Marketing d’influence : le business en or qui défraie la chronique
Sous les feux des projecteurs, les stars des réseaux sociaux sont depuis quelques années au cœur de nombreuses polémiques. Un sujet central revient en permanence : l’utilisation de leur influence qui tend à devenir problématique.
Le 11 septembre dernier, France Télévisions diffusait un Complément d’enquête au titre brûlant : “Arnaques, fric et politique : le vrai business des influenceurs”. Une émission très attendue par de nombreux détracteurs de cette industrie, espérant que certaines vérités soient enfin dévoilées au grand jour.
Une faction d’influenceurs avec peu de scrupules
Réunissant des millions de fans sur les réseaux sociaux, les candidats de télé-réalité, devenus stars d’Instagram et de YouTube, ont parfaitement compris les règles du jeu.
Leur notoriété a un prix, et les chiffres qui en découlent peuvent en affoler plus d’un. En échange de cachets pouvant atteindre 10 000 € pour une vidéo de quelques minutes, les influenceurs effectuent des placements de produits. Il s’agit tout simplement d’une publicité dans laquelle ils se mettent en scène pour vanter les avantages d’un service ou d’un produit auprès de leur communauté.
Certaines promesses fièrement promues doivent vous mettre la puce à l’oreille, et vous inviter à la vigilance :
- devenir riche sans efforts (paris sportifs, investissement en bourse et cryptomonnaie “faciles”, formation à l’entrepreneuriat) ;
- perdre du poids et s’embellir (cures amincissantes, vêtements gainants, compléments alimentaires, chirurgie esthétique, produits de beauté, etc.) ;
- avoir un style de vie à la mode (marques de vêtements en tout genre, gadgets technologiques et smartphones, bons plans de voyage, belles montres, bijoux, etc.).
Pour les influenceurs et leurs agents, ces opérations représentent une énorme manne financière…qui va malheureusement parfois leur faire tourner la tête, au point de les éloigner de toute considération éthique, et parfois, de tomber dans l’illégalité. C’est ce qu’a cherché à démontrer Tristan Waleckx, présentateur de Complément d’Enquête.
Depuis quelques années en effet, un mouvement de fronde se lève pour dénoncer de nombreuses pratiques litigieuses :
- vente de produits défectueux, jamais livrés, inefficaces ou dangereux ;
- promotion de faussaires (permis de conduire, test PCR valide, etc.)
- mise en avant de contrefaçons ;
- promesses de gains sur des jeux de hasard, des paris sportifs ou de l’investissement ;
- arnaques au Compte Professionnel de Formation ;
Leur discours regorge des mêmes superlatifs : “Miraculeux, sans risque, plan en or, promotion incroyable, etc.”. Le script du placement de produit est parfaitement rodé pour pousser à l’action immédiate.
Problème : les influenceurs ciblent une population jeune et crédule, connectée aux réseaux sociaux et adepte des émissions de télé-réalité. Cette catégorie de la population représente environ deux tiers de leur audience : 39,9% ont entre 15 et 24 ans et 24,6% ont entre 25 et 34 ans. En 2021, plus de 60 % des internautes reconnaissent d’ailleurs être influencés dans leurs décisions d’achats par les publications qu’ils voient sur les réseaux sociaux.
Au-delà des défaillances, une large communauté d’influenceurs de qualité
Il convient toutefois d’éviter les amalgames entre toutes les personnalités s’adressant à une large audience sur internet. L’étiquette ”influenceur”, connotée assez péjorativement tout au long du reportage, ne concerne qu’une partie d’entre eux. Du divertissement à la vulgarisation scientifique, une grande partie des créateurs de contenus et autres stars du web utilise leur influence à bon escient, tout en adressant des messages à impact positif.
Une partie de la révolte qui s’est levée à l’encontre des pratiques trompeuses et autres escroqueries des stars du web sans scrupule émane justement…de la communauté des influenceurs. Soucieux de prendre un maximum de distance avec celles et ceux dont les agissements tendent à jeter l’opprobre sur le monde de l’influence en ligne, la communauté s’organise pour assainir ses pratiques et acquérir ses lettres de noblesse, afin de retrouver ou de protéger la relation de confiance qui les unit à leurs abonnés.
Comités et chartes d’éthique fleurissent ainsi avec pour objectif d’asseoir de nouveaux standards appelés à réguler les campagnes d’influence en ligne, suivant une déontologie misant sur la transparence. L’agence Woo, par exemple, rédigeait dès 2021 une “charte éthique du marketing d’influence”, visant à promouvoir une influence plus responsable, invitant marques, agences et influenceurs à s’engager en ce sens. À la clé pour les signataires : un label appelé à attester de leur implication dans le mouvement. En parallèle, les collectifs Paye ton influence et À quand demain ont récemment créé leur propre “charte éthique de l’influence responsable”, s’adressant cette fois spécifiquement aux influenceurs, et intégrant une dimension plus militante liée aux enjeux de transition écologique.
Un sujet sur lequel l’ARPP, l’autorité de régulation de la publicité en France, entend aussi s’engager de manière croissante. Un certificat de l’influence éthique, délivré sous forme de diplôme, est désormais proposé à tous les créateurs de contenu appelés à collaborer avec des marques. Un module a d’ailleurs été ajouté cette année, consacré au rôle que peuvent jouer les influenceurs face à la crise climatique. En un an, plus de 150 influenceurs ont obtenu le certificat, signe de la sensibilité de la communauté à ces problématiques éthiques, et de leur volonté de s’engager personnellement pour lutter contre les dérives qui grèvent le monde de l’influence.
Les jeunes abonnés : nouvelle cible des influenceurs adeptes du dropshipping ?
Leur audience est jeune, fan d’eux pour leur chaîne YouTube ou leurs aventures en téléréalité. Alors ces influenceurs se sont mis à faire la promotion de peluches, de bonbons… Décryptage d’un phénomène et conseils pour éviter ces pièges.
Pile : elle affiche un grand sourire. Face : sa mine est boudeuse. Vous l’avez sûrement croisé sur votre fil Instagram, ou dans les stories d’influenceurs, qui ont fait, en nombre et en boucle, la promotion de cette peluche poulpe réversible.
Il suffit de « swiper » leur story, c’est-à-dire, de glisser l’index de bas en haut sur son écran, pour atterrir sur un site qui vend le jouet à la mode. L’e-commerce est attrayant : coloré, bien construit, facile d’utilisation. L’animal aux deux humeurs y est vendu presque 15 euros.
Le droshipping : savoir de quoi il s’agit
J’ouvre mon application Instagram : je vois cette peluche. Je garde ma petite cousine de 11 ans : je vois cette même peluche dans le décor de sa chambre de pré-adolescente. Et quand je flâne sur AliExpress : je vois encore cette peluche. Sauf que, sur le site chinois, l’article, identique à celui présenté par les influenceurs d’Instagram ou de Snapchat, coûte entre 0,32 et 2,53 euros, selon les vendeurs et la taille choisie de la peluche.
C’est ce que l’on nomme le dropshipping : un business model qui consiste à vendre un produit que l’on ne possède pas en stock. L’article est acheté par le « dropshipper » sur des plateformes de vente au rabais, à l’instar d’AliExpress, d’Alibaba ou de Wish, sur lesquels il entre directement l’adresse du client quand celui-ci lui passe commande. Il ne se charge même pas lui-même de l’étape « livraison ». Le prix affiché sur la boutique en ligne bien léchée du dropshipper est donc gonflé artificiellement. Marge considérable assurée pour ce dernier.
Les influenceurs, complices de cette pratique douteuse
L’internaute est entrainé sur son site-vitrine via une publicité ciblée sur les réseaux sociaux et/ou un placement de produit sur le compte Instagram ou Snapchat d’un influenceur aux centaines de milliers voire aux millions d’abonnés.
Qui est alors dupée par cette stratégie de vente ? Ma cousine âgée 11 ans, qui n’a pas la vigilance ou la compétence d’identifier ces pratiques douteuses. Elle a simplement fait confiance à son influenceuse préférée qui lui a expliqué en trois stories trouver ce nouvel article « génial », « extraordinaire », ou « unique », et lui a raconté avoir dégotté un code promo rien que pour ses fans adorés, comme elle. Un abus de confiance - voire de crédulité - alarmant de ceux qui ont la responsabilité d’« influencer ».
Des placements de produits de gadgets d’ados, de jouets et de bonbons
Selon le profil des membres de leurs communautés, les influenceurs font la promotion de montres ou de bracelets « de luxe », ou encore, d’appareils pour se boucler les cheveux ou perdre du poids. Ils semblent alors viser un public de jeunes adultes.
Mais, entre deux stories dans lesquelles ils testent ce genre d’articles, voilà qu’ils font désormais la promotion de produits qui ciblent les adolescents, et les plus jeunes encore. Avec ces fameuses peluches poulpes, par exemple. Mais aussi, parmi les plus promus : avec des figurines d’ours en roses artificielles, des peluches bébé Yoda, des projecteurs « ciel étoilé », des bracelets personnalisés pour « BBF », à s’offrir avec sa meilleure copine du collège, des palettes de maquillage très colorées, du rose au dorée, dont le design rappelle celui de certains jouets.
Certaines influenceuses, elles-mêmes dropshippeuses, sont allées jusqu’à créer leur marque de make-up. La stratégie ? Dropshiper ces palettes et cosmétiques, mais y apposer leur logo et les emballer dans un packaging aux couleurs de leur marque. Une étape supplémentaire pour un prix qui s’envole.
Le Youtubeur beauté Fabian CR, suivi par 394.000 abonnés, a comparé dans une vidéo plusieurs produits commandés sur Ali Express à ceux de la marque MLIPS*, fondée par l’influenceuse aux 2,6 millions de followers sur Instagram et candidate de téléréalité Maddy Burciaga. Le vidéaste a maquillé la moitié gauche de son visage avec les produits de la marque de l’influenceuse, l’autre moitié, avec ceux du site chinois. Crash-test filmé : le spectateur a l’impression que le visage a entièrement été maquillé avec la même palette. Fabian CR constate : « Aucune différence, que ce soit au niveau des packagings, de la pigmentation, de l’effet sur la peau. (…) On ne peut pas cacher que les produits sont extrêmes similaires, voire identiques. »
Parlant aux plus jeunes avec tous ces gadgets et peluches, les influenceurs réalisent même des placements de produits pour… des paquets de bonbons.
« Vous souvenez vous des bonbons Fini que tout Instagram présentait à n’en plus finir ? Bizarrement, plus de nouvelles ces derniers temps suite à une polémique sur le fait qu’ils coûtaient bien moins chers en supermarché. Et bien ils sont réapparus sous un autre nom, Dream Candy, de nouveau vanté par tous les candidats de téléréalité… », déplore sur Linkedin Sophie Lebel**, directrice communication chez Wizbii, société de services pour faciliter l’entrée dans la vie active des jeunes.
« En plus du tarif quelque peu élevé pour des bonbons, il semblerait que certains consommateurs ne reçoivent pas leurs commandes », s’indigne-t-elle encore, après avoir lu de nombreux commentaires d’acheteurs en colère sur la page Facebook de la marque.
Un système de ventes qui flirte avec l’illégalité
Commandes jamais livrées, mais aussi service après-vente (SAV) inexistant, publicité mensongère quant à la qualité du produit… Ces déceptions surviennent souvent après une commande d’un article dropshippé.
Et si le dropshipping demeure légal (tant que l’activité en ligne est déclarée), il est souvent accompagné de ces pratiques commerciales déloyales, qui sont, elles, répréhensibles par le droit du commerce.
Quelques conseils pour éviter ces pièges
Pour que les jeunes (et moins jeunes) internautes détectent ces arnaques, il leur faut effectuer un court et simple travail d’enquête avant de valider leur panier.
D’abord, vérifier le site web : la plupart des adeptes du dropshipping utilisent la plateforme de commerce électronique shopify pour construire leur e-shop.
Autre indice : si la boutique en ligne affiche des soldes considérables sur la totalité de ses produits. Pour exemple, la peluche poulpe est prétendument soldée à 13,90 euros. Son prix « initial » barré ? 24,90 euros. Sur un autre site, l’ours en roses artificielles est vendu au prix de 54,90 euros HT. Et nous sommes chanceux, tente de nous faire croire le dropshipper, en affichant juste à côté un autre prix qui a été rayé : 110 euros HT.
Parfois, les dropshippers et les influenceurs qui acceptent cette stratégie de communication créent un marketing de la rareté autour du produit proposé, en prétextant qu’il s’agit d’une série limitée - alors qu’ils n’ont pas de stock. D’autres fois, ils affichent de manière très visible, sur toutes les pages du site, un badeau qui nous informe qu’il s’agit d’une promotion flash, accompagné même d’un minuteur, dont le décompte créé un sentiment d’urgence, pour que l’on s’empresse de dépenser avant de passer à côté de l’affaire du siècle.
Une fois ces indices collectés, l’ultime vérification sur le site se fait du côté des avis. Si ceux-là sont unanimement dithyrambiques ou que la pire note est 4 étoiles sur 5 : méfiance.
Enfin, si les dropshippers ont pensé à naviguer sur les sites chinois, pensez-y vous aussi. En quelques recherches sur ces plateformes, vous aurez le cœur net sur la valeur du produit et, au passage, sur la sincérité de l’influenceur que vous suivez fidèlement.
Si aucun résultat ne s’affiche lorsque vous taper le titre du produit ou sa description dans la barre de recherche : utilisez Google Images. L’option « Image inversée » (l’icône appareil photo à droite de la barre de recherche) sera votre ultime outil d’apprenti enquêteur, conseillé sur le blog de l’entreprise française de télécommunication NordNet***. Enregistrez l’image de l’article du site marchand sur votre ordinateur, puis importez-la dans Google Images (« choisir un fichier »). Le moteur affiche alors toutes les pages qui utilisent cette même image… dont celles des sites chinois.
- « ALIEXPRESS VS MLIPS (Maddy) », sur la chaîne YouTube de Fabian CR
** « Top 8 des plus grosses arnaques des « influenceurs » », par Sophie Lebel, sur LinkedIn
*** « Ne vous faites plus avoir par le dropshipping, ces faux bons-plans », par « Mélanie De NordNet », sur blog.nordnet.com.
Publicité ciblée : l’économie de l'attention
Notre attention est une denrée fragile et pourtant nous voyons se construire autour de nous une « économie de l’attention ». Médias, services internet, téléphones mobiles nous rappellent en permanence leur existence pour nous attirer dans leurs rets.
Dans une course frénétique pour capter notre attention, chaque service veut la plus grosse part pour la monétiser auprès de tiers qui assurent le financement. Ce fonctionnement a été repéré très tôt, à la fin du XIXe siècle : avec l’industrialisation, il ne suffisait plus de produire, mais surtout de vendre. Depuis, psychologues, marketeurs, publicitaires, spécialistes des relations publiques s’efforcent d’éveiller notre intérêt pour le diriger vers les produits ou les services qu’ils souhaitent mettre en avant et nous inciter à consommer ; ou encore vers les idéologies qu’ils aimeraient nous voir suivre, la propagande étant un des moteurs de cette quête de notre « temps de cerveau disponible ».
Capter notre attention
Les médias, de diffusion ou sur internet, sont devenus les principaux vecteurs de cette captation. L’accès étant en général gratuit (radio, télévision et maintenant services internet) ou payé très en dessous des coûts de revient, les médias doivent se tourner vers un tiers-acteur chargé d’assurer leur financement. En fait, celui-ci va constituer le véritable « client » des médias, celui qui paye… et donc celui que les médias doivent satisfaire en lui offrant non seulement de l’attention générale, mais aussi et de plus en plus de l’attention ciblée. Les contenus et le style de chaque média va s’en trouver impacté.
Notre attention est multiforme. Nous sommes sans cesse sollicités, tandis que la manière dont nous allons recevoir un message dépend d’une multitude de facteurs. Nous ne consacrons pas la même attention à la lecture d’un livre ou au visionnage du sport à la télévision. Les publicitaires ont depuis toujours essayé de placer leurs messages au sein d’un contexte susceptible d’en favoriser la perception. Le simple fait qu’il soit visible n’est plus suffisant, il faut que l’information transmise puisse s’inscrire en nous. Placement cohérent avec le message et contenu clair et attractif sont les deux ressorts des métiers de la publicité.
Avec internet, ces métiers ont largement évolué. On parle dorénavant de publicité ciblée : quelles sont les chances qu’un message nous atteigne et s’imprime en nous ? Comment calculer son efficacité, qui n’est pas toujours directe, mais se traduit par la notoriété de la marque ? Pour mieux nous transformer en « cibles », les annonceurs ont besoin de nous connaître, d’identifier ce qui nous plaît, quels sont nos revenus, nos habitudes, notre géolocalisation. Mais également de savoir qui sont et que font nos amis, nos familles, nos connaissances de travail…notre réseau social. En effet, on peut alors en déduire des comportements semblables pour nous-même , et faire jouer un travail de « recommandation ». Si vous avez aimé ceci, alors, comme les autres, vous aimerez certainement cela. Si vos amis achètent ou utilisent ceci, il y a de fortes chances que vous soyez intéressés aussi.
Cibler les messages
L’or gris qui permet ces modèles de recommandation et de placement est constitué par nos « données personnelles », ou plus concrètement par nos profils numériques. Chaque information personnelle reste ténue. Toutefois, leur agrégation dans un profil, constitué patiemment par les entreprises spécialisées, crée une immense richesse : on peut définir ce qui va spécifiquement nous atteindre… et donc placer beaucoup plus cher une annonce publicitaire sur les médias que nous fréquentons.
Cette industrie de l’influence va chercher à nous suivre « à la trace », ces traces que nous laissons, tantôt sur un site de presse (que lisons-nous ?), tantôt sur un site de commerce (qu’achetons-nous ?), tantôt dans nos confidences, publiques sur les médias sociaux ou privées dans nos mails.
Les évolutions de l’intelligence artificielle, ce que l’on appelle l’apprentissage profond, permettent de repérer des termes clés pour alimenter ces profils à partir de textes bruts, et maintenant à partir même de la captation de notre voix. Si bien que la traque de nos données peut utiliser des chemins de plus en plus détournés. On le voit notamment avec le développement des « objets connectés ». Notre téléphone indique en permanence où nous sommes ; notre compteur électrique sait quand nous sommes à la maison et peut déduire de nos pics de consommation ce que nous y faisons ; le téléviseur connecté qui obéit à notre voix doit pour cela capter en permanence ce que nous disons, et le transmettre au fournisseur pour cette analyse en flux. On a même découvert que des jouets pour enfants (ou pour adultes avec les sextoys connectés) transmettaient des informations pourtant très privées voire intimes !
C’est ainsi toute une économie qui se met en place pour attirer et monétiser notre attention. Notifications, rappels, messages de nos amis…il s’agit de produire des « programmes » susceptibles de nous faire revenir en permanence vers tel ou tel média social, et qui nous placent dans le bon état d’esprit pour assimiler le message. Vous avez sans doute déjà observé que les publicités diffusées pendant les matchs de foot sont très différentes de celles apparaissant à la coupure d’un film sentimental. C’est encore plus vrai pour les médias sociaux : l’algorithme va nous présenter en premier ce qui a le plus de chance d’attirer notre attention. Sur les milliers de réponses possibles à notre question, Google va choisir et organiser celles qui correspondent à notre profil, tel qu’il figure dans ses gigantesques bases de données. Parmi tous les messages produits par nos contacts sur Facebook, l’algorithme du réseau social va choisir de nous montrer ceux qui ont le plus de chance de provoquer nos réactions, de nous inciter à émettre des « Likes » ou à regarder des vidéos virales. Nous risquons alors d’être progressivement enfermés dans une « bulle de filtre», et de ne plus recevoir du monde que les informations similaires à celles que nous avons déjà reçues, à celles que nos amis ont reçues, à celles qui confortent nos sentiments ou nos opinions.
Cette économie de l’attention s’appuie sur la tendance humaine à préférer ce qui actionne nos centres de gratification tout en diminuant notre charge cognitive. Les messages publicitaires doivent nous plaire, nous faire rêver, nous placer dans une situation que nous envions ; et les marques servent de repères pour nous éviter de réfléchir à chaque acte d’achat. Il en va de même de notre sociabilité : nous aimons retrouver des ambiances simples et chaleureuses, qui nous demandent le moins d’efforts. C’est ce qui nous pousse à aimer le plus petit dénominateur commun : les vidéos d’humour courtes et les débats de connivence. Par conséquent, nous finissons par considérer comme normale la distorsion du réel provoquée par les choix des algorithmes, qui ne privilégient que ce qui nous est déjà connu ou apprécié. Au point que nous ne percevons pas la plupart des techniques utilisées par l’industrie de l’influence, mis à part les plus grossières. C’est ainsi qu’au lendemain des élections aux États-Unis, un internaute déçu pouvait constater que malgré l’existence de millions d’électeurs de Donald Trump…il n’en connaissait aucun.
Vers une écologie de l’attention
Plus subtil encore que ce ciblage et cet enfermement dans des bulles de filtre, l’économie de l’attention est en train de nous retirer notre « droit à l’ennui ». Plus question de ces moments de vide, d’inaction, qui sont pourtant la source de toute création, de la liberté laissée à notre esprit de divaguer, de rêver éveillé. Il y a toujours une notification, un message, un post pour nous occuper à plein temps. On ne peut pourtant pas construire un monde global démocratique et responsable envers les générations futures sur nos faiblesses, sur notre tendance à nous laisser porter et enfermer dans des rôles ou des idées. Il faut aussi penser à sortir de sa bulle de filtre et regarder l’avenir en face, ce qui ne nous empêche pas de revenir parfois au plus chaleureux, de nous laisser bercer par les programmes ou les échanges des médias sociaux, mais en pleine conscience.
Face à l’économie de l’attention, il est temps de développer une « écologie de l’attention ». Comme toute écologie, celle-ci devra combiner des choix individuels, des pratiques de retrait, de compréhension de la pollution attentionnelle. Et des décisions collectives pour limiter l’emprise que l’appétit de quelques géants va avoir sur nos vies, nos espoirs, nos relations et nos capacités de conduire le monde vers un avenir plus serein.
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