This website requires JavaScript.

Numérique Éthique vous est utile (ou pas) ? Dites-nous tout en 5 minutes ici

Acculturation
Article

Réalité virtuelle et santé : promesses tenues ?

21.02.2019

Dans ce troisième et dernier article, Emilie Ropert-Dupont et Bahman Ajang complètent un panorama prometteur des atouts de la VR pour le milieu médical, tout en s’interrogeant sur ses effets de long terme pour le public.

Suite du deuxième épisode consacré au sentiment de présence au service des thérapies.

La diminution du stress et de l’anxiété vécue dans les environnements virtuels grâce au sentiment de présence est tout particulièrement bienvenue avant une opération chirurgicale ou un examen médical anxiogène. Jeunes comme moins jeunes se montrent souvent réceptifs à l’immersion et à la dimension ludique de la VR.

La réalité du cabinet du médecin ou de la salle d’opération passe au second plan de la conscience tout en restant suffisamment présente pour permettre l’acte de soin. Le praticien peut par exemple, avec l’appli VR Vaccine, faire une injection au moment précis où une créature féérique et amicale vient se poser sur le bras du jeune patient. Réel et virtuel se rejoignent pour faire vivre une expérience moins désagréable au patient et favoriser le bon déroulement de l’intervention médicale, et par là même l’efficacité du soin.

Soigner l’esprit et le corps

La VR apporte des résultats sans précédent y compris dans des prises en charge délicates avec des patients schizophrènes. Il est en revanche notable que les dimensions d’incarnation corporelle d’un avatar et d’immersion dans un environnement virtuel soient, sans doute volontairement, évitées dans ce type d’expérimentation. Cette catégorie de population peut en effet avoir un rapport fragile voire dysfonctionnel au réel et à son identité.

Une étude parue en 2017 dans la prestigieuse revue scientifique et médicale The Lancet psychiatry1, rigoureuse et de grande ampleur, a prouvé que chez des patients schizophrènes souffrant d’hallucinations auditives, une diminution significative et pérenne de ce symptôme était possible.

Les voix entendues par les patients atteints de schizophrénie sont souvent désobligeantes et menaçantes, provenant d’entités qui exercent leur ascendant sur le malade, ce dernier vivant cette expérience avec peu ou pas de prise dessus, se sentant dépassé. La souffrance psychique induite est par conséquent importante. Cette composante de la pathologie a été jusque-là particulièrement résistante aux méthodes “traditionnelles” basées sur la psychothérapie et les traitements médicamenteux.

L’étude de 2017 a tenté de répondre à ces manquements, en créant le visage d’un avatar basé sur les descriptions du patient, destiné à incarner cette voix issue de son imaginaire, tout en lui permettant de communiquer avec elle de façon réaliste sur un ordinateur.

Ces séances furent menées à l’hôpital, sous la supervision du thérapeute présent dans la pièce voisine, capable de prendre le contrôle de l’avatar pour parler au patient avec une voix réaliste, de manière à incarner positivement ses hallucinations auditives.

Ce dispositif, mené à raison de plusieurs séances hebdomadaires, a eu pour effet de diminuer la fréquence et l’intensité de ces hallucinations, ainsi que le vécu de persécution et de détresse, ceci de façon stable dans le temps et plus efficacement que par les approches classiques.

Selon les auteurs de l’étude, le contrôle virtuel de cette voix par le thérapeute a permis l’amélioration de l’affirmation de soi du patient, ses capacités de résistance et son sentiment de maîtrise sur cette entité auparavant vécue comme incontrôlable.

La VR, conjuguée à d’autres technologies innovantes, peut s’avérer être une contribution importante pour faciliter l’adhésion du patient à une intervention thérapeutique longue, difficile et exigeante. Prenons ici le cas d’une dernière étude2.

Huit patients, paralysés des deux jambes, devaient effectuer des mouvements volontaires sur un tapis roulant pour contrôler leur propre avatar virtuel. Un exosquelette, connecté directement au cerveau par une interface cerveau-machine directe mais non invasive, soutenait leur effort, permettant d’activer d’une part l’exosquelette et d’autre part les muscles et les réseaux neuronaux correspondants. Chez 80% des patients paraplégiques, ces derniers sont encore fonctionnels.

Par ailleurs la VR a influé positivement sur l’expérience de rééducation des patients qui ont eu l’opportunité de vivre une expérience de marche virtuelle. Cela a sans doute joué de façon déterminante sur la motivation et la persévérance nécessaires lors de ce type d’entraînement de longue durée. Au bout d’un an, les sensations de contrôle musculaire de quatre patients s’étaient suffisamment améliorées pour que les médecins requalifient le niveau de leur paralysie de totale à partielle. Une avancée sans précédent pour les patients paraplégiques !

Quel avenir pour la réalité virtuelle ?

Même si nous disposons de chiffres concernant le marché de la réalité virtuelle, ces derniers nous permettent-ils vraiment de présager du devenir de cette technologie ? Un rapport d’IDC3 annonce une croissance de 9,4% au troisième trimestre 2018 pour les ventes des casques de réalité virtuelle et augmentée.

Dans le même temps, Imax, qui commercialise les caméras et les projecteurs du même nom dans les salles de cinéma, ferme ses trois dernières salles d’arcade dédiées aux expériences VR. S’il n’est pas évident de dégager une vision prévisionnelle à partir d’indicateurs économiques hétérogènes, l’évolution des ventes de casques viendra peut-être préciser le degré d’adhésion du grand public.

Les résultats les plus probants semblent pour le moment se situer dans le champ professionnel, comme nous l’avons exposé à propos des applications médicales fondées sur le “sentiment de présence” généré par la réalité virtuelle. De plus en plus d’expérimentations démontrent les plus-values de la VR du côté des patients comme du côté des praticiens. La réalité virtuelle permet de diminuer le coût financier de certaines thérapies ainsi que le nombre de séances nécessaires, pour un effet équivalent ou supérieur aux thérapies classiques. Les personnes prises en charge y gagnent en confort et en sécurité, et ressentent moins d’appréhension durant leur traitement.

Mais les apports indéniables de la VR ne doivent pas nous dispenser de prendre des précautions, ceci pour au moins deux raisons. Il est tout d’abord nécessaire que suffisamment d’études explicitent le mode de fonctionnement et les effets de cette technologie sur le cerveau et les comportements. Il sera ainsi impératif, dans un avenir proche, de prendre en compte les préconisations émises par les acteurs du monde académique et les professionnels de la santé.

Des initiatives ont été prises par les autorités compétentes, telles que l’ANSES4 qui a constitué début 2018 un groupe de travail pour évaluer durant deux ans « les effets sanitaires potentiels liés à une exposition aux technologies de réalité virtuelle et de réalité augmentée ». De nombreux chercheurs font remarquer que nous ne disposons pas de suffisamment de recul pour cerner les enjeux liés aux usages des nouvelles technologies, et mesurer leurs conséquences sanitaires.

Sommes-nous, comme l’a déclaré Richard Davidson, neuroscientifique à la University of Wisconsin Madison et fondateur du Center for Healthy Minds, les « cobayes d’une grande expérience scientifique dans laquelle nous sommes manipulés par des stimuli numériques, mais à laquelle personne n’a donné son consentement explicite » ?5

L’impact d’une nouvelle technologie, quelle qu’elle soit, dépend par ailleurs de son usage. La pratique de Fortnite6 entraîne visiblement une addiction particulièrement forte, mais dans quel contexte d’utilisation, et au bout de combien d’heures de jeu ? L’impact de la réalité virtuelle résulte de la même manière de l’utilisation qui en est faite.

Enfin, le temps industriel ou technique n’est pas le temps des usages. Comme le note Patrice Flichy, « le télégraphe électrique était connu dès le début du dix-septième siècle et pourtant il a fallu deux siècles pour qu’il soit effectivement utilisé »7. Bien que les premiers prototypes VR remontent aux années soixante (avec le Sensorama de Morton Heiling, ou le premier simulateur de vol de l’armée de l’air américaine), le grand public n’a pas intégré la réalité virtuelle à ses habitudes. Or « une technique n’est ‘utilisable’ que dans un mode d’organisation sociale donnée », à condition qu’elle mobilise des « savoir-faire sociaux qui la rendent appropriable par une société particulière »8.

La dimension sociale pourrait constituer la pièce du puzzle manquante pour que nos sociétés occidentales soient prêtes à une véritable acceptation de la réalité virtuelle.


1 Craig, T., Rus-Calafell, M., Ward, T., Leff, J., Huckvale, M., Howarth, E. Avatar therapy for auditory verbal hallucinations in people with psychoses : a single-blind, randomised controlled trial. The Lancet Psychiatry, en ligne, 23 novembre 2017

2 https://www.usine-digitale.fr/article/des-exosquelettes-et-la-realite-virtuelle-aident-des-patients-paraplegiques-a-remarcher.N422722

3 International Data Corporation, groupe de conseil et d’études sur les marchés des technologies de l’information

4 Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail

5 https://usbeketrica.com/article/effets-de-la-technologie-sur-notre-cerveau-la-grande-inconnue

6 https://www.franceinter.fr/emissions/l-edito-m/l-edito-m-17-decembre-2018

7 https://www.persee.fr/doc/reso_0751-7971_1987_num_5_24_1255

8 Ibid.

Retour