, le big data, la protection de son identité… il y a des enjeux citoyens vitaux derrière tout cela. Et il est nécessaire de s’y familiariser dès le plus jeune âge », poursuit-il.

Un TOEFL du numérique

À l’orée d’une année d’un nouvel apprentissage, quel bilan peut-on tirer ? « Pour moi, il est très positif », estime David Wilengbus. À l’heure actuelle, 18 000 enseignants formés dispensent la science de l’informatique à près de 500 000 enfants. Selon lui, les élèves s’amusent énormément et les professeurs sont de plus en plus enthousiastes. « La prise de conscience est désormais faite, maintenant il reste à convaincre les 330 000 enseignants restants et à rattraper le retard. » Car oui, la France aurait du retard. À côté de certains voisins européens comme la Finlande, la Belgique ou le Royaume-Uni, « on a mis 20 ans à comprendre que bombarder les écoles de matériel, donner des tablettes à tout le monde ou mettre des imprimantes 3D partout ne servait à rien », fustige Wilengbus. Mais, selon Mathieu Jeandron, la situation n’est pas si mauvaise que ça. « Si on garde à l’esprit l’image traumatisante des ordinateurs qui sont restés dans un placard, oui il y a eu des ratés. Mais depuis le Plan Informatique pour tous de 1985, on a pu apprendre de nos erreurs et nous sommes maintenant clairement dans une logique de progrès où la France tient la dragée haute aux autres pays du monde », défend-t-il. Pour preuve, le directeur de la DNE en veut le « TOEFL du numérique » - dont une version est déjà disponible en ligne - qui permettra aux jeunes étudiants de tester leurs connaissances en informatique et « d’avoir une reconnaissance universelle sur le marché de l’emploi ». Les cours d’algorithmique et de codage devront s’intensifier jusqu’à penser un projet de création numérique d’envergure au bac. Enfin, Mathieu Jeandron ne cache pas vouloir s’inspirer des méthodes de nos voisins britanniques, en important l’idée de fournir aux élèves les plus jeunes une petite puce qui leur servira de support de programmation tout au long de leur scolarité.

Reste à savoir comment l’ambition de François Hollande se diluera dans le nouveau gouvernement de la présidence d’Emmanuel Macron. Mais selon Mathieu Jeandron, « le plus dur est passé, les principaux acteurs se sont désormais rendus compte combien le numérique était important ». David Wilengbus, lui aussi, compte bien continuer à montrer que c’est possible. Une deuxième édition d’1,2,3…codez ! est actuellement en préparation pour la rentrée prochaine. L’objet ? Numériser le collège.

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