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Comment lutter contre les fake news et adopter de bonnes pratiques ?

60min
11.10.2020

Notions abordées

  • Comprendre les origines de la désinformation sur internet
  • Cas pratique : explorer la controverse anti-vaccins
  • Adopter les bonnes pratiques pour s’informer en ligne

Pré-requis

Niveau d’étude : à partir du collège

Matériel : Accès à un ordinateur (PC ou Mac), une bonne connexion internet (ADSL). Un casque de Réalité Virtuelle est nécessaire pour certaines expériences.

Introduction

Dans une société où internet a multiplié les moyens de communication et d’information, chaque citoyen doit être en mesure de se forger une opinion éclairée. La maîtrise d’une culture hybride, mêlant le fonctionnement de la presse à celui du numérique, est alors essentielle. Avec à la clé, la capacité à se protéger contre les infox, ces fausses nouvelles qui prospèrent sur internet, et aboutissent à créer une véritable fracture de l’information parmi la population.

Etape 1 : s’informer sur… les origines de la désinformation sur internet

Ah, les “fake news” (fausses informations) ou “infox” ! Vous avez sûrement l’impression d’en avoir largement entendu parler. Avant de rentrer dans le vif du sujet, il convient de prendre un peu de recul et de faire l’état des lieux des pratiques des Français en matière d’information… Nous vous proposons ici de partir en quête des origines de la désinformation qui semble toucher, via le web et les réseaux sociaux, un nombre conséquent de personnes !

Etat des lieux : comment les Français s’informent-ils à l’ère numérique ?

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Trois causes principales de la propagation des fake-news

a. La rupture de confiance avec les médias traditionnels

La presse est parfois montrée du doigt pour son incapacité à faire barrage aux fake news. L’un des reproches principaux qu’on lui fait est de privilégier le spectacle, la rumeur à une information factuelle de qualité ou encore de ne pas représenter le contre-pouvoir attendu et d’être compromise et partisane du monde politique et économique.

Les critères principaux attendus pour juger de la fiabilité d’un média sont :

  • la qualité des sources
  • l’indépendance financière
  • la neutralité du traitement

(selon les répondants de l’étude)

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b. Un déficit de culture des médias et du numérique

“Internet a contribué à l’avènement d’une démocratie de crédules” Gérald Bronner, sociologue.

S’informer nécessite de la rigueur et de l’esprit critique. Il faut remettre en question ce que l’on lit, voit, entend, ce que l’on connaît ou que l’on croit connaître, et ce dans un écosystème numérique saturé d’informations.

Les spécialistes considèrent qu’Internet a offert aux fausses croyances un environnement favorable à leur circulation. Les flux d’information incessants, l’hyperconnexion et autre infobésité contribuent à ce qu’on appelle l’économie de l’attention : retenir à tout prix l’attention des internautes via des procédés diverses : sensationnalisme, vidéos très courtes, matraquage visuel, ciblage comportemental, design des applications …

“Plus j’accorde de l’attention aux réseaux, plus je leur donne d’outils pour capter mon attention” Bruno Patino, journaliste

S’il est difficile de rester attentif face au brouhaha informationnel et médiatique sur les réseaux sociaux, il est d’autant plus difficile de prendre le temps pour analyser l’information.

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c. Des pratiques à risque aggravées par internet

  • Le biais de confirmation : il n’est pas évident de soumettre son esprit à la critique, nous sommes ainsi plus enclin à privilégier les informations qui vont dans le sens de nos idées préconçues.

  • L’effet “gourou” : qui amène à adhérer spontanément à une information diffusée par “une personne en qui nous avons confiance.

  • La confiance du cercle restreint : nous sommes convaincu plus facilement par une information partagée par un proche qu’un inconnu.

  • “J’en ai entendu parler” : ce simple argument nous permet parfois d’adhérer à une rumeur infondée.

  • Un écrin de qualité : lorsqu’une information est accompagnée d’une photo ou d’une vidéo de bonne qualité ou mise en forme de manière professionnelle, nous sommes plus enclin à l’accepter et considérer sa source comme sûre.

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Synthèse des risques en vidéo :

Etape 2 : explorer…la controverse anti-vaccins

Les Américains ne sont jamais allés sur lune, les traînées blanches des avions répandent des produits chimiques sur la population, Lady Diana a été victime d’un assassinat maquillé en accident … les théories du complot, intox et fausses croyances ne sont pas nées avec internet, mais ont pris un nouvel essor avec les moyens de communication modernes. Prenons ici l’exemple d’une polémique particulièrement représentatives des nouveaux mécanismes de manipulation de l’opinion : la controverse anti-vaccins.

Le rapport des Français aux théories du complot : étude Fondation Jean Jaurès

Lire l’Enquête sur le complotisme - Ifop

Quand les antivax prennent l’assaut du web social

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Etape 3 : adopter de bonnes pratiques…pour bien s’informer en ligne

La lutte contre les fake news ne sera efficace que si elle est collective ! Pour bâtir un environnement propice à la circulation d’informations fiables, chacun a sa part de responsabilité : médias et journalistes, institutions et responsables politiques, et citoyens eux-mêmes. Mais en matière d’information comme dans d’autres domaines, l’adoption de bonnes pratiques suppose de s’appuyer sur une démarche individuelle volontaire et éclairée. Dans ce contexte, le rôle de l’école, mais aussi des parents, est crucial.

1. Vérifier l’information : s’appuyer sur les dispositifs déployés par les médias et acteurs numériques.

Vous savez que vous pouvez compter sur la presse et un véritable travail de journalisme pour vous aider dans votre quête d’une information fiable. Les journalistes sont considérés comme les premiers acteurs à devoir s’engager dans la lutte contre la propagation de fake news.

Le web, s’il est utilisé, peut constituer une arme redoutable contre les fake news.

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Des plateformes de fact-checking très réactives existent pour vous aider à vérifier la véracité d’un propos, si une information est vraie ou fausse :

2. L’éducation aux médias, clef de voûte d’une information éclairée

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Rose-Marie Farinella, professeur des écoles, nous présente son projet d’éducation qui vise à transmettre aux enfants une méthodologie pour mieux s’informer à l’heure du numérique :

Sur le sujet des fake news :

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« Hoaxbusters » : ces enfants qui traquent les « fake news »

L’Education nationale forme les élèves à identifier les fausses informations sur Internet. L’institutrice Rose-Marie Farinella propose une méthode dès l’école primaire.

Près de 4 millions d’élèves ont participé cette année à la semaine de la presse et des médias dans l’école. Lors de la trentième édition de cet événement annuel, le centre pour l’éducation aux médias et à l’information (CLEMI) a recensé 18 240 établissements scolaires en France et français à l’étranger participant, soit près de trois fois plus qu’en 1990.

Plus de 1 800 médias se sont également mobilisés en distribuant un million d’exemplaires de journaux, et en organisant des temps d’échanges entre les élèves et les journalistes, et des ateliers pratiques. Par exemple, en Guyane, des collégiens ont ainsi pu mener une investigation grandeur nature, intitulée Classe Investigation en référence au magazine d’enquête télévisé d’Elise Lucet. De même, dans l’Académie de Bordeaux, les lycéens de La Réole se sont interrogés sur la datavisualisation, et les enjeux que pose cette présentation simplifiée de quelques chiffres pour résumer un phénomène complexe.

Les élèves peuvent être exposés aux « fake news » avant l’entrée au collège

Mais face à l’essor des « fake news », la valeur de l’esprit critique n’attend pas le nombre des années : désormais, des élèves sont formés à vérifier les informations diffusées sur Internet dès le primaire

En effet, les réseaux sociaux et les blogs peuvent être de précieuses mines de connaissances autant que des relais de propagande et des vecteurs de radicalité. Or, selon une étude de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) publiée en avril 20191, les trois-quarts des adolescents de 14 ans utilisent régulièrement un ordinateur, tout comme la moitié des enfants de 8 à 10 ans.

Ainsi, avant d’entrer au collège, 83% des jeunes internautes d’une dizaine d’années se connectent pour regarder des vidéos, 59% pour faire des recherches sur Internet, 19% pour envoyer des messages et 11% pour échanger des courriels. Même s’ils sont rares dans cette classe d’âge (3 à 5%), quelques-uns ont également l’habitude de commenter des blogs, participer à des forums, ou publier des images en ligne.

La méthode Farinella est récompensée et plébiscitée

Pour la professeure des écoles Rose-Marie Farinella, « développer l’esprit critique avant l’adolescence est le bon moment, car les élèves manifestent de la fraîcheur et une grande ouverture d’esprit ».

Ancienne journaliste devenue institutrice en maternelle dans l’Académie de Grenoble, elle a eu l’idée de bâtir un programme de sensibilisation adapté aux élèves du primaire dès 2014, quand elle a constaté la recrudescence de fausses informations qu’elle recevait par mail ou sur les réseaux sociaux, et l’inquiétude des parents d’élèves désirant protéger leurs enfants de ces « hoax ». À cette époque, l’Education nationale ne proposait pas d’outils pour accompagner les plus jeunes dans la traque aux fausses nouvelles sur internet.

Depuis 2015, Rose-Marie Farinella déploie son programme d’initiation en classe de CM2, sur la base du volontariat. Sa méthode a été récompensée par trois prix nationaux et deux prix internationaux, dont le Prix mondial de l’éducation aux médias qui lui a été remis par l’Unesco en 20172, et elle a été nommée Chevalier de l’Ordre des Palmes académiques en août 2017.

Comprendre d’abord ce qu’est une information

Sa formation à l’esprit critique face à l’information en ligne se déroule en 16 séances de trois quarts d’heure, auxquelles se sont ajoutés au fil des années des débats sur la cybercitoyenneté, la liberté d’expression ou encore le racisme.

La première étape consiste à comprendre ce qu’est une information. Pour cela, les élèves concentrent d’abord leur attention sur la différence entre un slogan publicitaire relevant d’une vague promesse, et une information fiable vérifiable.

Ils consultent différents médias et interrogent des journalistes. Ils se familiarisent avec les 5 questions-clés qui permettent au journaliste de synthétiser les faits : « qui ? » « quoi ? », « où ? », « quand ? » et « pourquoi ? ».

Puis les élèves apprennent à croiser les informations en s’appuyant sur des médias fiables : ils s’entraînent à décortiquer l’information, en se renseignant sur l’auteur de l’article, sur la date de publication, sur la date à laquelle l’événement s’est déroulé, et sur le média qui publie l’article et ses règles déontologiques.

Pour prendre en main ces concepts parfois abstraits, ils s’exercent en pratique, grâce à des exercices d’improvisation. Rose-Marie Farinella leur propose ainsi de « couvrir » des faits divers, comme un accident de la route par exemple, ou des sujets clivants, tels qu’une manifestation contre la chasse : certains élèves jouent le rôle des chasseurs, d’autres celui des écologistes, et les apprentis journalistes tentent de rapporter leurs différents points de vue sans prendre parti.

Les élèves constatent alors que tous les témoignages ne se valent pas : certains évoquent des faits, tandis que d’autres relèvent d’une opinion. Ils découvrent également la difficulté de se montrer objectif quand on a soi-même des convictions. Certains scénarios abordent des sujets de société plus sensibles, liés aux questions de radicalité religieuse ou de racisme.

Apprendre à lire les images

L’initiation des jeunes « hoaxbusters »3 passe également par l’analyse critique d’images : « les élèves baignent dans un océan d’images, or les fake news passent beaucoup par l’image », souligne Rose-Marie Farinella. Elle les encourage donc à recontextualiser l’image et à se poser la question du cadrage en se demandant ce qui peut se trouver « hors champ ».

Les élèves sont ensuite envoyés en reportage photo dans les rues voisines de l’école, avec pour mission de montrer ce qui est le plus beau, ou bien le moins esthétique. Ils manipulent également le logiciel Photoshop, pour se rendre compte de la facilité avec laquelle on peut truquer une image. Puis vient le temps de la réflexion sur les intentions des personnes qui produisent de fausses informations : veulent-elles nous faire rire, générer des clics, nous convaincre, ou cherchent-elles à nuire ?

Dessine-moi une chasse aux hoax !

Les élèves participent avec enthousiasme : Rose-Marie Farinella se dit « bluffée par la pertinence de leurs remarques et leur dextérité à utiliser les moteurs de recherche ». Sur les sites web, ils explorent les onglets « à propos », « qui sommes-nous » et « Mentions légales », et sur les réseaux sociaux, ils repèrent les boutons « signaler » pour lutter contre les contenus indésirables.

Ils deviennent acteurs, portent des masques comme de véritables « détectives du web », et ils produisent à leur tour des contenus : leurs missions d’investigations sont en effet filmées et diffusées sur la chaîne Youtube « Hygiène mentale »4, animée par Christophe Michel de l’Observatoire zététique5.

Très content de transmettre ce qu’ils ont appris à leur famille, ils terminent le programme en réalisant un dessin libre, inspiré de ce qu’ils ont découvert pendant leur initiation. Leur investissement est gratifié d’un diplôme qu’ils reçoivent en prononçant solennellement le « serment de la souris » : « Je jure sur la souris de mon ordinateur qu’avant d’utiliser ou de retransmettre une information, toujours je la vérifierai ! ».


Continuez de réfléchir au sujet en participant à l’enquête lancée par la MAIF et VILLES INTERNET sur la désinformation. Pour prendre part à cette démarche originale, et pour auto-évaluer votre relation à l’information, c’est ici.


1 « Pratiques culturelles dématérialisées des 8-14 ans », Hadopi, Avril 2019 : Lien vers le pdf

2 Le troisième prix mondial d’éducation aux médias de l’Uneo a été remis le 20 octobre 2017 à Kingston, en Jamaïque.

3 Littéralement : « chasseurs de canulars » (en référence aux chasseurs de fantômes du film « Ghostbusters »)

4 Voir les épisodes « EMI » 1, 2, 3 et 4 sur la chaîne « Hygiène mentale » : https://www.youtube.com/channel/UCMFcMhePnH4onVHt2-ItPZw

5 L’Observatoire zététique est une association grenobloise qui a pour but la promotion et la diffusion des méthodes et techniques basé sur le scepticisme scientifique.

10.05.2019
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Fact-checking : qui doit vérifier l'information ?

Face à la recrudescence des fausses informations qui pullulent sur les réseaux sociaux, des journalistes spécialisés traquent ces fake news. Les chercheurs et les enseignants participent également à la lutte contre la désinformation.

Depuis dix ans, la chasse aux « infox »1 est devenue une mission à part entière pour les grands médias. Et pour cause : les fausses nouvelles virales pullulent sur les réseaux sociaux. Dans une étude publiée en février 2019, Alexandre Bovet, chercheur à l’Université catholique de Louvain, a ainsi démontré que, lors de la campagne présidentielle américaine de 2016, un quart des tweets contenant un lien vers un article en ligne dirigeait en fait vers des contenus de désinformation2.

Face à l’ampleur du phénomène, les grands médias créent des services internes dédiés à la réfutation d’infox, tels que « Les Décodeurs » du Monde, « CheckNews » de Libération, « Les Observateurs » de France 24, « AFP Factuel » de l’Agence France Presse et « Fake off » de 20 Minutes. D’autres journaux – papier et télévisés – ont intégré le « débunkage de fake news » à la palette des formats journalistiques dont ils disposent pour rendre compte de l’actualité et la mettre en perspective. Cette pratique fait désormais l’objet d’un enseignement dédié dans les écoles de journalisme, en formation initiale ou continue, et il est pratiqué dans les rédactions dans le respect de la Charte d’éthique professionnelle des journalistes 3.

Connu et respecté dans la profession, ce code d’honneur stipule notamment que le journaliste « défend la liberté d’expression et d’opinion », qu’il « n’use pas de la liberté de la presse dans une intention intéressée », qu’il « exerce la plus grande vigilance avant de diffuser des informations d’où qu’elles viennent », qu’il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour piliers de l’action journalistique », et enfin « qu’il tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles ».

Des méthodes de fact-checking fiables, transparentes et non partisanes sont également diffusées aux professionnels par l’IFCN Poynter4, qui recense également les bonnes pratiques à l’international.

Un travail pour des professionnels

Les professionnels de ces cellules d’investigation s’appliquent à répondre à toutes les questions des internautes, sans sélection éditoriale préalable par la rédaction (mais parfois après un vote des internautes) : tous types de sujets peuvent ainsi être décortiqués factuellement en synthétisant les événements, les données et les déclarations-clés, et ce avec la plus grande objectivité possible – c’est-à-dire sans commentaire d’opinion.

L’expertise de ces rédactions dédiées est mobilisée par les géants du numérique (tels que Google ou Facebook) qui sont régulièrement accusés de ne rien faire pour endiguer la propagation des infox en ligne. Dès 2017, Facebook a noué des partenariats pour l’aider à identifier les fausses nouvelles propagées sur le réseau social : en 2018 quelques 52 médias de fact-checking de 33 pays différents l’épaulaient dans ce projet.

Les journalistes scrutent les contenus signalés par les internautes et examinent la cause du signalement : une erreur factuelle, une photo d’illustration prêtant à confusion car prise lors d’un autre événement que celui mentionné dans l’article, un titre trop accrocheur qui ne reflète pas le contenu de l’article, voire des argumentaires délibérément manipulatoires et des pseudo-reportages vidéo fabriqués de toute pièce. Les auteurs des contenus fallacieux sont avertis du retrait de leur texte, et la visibilité des sites qui reçoivent de nombreuses missives de ce type est automatiquement réduite par l’algorithme de Facebook.

Les rédactions reçoivent une rémunération pour leur contribution : Checknews (Libération) a ainsi déclaré publiquement avoir perçu 100.000 euros en 2017 et 245.000 euros en 2018 pour son aide sur la plateforme, tandis que le PDG de l’AFP avait annoncé 1 million d’euros par an pour le périmètre originel du contrat – très étendu depuis.

Un business de profiteurs

Dans le climat actuel de méfiance – voire de défiance - envers les grands médias, ces liens pécuniers ont paru suspects à certains internautes, et les « trolls » cherchant à éroder la confiance des citoyens dans les médias de référence en ont profité pour démontrer un prétendu asservissement de ces rédactions aux géants américains du numérique.

La diffusion de fake news a une dimension stratégique pour les tentatives de déstabilisation politiques entre États, tout comme elle peut aussi s’avérer être une activité très lucrative pour tout individu équipé d’un simple ordinateur connecté : feu-l’auteur américain Paul Horner assurait ainsi en 2016 que l’engouement des internautes pour la lecture de ces fausses nouvelles diffusées sur Facebook lui rapportait « environ 10.000 dollars par mois en revenus publicitaires ». Selon BuzzFeed News, les quatre adolescents macédoniens qui avaient lancé la fausse rumeur sur de prétendus emails de Hillary Clinton, alors candidate à la présidentielle américaine de 2016, auraient gagné 5000 dollars par mois.

Face aux milliers de « trolls » motivés par l’appât d’un gain facile, les équipes de professionnels du fact-checking ne comptent que cinq à quinze journalistes. Certaines agences de fact-checking partenaires de Facebook ont déjà jeté l’éponge, débordées par l’ampleur de la tâche et par la virulence de ces prêcheurs de contre-vérités. Selon Whitney Phillips5, chercheure en ethnographie et folkloriste des médias numériques à l’Institut Data & Society, la réfutation des infox par les grands médias décuplerait l’exposition des contenus biaisés et des thèses complotistes sur les réseaux, et donc leur propagation dans la société. En outre, le fact-checking réduirait peu les croyances dans les fausses informations : selon des chercheurs de Yale, le message d’alerte « mis en question par des fact-checkers indépendants » sur un post Facebook ne diminue que de 3,7 points le crédit de confiance accordé à une infox6.

Une mission pour les professeurs des écoles et les chercheurs

L’émergence de nouvelles technologies, telle que l’intelligence artificielle, ouvre de nouvelles perspectives aux diffuseurs de propagande et d’infox grâce aux « deep fakes » qui permettent de créer une vidéo simulant le discours d’une personnalité grâce aux techniques d’animation de l’image. L’agence américaine de recherche pour la défense (DARPA) a fait appel à des chercheurs pour développer un moyen d’identifier les vrais et les faux visages de ces vidéos trompeuses. L’enjeu est de taille : l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire sur les manipulations de l’information estime que « les tentatives de manipulation de l’information peuvent jouer, de façon insidieuse, sur les divisions sociales et politiques que connaissent nos démocraties ».

Eviter un tel délitement de la société implique la participation active de tous les citoyens à la lutte contre les infox. Pour éviter de les partager, il faut d’abord apprendre à les reconnaître. Quels que soient les progrès technologiques à venir, l’esprit critique des internautes restera le meilleur rempart contre les tentatives de manipulation par la désinformation.

Pour armer les futurs citoyens aux nouvelles formes d’infox qui ne manqueront pas d’apparaître dans les prochaines années, les enseignants sont donc en première ligne. L’Education Nationale s’est déjà emparée de cette mission de sensibilisation, dès les bancs de l’école primaire et jusqu’au lycée, en s’appuyant sur les ressources du Ministère, les outils du Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (Clemi) ou encore sur la méthode de Rose-Marie Farinella. Pour sensibiliser l’ensemble de la population, il faudrait sans doute que les Universités du Temps Libre rejoignent cette lutte contre les infox : les seniors de plus de 65 ans sont en effet les principaux propagateurs de fake news sur les réseaux sociaux, où ils partageraient en moyenne 7 fois plus de contenus fallacieux que les jeunes de 18 à 29 ans7.


1 Traduction du terme « fake news » officialisée par la Commission d’enrichissement de la langue française (CELF), composée d’experts et membres de l’Académie française, en octobre 2018.

2 Parmi les 171 millions de tweets analysés durant les cinq derniers mois avant le jour de l’élection, 30 millions de tweets – envoyés par 2,2 millions d’internautes - contenaient un lien dirigeant vers un article en ligne. 7,5 millions de ces tweets (soit 25%) menaient vers un article factuellement biaisé.

3 Lire la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (rédigée en 1918 et modifiée en 1938 puis 2011) sur le site du Syndicat National des Journalistes : https://www.snj.fr/content/charte-d’éthique-professionnelle-des-journalistes.

4 International Fact-checking Network (IFCN Poynter) https://www.poynter.org/channels/fact-checking/

5 Phillips Whitney, The Oxygen of Amplification : Better Practices for Reporting on extremists, antagonists and manipulators, Data & Society, février 2018

6 Selon les chercheurs de Yale, 14,8% des 5000 Américains exposés à une publication sur Facebook affichant l’avertissement « mis en question par des fact-checkers indépendants » demeurent convaincus de sa véracité, alors que la même publication sans alerte était jugée crédible par 18,5% du panel.

7 Etude menée aux Etats-Unis en 2016 par des chercheurs des Universités de New York et de Princeton, publiée en janvier 2019.

19.07.2019