Étude - Infox : nouvelle épidémie du web ?
Les fake news sont sur toutes les lèvres : les parlementaires voudraient les limiter grâce à des lois, les enseignants rivalisent de créativité pour les combattre, les chercheurs travaillent à mieux comprendre leurs ressorts… Récapitulons.
Depuis plusieurs mois, les journalistes et experts partenaires de Mes Datas et Moi se sont penchés sur la question des fausses nouvelles. Nous avons interrogé le rapport à l’information des Français, et mis le projecteur sur de belles initiatives liées à l’éducation aux médias : nous avons donné la parole à des professeurs, des chercheurs, des professionnels…
Afin de clôturer cette séquence de travail autour des fakes news, nous publions une étude sur comment se prémunir contre les risques de manipulation de l’opinion ? Intitulée “Infox : la nouvelle épidémie du web ?”
L’étude :
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Infographie récapitulative de l’étude :
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L’émission basée sur les chiffres de l’étude
Sur les réseaux sociaux ou avec nos amis, nous n’avons jamais été confrontés à autant d’informations et de fausses informations. Comment s’y retrouver ? Quels sont les bons réflexes à avoir ? Décryptage dans une émission exclusive en partenariat avec BFM Business : “Infox, nouvelle épidémie du web ?”
Chapitre 1 : L’information par ceux qui la consomment
Afin de mieux comprendre le processus de propagation des fake news, il nous semblait essentiel de nous intéresser aux habitudes de consommation de l’information des Français.
Résultat ? Sur le podium des moyens de s’informer on retrouve la télévision et internet, et ce autant pour les publics juniors que seniors. La télévision et internet s’imposent donc comme des médias transgénérationnels, à l’inverse de la radio et les réseaux sociaux qui sont sources de divergences : seuls 6 % des publics seniors considèrent les médias en ligne et les réseaux sociaux comme pouvant constituer des sources fiables d’information.
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Illectronisme : une fracture sociale ineffaçable ?
Un Français sur cinq peine à utiliser les outils numériques. Le gouvernement entend déployer jusqu’à 100 millions d’euros pour les former et réduire la fracture numérique… tandis que de nouveaux usages continuent d’apparaître.
En 2018, l’illectronisme touche 13 millions de Français, soit près de 20% de la population. Ce chiffre établi par le Credoc en 2017 est trois fois supérieur au nombre de personnes en situation d’illettrisme, évalué à 7,1% de la population par l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme.
L’illectronisme concerne en premier lieu les personnes qui ne savent pas « cliquer » ou manipuler un écran tactile, ceux qui peinent à « naviguer » sur internet, mais aussi ceux qui ont peur d’utiliser un ordinateur, un smartphone ou une tablette numérique.
Selon un sondage mené en mars 2018 par le CSA Research pour le Syndicat de la presse sociale 1, les nouveaux outils numériques sont jugés difficiles à utiliser par 15% des Français, et par 39% des seniors de 70 ans et plus. Plus de 2 sondés sur 10 indiquent ne pas être à l’aise pour accéder à un site en ligne.
Un tiers d’entre eux avoue avoir renoncé au moins une fois au cours de l’année écoulée à faire quelque chose qui requérait d’utiliser Internet, soit parce qu’ils ne pouvaient pas, soit parce qu’ils ne le voulaient pas, dans le cadre d’une démarche administrative, pour des loisirs ou pour un achat.
Ces « abandonnistes », comme les ont nommés les sondeurs, ont interrompu leur démarche au moment de faire une recherche sur internet, d’utiliser un outil de traitement de texte, d’enregistrer un document sur leur ordinateur, d’envoyer un e-mail, de lancer une impression ou de scanner un document.
Ils présentent un profil très proche de celui de la population française, et les « digital natives » ne sont pas épargnés : 15% des « abandonnistes » ont de moins de 35 ans.
En revanche, ils sont souvent plus équipés que la moyenne, en outils numériques comme en accès à internet. Ils sont convaincus de la nécessité de maîtriser l’usage du numérique et désirent se perfectionner, en faisant appel à un membre de leur famille le plus souvent.
À ces 2,5 millions de personnes en grande difficulté face au numérique s’ajoutent ceux qui ne se connectent jamais (soit 12% de la population de plus de 12 ans) car ils le refusent ou n’en ont pas les moyens financiers, ainsi que 7 millions d’internautes « distants », faute d’aisance dans l’utilisation de ces outils, selon le Credoc qui étudie l’illectronisme depuis 2002.
La fracture numérique ne s’est pas réduite depuis 20 ans
Le phénomène n’est pas nouveau : s’appuyant sur les travaux de Richard Venezky, l’OCDE s’inquiétait dès 2000 de la « fracture numérique » et recommandait à ses membres de veiller à « l’égalité́ d’accès aux TIC et à l’alphabétisation technologique » de leurs concitoyens dès leur scolarité.
Les optimistes pensaient alors que cette fracture se réduirait avec le temps. Mais la transformation numérique de l’économie s’est accélérée et les usages numériques se sont diversifiés depuis vingt ans, renforçant encore l’écart entre ceux qui maîtrisent l’outil et ceux qui en sont exclus.
Le Credoc note en effet depuis 2016 un écart d’usages croissant entre mobinautes : une nouvelle frontière s’établit entre ceux qui utilisent des applications mobiles et des messageries instantanées (dont 60% sont âgés de moins de 40 ans) et ceux qui les ignorent.
Face à l’innovation galopante, six Français sur dix ont le sentiment de profiter peu des opportunités offertes par le numérique dans leur vie citoyenne, professionnelle et leurs loisirs.
Raccrocher les wagons du « TGV »
En juin dernier, le Secrétaire d’Etat Mounir Mahjoubi avait indiqué sur France Culture que l’illectronisme ne pouvait plus être ignoré : « Ces 20% de Français regardent passer le TGV de l’innovation numérique et constatent qu’ils ne sont pas dedans. Ils voient le bruit, la vitesse, mais eux se disent qu’ils ne peuvent pas en profiter. »
Pour effacer totalement la fracture numérique, l’État a annoncé en septembre un plan pluriannuel « pour un numérique inclusif », doté de 75 à 100 millions d’euros (dont 10 millions financés par l’Etat) afin de former 1,5 million de personnes par an.
Selon son profil, le bénéficiaire recevra un crédit de 10 à 20 heures de formation, d’une valeur de 50 à 100 euros, qui sera distribué par Pôle emploi, la Caisse d’allocations familiales (CAF), l’Assurance Maladie, les municipalités et les départements. Dans les deux prochaines années, 5 millions d’euros seront alloués pour créer des « hubs numériques » chargés de « recenser, conseiller et outiller les acteurs de terrain » pour mener des ateliers numériques.
Les agents des collectivités territoriales pourront se former aux enjeux et aux bonnes pratiques de la médiation numérique grâce à un MOOC (cours accessible en ligne) attendu pour la fin de l’année. Des volontaires en service civique pourront également en bénéficier.
Quant aux personnes qui aident un proche dérouté par le numérique, elles pourront réaliser ses démarches administratives en ligne via le site sécurisé FranceConnect Aidants, et s’appuyer sur les guides – en formats numérique et papier – du « kit inclusion numérique ».
Enfin, un forum national annuel nommé « Numérique en Commun(s) » permettra à chacun de s’exprimer pour faire évoluer l’offre d’outils pour lutter contre l’illectronisme. Le premier s’est tenu à Nantes en septembre dernier.
Des entreprises et des associations mobilisées
Des entreprises et des associations contribuent également à la lutte contre l’illectronisme. Depuis 2012, Google a ainsi formé 200 000 étudiants, demandeurs d’emplois et professionnels en France.
Les habitants de Montrouge peuvent suivre des ateliers d’informatique cofinancés notamment par la Fondation ST Microelectronics, Acadomia, Montrouge Habitat et le Secours Populaire. Le programme Emmaüs Connect, qui a bénéficié à 30 000 personnes en précarité sociale, leur permettant notamment d’acquérir leur premier ordinateur, est également déployé par la Banque Postale depuis 2017. BNP Paribas, Crédit Agricole, Veolia et Orange viennent à leur tour de s’engager à accompagner leurs clients sur le numérique, en signant avec l’État une Charte d’inclusion numérique.
Chapitre 2 : Les racines de la désinformation, d’où vient le mal ?
Dans ce deuxième chapitre de l’étude « Infox, la nouvelle épidémie du web ? », nous nous sommes penchés sur l’avènement des fake news : qu’est-ce qui permet la propagation de fausses nouvelles ?
Premièrement, un manque de culture numérique nuit à la lecture de certaines informations essentielles à l’identification des sources, et ce autant pour des publics jeunes que des publics adultes. En effet, 15 % des jeunes et 5 % des adultes déclarent ne pas savoir comment vérifier une information.
Deuxièmement, les critères utilisés pour identifier une source sont majoritairement subjectifs : photos de bonne qualité, partage par un proche, familiarité de l’information…
Cette méconnaissance est doublée d’une défiance grandissante envers la presse traditionnelle. Selon une étude Ipsos, plus d’un Français sur deux est convaincu qu’il y a beaucoup d’informations erronées dans les médias traditionnels.
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Numérique et démocratie : les liaisons dangereuses ?
Le numérique peut encourager les plus jeunes à voter et favoriser l’implication des citoyens dans les décisions politiques. Mais il est aussi un outil de prédilection pour les manipulateurs d’opinion.
A l’instar de Tinder, une application propose à chacun de trouver l’élu… parmi les candidats au Parlement européen.
Lors des dernières élections européennes1, l’association Vote&Vous a co-construit avec 15 partis européens un quiz interactif d’information sur leurs programmes abordant des sujets variés : le réchauffement climatique, l’immigration, le mariage homosexuel, le libéralisme économique, l’interdiction du glyphosate, programme Erasmus, taxation des GAFA, référendum européen, égalités salariales homme-femme ou encore le salaire minimum dans l’Union européenne.
Le citoyen connecté se prononçait en accord ou non avec les propositions présentées, puis hiérarchisait celles qu’il avait retenues, et l’application lui indiquait le candidat idéal. Dans le même but, les dix items du questionnaire à choix multiples WeEuropeans conçu par l’association Make.org proposaient aux internautes d’identifier le bulletin à glisser dans l’urne, et cela en moins de dix minutes.
D’autres plateformes numériques ont fleuri sur la Toile peu avant le scrutin pour en présenter les enjeux de façon ludique, telles que Citizen’s app - mise au point par le Parlement européen - ou encore PopEurope. Celle-ci a été imaginée par la Maison de l’Europe pour sensibiliser les primo-votants et les inciter à prendre part au débat démocratique.
En effet, les trois-quarts des citoyens de moins de 35 ans n’avaient pas exercé leur droit de vote lors des élections européennes de 2014.
De même, en 2017 en France, les jeunes de 18 à 29 ans - bien que très majoritairement inscrits sur les listes électorales (85%) - avaient boudé les urnes : selon l’Insee, seuls deux sur dix avaient participé à tous les tours de la présidentielle et des législatives, contre 35% de l’ensemble des électeurs. Or, en mai dernier, la participation record des jeunes a déjoué les prévisions des sondeurs : 40% des électeurs de moins de 35 ans ont voté (avec un taux de participation globale en hausse, à 51,5%) selon Ipsos.
Les applications, podcasts et autres outils numériques d’information sur le débat démocratique en Europe ont donc sans doute atteint leur objectif, même si cette participation record des jeunes – qui a profité en premier lieu à la liste Europe Ecologie Les Verts2 - s’inscrit dans une mobilisation plus large en faveur de la défense de l’environnement et du climat.
Au-delà des élections, des outils pour co-construire les règles de vie de la cité
Le numérique facilite en effet la constitution de groupes d’influence citoyens et l’organisation d’actions comme les rassemblements et les pétitions. Il offre également un espace d’échange et de proximité avec les élus, qui l’utilisent pour soutenir les actions citoyennes locales IRL3.
Ainsi, le Conseil régional Centre-Val-de-Loire a instauré le Printemps citoyen : réunis sur une plateforme numérique ouverte aux propositions des associations locales, cette initiative dédiée au débat démocratique sur des sujets de société a compté cette année 71 événements sur le territoire régional qui ont réuni 4 200 personnes.
Le numérique permet aussi d’impliquer les citoyens dans la création de nouveaux services publics : la Région Bretagne a ainsi initié en avril dernier un datathon ouvert à tous et un incubateur dédié à l’expérimentation de nouvelles propositions de services publics par des start-ups locales.
De même, au niveau national, le gouvernement a lancé plusieurs consultations depuis un an pour recueillir les propositions des citoyens : sur l’accompagnement des seniors au grand âge dans le cadre d’une réforme de la santé, ou encore sur la démocratie, le pouvoir d’achat et la transition écologique dans le cadre du Grand Débat.
Ces consultations ambitionnent de nourrir la décision politique grâce au principe d’intelligence collective : conçues par l’ensemble de la société, les mesures seraient plus représentatives des idées de tous, plus consensuelles, plus justes aux yeux de chacun, mieux adaptées à la réalité du quotidien, et donc plus efficientes.
L’espace démocratique en ligne n’échappe pas aux tentatives de manipulation
Depuis son origine, Internet poursuit l’ambition de permettre un espace ouvert à tous, inclusif, libre et partagé. Les réseaux sociaux se veulent des espaces de débat permanents et collectifs, capables de favoriser la construction démocratique. Mais cet idéal rencontre des obstacles dans les faits, à commencer par les difficultés d’accès à l’outil numérique.
En effet, selon le Credoc, l’illectronisme concernerait 13 millions de Français soit 20 % de la population4. Les espaces numériques dédiés au débat démocratique excluraient donc de fait un citoyen sur cinq.
Par ailleurs, les réseaux sociaux, envisagés d’abord comme des plateformes de construction d’idées et de propositions grâce au dialogue argumenté entre le plus grand nombre d’internautes, ont été envahis par le pugilat et la propagande.
Le système de recommandation de contenus en vigueur sur les réseaux sociaux, qui repose sur la suggestion par les algorithmes de contenus similaires à ceux déjà consultés, empêche l’internaute de découvrir et d’explorer des propositions différentes de ses opinions déjà formées, et l’enferme dans une vision étriquée qui tend alors à se radicaliser au fil du temps.
De plus, le pseudonymat en vigueur sur ces plateformes - qui est garant de la liberté d’expression des minorités – facilite la diffusion des idées militantes dans le but d’orienter les convictions des citoyens en période électorale.
Le chercheur indépendant Baptiste Robert, qui tweete sous le pseudonyme « Elliot Alderson », a ainsi montré dans une enquête publiée par Mediapart en avril dernier, que les partis politiques français ont eu recours aux faux comptes sur les réseaux sociaux pour populariser leurs programmes en amont des élections européennes.
Lors de l’élection présidentielle aux Etats-Unis en 2016, le scandale Cambridge Analytica a montré que les réseaux sociaux pouvaient même devenir l’instrument de diffusion de « fake news » au bénéfice d’un candidat.
Former les citoyens de demain grâce à l’éducation aux médias numériques
Si rien de tel n’a été observé en France jusqu’à présent, les récents progrès des technologies numériques décuplent les risques de manipulation : l’intelligence artificielle permet aujourd’hui de créer de toutes pièces un discours vidéo semblant authentique, tel que celui mettant en scène l’ancien président américain Barack Obama insultant son successeur Donald Trump5.
A court terme, les campagnes électorales risquent d’être parasitées par ces « deep fake ». Les citoyens qui y seront confrontés sont aujourd’hui sur les bancs des écoles (voire des collèges ?). L’Education nationale est en première ligne pour les former à développer leur esprit critique face aux contenus diffusés par les plateformes numériques, où les frontières du savoir et de l’imposture sont de plus en plus floues.
1 Du 23 au 26 mai 2019 en Europe (le 26 en France)
2 En France, la liste EELV est arrivée troisième. Elle ressort en tête chez les jeunes, réunissant 28% des suffrages exprimés chez les jeunes de 25 à 34 ans et 25% chez les jeunes de 18 à 24 ans selon Ipsos.
3 In real life (dans l’environnement physique, par opposition à la sphère numérique)
4 https://www.mesdatasetmoi-observatoire.fr/article/illectronisme-une-fracture-sociale-ineffacable
Tous diffuseurs de fake news malgré nous ?
Le fonctionnement des réseaux sociaux et le manque de connaissances contribuent à la propagation des infox.
Qui n’a jamais partagé une fausse nouvelle, par conviction ou en toute bonne foi ?
Les infox font désormais partie du quotidien des internautes, et leur production est devenue une industrie globalisée, aux répercussions massives tant dans la sphère politique qu’économique.
Ce sont des fake news qui ont permis d’influencer l’élection présidentielle aux Etats-Unis en 2016 (scandale Cambridge Analytica). En 2013, c’est une rumeur prétendant que Barack Obama – alors président des Etats-Unis - avait été blessé dans une explosion qui avait fait chuter les cours de bourse à Wall Street, entraînant une perte de valeur de 130 milliards de dollars en quelques minutes.
Au-delà des instigateurs d’infox, qui cherchent sciemment à opérer une manipulation de masse pour servir leurs intérêts parfois avec l’aide d’entreprises spécialisées dans l’influence en ligne, certains diffusent des fake news pour gagner leur vie. C’est le cas pour une cohorte de travailleurs du clic. Ils sont les rouages indispensables de la propagation d’infox, et sont rémunérés seulement quelques dollars – une fortune pour les résidents des pays émergents.
Selon le chercheur Antonio Casilli 1, des plateformes de création et de diffusion de contenus, telles que Fiverr, permettent ainsi de produire une campagne de désinformation à grande échelle à partir de 5 dollars. Selon lui, d’autres plateformes d’aide aux entreprises, comme Amazon Mechanical Turk créée en 2006, qui rémunèrent la participation des internautes entre 1 et 15 cents pour répondre à un sondage en ligne par exemple, contribuent également à la circulation des fake news.
La surreprésentation des fake news sur les réseaux sociaux est due aux partages humains
Les infox pullulent sur Internet, et notamment sur les réseaux sociaux. Dans une étude publiée en 2018, des chercheurs américains du Massachusetts Institute of Technology (MIT) 2 ont recensé 126 000 propagations de rumeurs et fausses informations 3 en langue anglaise sur Twitter entre 2006 et 2017, impliquant 3 millions de personnes et plus de 4,5 millions de partages.
Selon eux, les fausses nouvelles - à propos de la politique, de légendes urbaines ou de la science - sont plus virales et se répandent plus largement et plus vite que les informations authentiques : « Alors que la vérité est rarement diffusée à plus de 1 000 personnes, le 1 % des principales fake news est régulièrement diffusé auprès de 1 000 à 100 000 personnes. (…) La vérité met six fois plus de temps que la rumeur à atteindre 1 500 personnes. »
Des faux comptes sur les réseaux sociaux et des « bots » sont utilisés pour propager ces fakes news. Mais selon eux, les technologies d’automatisation du partage de contenus propagent autant de fake news que d’informations véridiques : ce sont donc les actions humaines qui accélèrent la diffusion des infox, et non les robots. Ainsi, du fait des posts des internautes de chair et d’os, une fake news a 70 % de chances de plus qu’une vérité d’être partagée en ligne.
Originalité et émotions : les ressorts de la viralité des infox
La viralité des infox tient d’abord à leur caractère original : la nouveauté attire l’attention humaine 4, comme l’ont montré les chercheurs en informatique de l’Université de Californie du Sud (USC) Laurent Itti et Pierre Baldi, car elle implique un changement de notre représentation du monde, et par conséquent elle est moteur d’action.
Elle nous apparaît comme utile et a donc intérêt à être partagée. Mais au-delà du caractère novateur – puisque créé de toutes pièces – de l’infox, la viralité des fake news s’explique également par les émotions qu’elles suscitent : le dégoût, la peur et la surprise 5.
La réaction émotionnelle est en effet inhérente au fonctionnement des réseaux sociaux : pour participer à la conversation globale, il faut répondre rapidement, c’est-à-dire « à chaud », sans recul. L’émotion prend alors le pas sur le raisonnement.
A l’heure de l’apologie de la réactivité et de la promptitude à commenter, on en arrive même à partager des contenus qu’on n’a pas lus : 59 % des liens partagés ne sont jamais cliqués, autrement dit les internautes qui les partagent n’ont consulté que le titre du contenu, selon une étude menée par l’INRIA et l’Université de Columbia 6.
La fiabilité perçue d’un contenu dépend de qui nous le recommande
Or, l’effet de recommandation est puissant : une étude aux Etats-Unis publiée en 2017 7 a montré qu’un contenu partagé sur les réseaux sociaux par un ami nous apparaît comme étant plus fiable que le même contenu partagé par une personne inconnue, mais également comme vecteur d’informations plus digne d’intérêt et de re-partage.
Ainsi, un même contenu diffusé sur Facebook – par exemple un article publié par l’agence de presse Associated Press – a été jugé fiable par 52 % des répondants à l’enquête lorsque le lien a été partagé par une personne de confiance, mais par 32 % seulement lorsque le lien a été partagé par une personne dont ils se méfient, alors que la source de l’information – identique dans les deux cas – était mentionnée.
L’éducation aux médias comme solution à la désinformation, à tout âge
Dès lors, la culture et les croyances de celui qui partage jouent un rôle important dans le type d’informations qui circulent sur les réseaux sociaux. Or, les fausses convictions sont fréquentes : un Français sur cinq adhère en effet à au moins cinq théories du complot, selon un sondage réalisé en décembre 2018 8.
Cette vulnérabilité face aux thèses complotistes décroît avec le niveau de diplôme, mais également avec l’âge : elle touche 28 % des jeunes, mais seulement 9 % des plus de 65 ans. Pour autant, les digital natives partagent moins d’infox que les « digital immigrants » : les internautes de plus de 65 ans partagent en moyenne 7 fois plus d’infox que les plus jeunes, selon une étude américaine sur la propagation de fake news sur Facebook en période électorale 9.
Une des hypothèses avancées pour expliquer ce constat est que les aînés ne connaissent pas toujours les codes des réseaux sociaux et peuvent ainsi considérer des parodies de façon littérale : en effet, les articles humoristiques diffusés par des sites dédiés à la dérision (Le Gorafi ou NordPresse par exemple) adoptent les mêmes chartes graphiques que les médias traditionnels. Or, les seniors sont de plus en plus nombreux à rejoindre les réseaux sociaux, et ils s’y montrent plus actifs que la moyenne.
L’essor des fake news pourrait ainsi perdurer. Pour endiguer la désinformation massive, l’éducation aux médias et aux réseaux sociaux apparaît donc comme une priorité, et ce à tout âge !
1 http://www.casilli.fr/tag/fake-news/
2 VOSOUGHI Soroush, ROY Deb, ARAL Sinan, The spread of true and false news online, Science n°359, mars 2018 : https://www.americanvoiceforfreedom.org/wp-content/uploads/2018/03/The-spread-of-true-and-false-news-online.pdf
3 L’identification comme infox a été réalisée par six plateformes de vérifications de faits : snopes.com, politifact.com, factcheck.org, truthor-fiction.com, hoax-slayer.com, and urbanlegends.about.com
4 ITTI Laurent, BALDI P, Bayesian surprise attracts human attention, Vision Res n°49, 2009.
5 VOSOUGHI Soroush, ROY Deb, ARAL Sinan, The spread of true and false news online, Science n°359, mars 2018.
6 GABIELKOV Maksym, RAMACHANDRAN Arthi, CHAINTREAU Augustin, LEGOUT Arnaud, « Social Clicks : what and who gets read on Twitter ? », INRIA, juillet 2016.
7 « Who shared it ? How Americans decide what news to trust on social media », menée par Media Insight Project à l’initiative de l’American Press Institute, mars 2017.
8 Enquête réalisée par l’Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès et Conspiracy Watch à propos de l’accident de Lady Diana, les vaccins, les Illuminatis, les « chem trails » ou encore la mission Apollo sur la Lune.
9 GUESS Andrew, NAGLER Jonathan, TUCKER Joshua, Less than you think : prevalence and predictors of fake news dissemination on Facebook, Science Advances vol. 5 n°1, janvier 2019.
Fake news et web chinois
Les internautes français affrontent quotidiennement des fake news et autre faits alternatifs… Mais quand est-il des autres pays ? Et notamment de la Chine où les réseaux sociaux ne sont pas ceux qu’on connaît ? Capitaine Data a mené l’enquête.
Les fake news ont envahi nos vies numériques. Face à ce phénomène, nos politiques, nos professeurs, nos experts s’affairent pour tenter d’endiguer le problème à grand renfort de tribunes, de législations et de programmes scolaires. En France, ce constat semble irréfutable. Mais est-ce également le cas en Chine - où Facebook, Twitter, YouTube sont censurés ? Les fausses informations ont-elles également investi les réseaux sociaux chinois : Wechat, Sina weibo, Tencent, Baidu… ?
C’est la question que nous avons posée à Siwei Liu. Experte des réseaux sociaux chinois, elle conseille des entreprises et des particuliers français sur la gestion de leur e-réputation sur les réseaux sociaux chinois.
On compte plus de 800 millions d’internautes chinois1, soit plus de 50 % de la population chinoise ! Cela va de pair avec la création d’une immense masse d’informations, et donc inévitablement de fausses nouvelles. Selon un rapport QuestMobile datant de 20182, un citoyen chinois passait en moyenne près de 5 heures par jour sur son téléphone (273,2 minutes). La Chine subit bien sûr, elle aussi, les conséquences de fausses nouvelles. Quelles sont les fake news les plus largement répandues sur le web chinois ?
Les fake news les plus connues qui circulent sur le web chinois concernent surtout la sécurité sanitaire. Par exemple, en 2008, des bruits affirmant que des asticots avaient été retrouvés dans des mandarines du Sichuan ont fait baisser les ventes de ces fruits dans tout le pays. En 2011, après la catastrophe nucléaire de Fukushima, des internautes ont affirmé que le sel protégeait des radiations, provoquant une pénurie de sel.
Ou encore en 2017, un faux ‘scandale’ a fait la une des réseaux sociaux, on aurait soi-disant retrouvé du plastique dans des algues alimentaires : les ventes d’algues ont chuté. C’est préoccupant, parce que souvent ces fausses informations ont de vrais impacts. Ce ne sont pas seulement des problèmes virtuels de réputation. Les consommateurs n’osent plus acheter les produits ciblés par les fake news, et cela fait chuter les ventes des entreprises.
Il y a un second type de fake news : comme les réseaux sociaux sont étroitement liés aux sites de e-commerce chinois, il est très lucratif d’être influenceurs sur ces réseaux. Chaque fois qu’un internaute clique vers un site marchand ou achète un produit depuis le profil d’un influenceur, l’influenceur est rémunéré.
Aussi de nombreux contenus faux sont créés quotidiennement par des internautes qui souhaitent devenir ‘influenceurs’. Pour cela ils publient des articles qui choquent ou interpellent les internautes, dans le but de faire augmenter le nombre de vues de profils pour gagner des abonnés. Cela pourrait s’approcher de la pratique des ‘clickbaits’3 en France, mais en Chine cette pratique va plus loin, les titres ne sont pas seulement un peu trompeurs ou accrocheurs, ils sont sciemment faux.
Selon la sociologue de Harvard Ya-Wen Lei, la confiance des chinois dans les médias s’est effondrée entre 2002 et 2008 ; elle serait désormais inférieure à 43 %4. Est-ce que cela s’accompagne d’une croissance de la confiance des internautes chinois dans les contenus partagés ou créés par leurs pairs sur les réseaux sociaux ?
La majorité des contenus qui sont commentés et partagés sur les réseaux sociaux chinois sont produits par des influenceurs internes aux réseaux. Plus récemment la confiance des utilisateurs et utilisatrices des réseaux sociaux chinois a chuté – 73,4 % en 2014 contre 67 % en 2016 – et l’objectivité des plates-formes a été jugée particulièrement faible (41%).
Mais cela concerne surtout les questions d’actualités politiques ou économiques. Car pour accéder aux recommandations, aux témoignages et aux conseils les plus récents, les utilisateurs mobiles se tournent quasi systématiquement vers des plateformes telles que WeChat et Weibo. En effet, avec plus de 1 milliard d’utilisateurs mensuels actifs, WeChat est sans aucun doute le Goliath des médias sociaux chinois. Développée par Tencent, cette application polyvalente propose à peu près tout : shopping en ligne, jeux, services financiers…
Quelles méthodes sont mises en place pour lutter contre les fake news ? A qui la responsabilité de la lutte contre les fausses nouvelles incombe ? Au gouvernement, aux entreprises, ou aux médias ?
Comme en France, le gouvernement chinois instaure régulièrement de nouvelles réglementations obligeant les acteurs du numérique à agir contre les fausses nouvelles. Techniquement, la législation chinoise exige une surveillance des contenus Internet par les médias eux-mêmes. Mais comme en France, les modalités concrètes de ces législations demeurent peu claires et sont souvent très compliquées à mettre en oeuvre.
Dans un récent rapport, Tencent affirme avoir pénalisé 40 000 comptes publics WeChat en deux mois pour avoir diffusé des contenus violents ou trompeurs5, et Sina Weibo a traité plus de 6 000 fausses informations et publié 159 messages de démenti au seul mois de septembre 20186.
Le directeur de Sina Weibo s’est également exprimé sur le sujet lors d’une interview à CNBC7 : « Au début, beaucoup de gens voulaient encourager des internautes à suivre leurs comptes. Dans ce but, ils avaient tendance à publier beaucoup de fausses informations ou à exagérer beaucoup de choses pour attirer l’attention et gagner en influence. »
Pour lutter contre cela Sina Weibo travaille maintenant avec des médias pour aider à vérifier si les messages sont exacts. Finalement c’est un peu comme lorsque Facebook affiche des informations sur la source d’un article relayé par un internaute.
Face au fléau des fakes news, certaines initiatives citoyennes émergent comme “简而言之” (en français “coquille de noix”). Ce compte - plus suivi que le profil de certaines stars de musique chinoises - regroupe des scientifiques qui publient quotidiennement des démentis sur les fausses informations les plus partagées du moment. Des sortes d’influenceurs du fact checking !
1 Louis Jean-Philippe, On compte désormais plus de 800 millions d’internautes chinois, Les Echos, le 25 août 2018, https://www.lesechos.fr/tech-medias/…
2 Zhihui Tian, How govt and internet giants fight fake news, China Daily, le 11 juin 2018, http://www.chinadaily.com.cn/a/201806/…
3 « Les clickbaits («pièges à clic») font miroiter un contenu «étonnant», «insolite», «incroyable» mais s’avèrent souvent décevants pour le lecteur » définition tirée d’un article de Lacroux Margaux, Facebook filtre les «pièges à clic», Libération, 5 août 2016, https://www.liberation.fr/futurs/…
4 Repnikova Maria, China’s Lessons for Fighting Fake News, Foreign Policy, le 6 septembre 2018, https://foreignpolicy.com/2018/09/06/…
5 En Chine, WeChat a fermé 40 000 comptes en deux mois, Courrier International, 28 février 2019, https://www.courrierinternational.com/article/…
6 Udemas Chris, Weibo processed 6229 fake posts in September, TechNode, le 11 octobre 2018, https://technode.com/2018/10/11/weibo-fake-posts/
7 Yoon Eunice, Chinese social media giant opens up on ‘fake news’ and charges of stifling dissent, CNBC, le 24 mars 2017, https://www.cnbc.com/2017/…
Chapitre 3 : Autopsie d’une fake news à succès
Afin de mieux comprendre les dynamiques à l’oeuvre dans la propagation d’une fausse nouvelle, nous nous sommes intéressés à la controverse anti-vaccins.
Selon une étude Ifop, 43 % des Français pensent que la nocivité des vaccins serait volontairement dissimulée par les pouvoirs publics à la solde de l’industrie pharmaceutique. Comment sommes-nous arrivés à un tel chiffre ?
Les anti-vaccins ont investi une myriade de blogs et sites d’information, à l’écart de la presse traditionnelle et des journalistes, mais aussi 3 plateformes particulièrement bien référencées (Agora Vox, Mediapart et Wikistrike) où sont publiés plus de 88 % de leurs contenus. La clé de voûte de leurs communications ? Les réseaux sociaux bien sûr !
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De l’aveu de beaucoup, le Web facilite la multiplication de théories fallacieuses. Endoctrinement, fake news, radicalisation… entre alunissage fictif et vrais reptiliens, qui tire les ficelles du complotisme sur la Toile ?
Sunkyspammy est conspirationniste. Et elle n’y croyait plus. Non pas au grand ordonnancement du monde, mais à l’amour.
D’abord, dans une ville comme New York, les relations se font et se défont comme un jouet dans un Happy Meal. Mais surtout, selon elle, beaucoup trop de monde n’est pas assez « éveillé ».
Alors quand elle a entendu parler d’Awake, l’application de rencontre qui permet « aux vrais gens de faire des vraies rencontres », elle s’est jetée dessus. Pensant enfin trouver une âme sœur réfléchie, vigilante et hyper attentive « à toutes ces choses qui affectent nos vies quotidiennes ».
You(en)Tube
Nous ignorons si Spunkyspammy a trouvé l’amour. Ce que l’on sait, c’est qu’à ce jour Awake existe encore et met toujours plus de personnes « éveillées » en relation.
Créé en 2016, le service ferait matcher des milliers de personnes qui échangent des théories abstraites sur la façon dont le « système » endort la population.
Certains se sont moqués en taxant l’idée brevetée par l’Australien Jarrod Fidden de « site de rencontres conspirationnistes ». D’autres, moins nombreux, se sont un peu plus inquiétés, soulignant que si une telle application pouvait prospérer, c’est que le conspirationniste avait définitivement infiltré la culture digitale.
Ce n’est sûrement pas Jonathan Albright qui dira le contraire. Ce directeur de recherche au Tow Center for Digital Journalism a disséqué l’algorithme de YouTube après la fusillade de Parkland, survenue aux États-Unis le 14 février 2018. En partant du mot-clé « crisis actor », le data journaliste a découvert un réseau de 8842 vidéos dont la majorité recèle une théorie conspirationniste. Au total, elles cumulent 4 milliards de vues.
Quelques jours avant la tuerie de Parkland, un ancien employé de YouTube décidait de révéler dans le Guardian comment l’algorithme de recommandation de l’entreprise avait joué un rôle déterminant dans la campagne présidentielle américaine de 2016.
Licencié par Google en 2013 (Google a racheté YouTube en 2006, ndlr), Guillaume Chaslot est un développeur en informatique français qui a désormais fondé son association baptisée AlgoTrasnparency.
À l’aide d’un robot, lui et son équipe ont montré que YouTube favorise certaines vidéos politiques, nettement clivantes voire conspirationnistes. Au Guardian, il explique que l’algorithme de recommandation du site n’a pas été créé pour offrir un contenu éclairé et objectif mais « pour faire rester les gens sur le site et accroître le temps de visionnage ».
Zeynep Tufekci, célèbre techno-sociologue critique, le pose autrement. « C’est comme si rien n’était trop hardcore pour YouTube, écrit-elle dans le New York Times. L’algorithme s’est rendu compte que si vous pouviez inciter les gens à penser que vous pouvez encore leur montrer quelque chose de plus hardcore, ils sont susceptibles de rester plus longtemps ».
Accusé de faire le jeu des conspirationnistes, Google n’a pas tardé à réagir. Premièrement, en démentant vaguement les arguments de Guillaume Chaslot. Deuxièmement, en essayant de faire bonne figure.
En début d’année, YouTube s’engage dans un communiqué à « commencer à réduire le nombre de recommandations de contenus susceptibles de désinformer les usagers de façon néfaste » en prenant l’exemple de vidéos faisant la promotion d’un remède miracle à une maladie grave, d’autres assurant que la Terre est plate ou affirmant des éléments faux sur le 11 septembre.
Entre-temps, l’ensemble des géants du Net a lancé une offensive contre les conspirationnistes et notamment l’un de leurs plus célèbres représentants, Alex Jones. L’été dernier, cet ancien animateur de radio qui rassemblait des millions de personnes sur sa chaîne YouTube s’était vu privé d’accès à Facebook, YouTube, Apple et Spotify.
Anti conspi
Pour les lanceurs d’alerte comme Guillaume Chaslot, l’initiative des GAFA ne tombe pas du ciel. D’abord, elle répond à un souci d’influence et de responsabilité. On compte 1,5 milliards d’utilisateurs de YouTube dans le monde, c’est plus que le nombre de foyers possèdant une télévision. Ensuite, la pénétration du conspirationnisme sur Internet télescope celle des infox, ou fake news, face à auxquelles les États commencent à légiférer.
En France, le président de la République promulguait le 22 décembre dernier une loi organique contre la manipulation de l’information. Elle fait suite à la vigilance croissante des pouvoirs publics vis-à-vis de la prévention du complotisme, perçu également comme facteur de radicalisation, de racisme et d’antisémitisme.
Pour Rudy Reichstadt, fondateur de l’Observatoire du conspirationnisme et des théories du complot (Conspiracy Watch), la recrudescence des théories fallacieuses s’est accélérée dans l’Hexagone à partir des attentats de 2015.
À l’époque, la ministre de l’Éducation nationale soulignait qu’un jeune sur cinq y adhérait. Et c’est évidemment sur la Toile que ces derniers leur donnent du sens.
« Aujourd’hui, explique-t-il dans un entretien au Magazine Littéraire, avec une simple connexion internet, nous sommes tous, en puissance, des producteurs de contenus. Pour le meilleur, nous pouvons témoigner de ce que nous voyons en direct sur les réseaux sociaux. Pour le pire, nous pouvons aussi lancer et surtout relayer une rumeur en quelques secondes. »
Certaines d’entre elles jouissent parfois d’une longue durée de vie. Parmi les grandes théories du complot qui semblent en circulation depuis toujours, on trouve l’existence de sociétés secrètes, les « chemtrails » chimiques (traînées blanches créées par le passage des avions en vol, ndlr), l’assassinat de JFK commandité par la CIA ou l’alunissage qui n’a jamais eu lieu.
Autant de présomptions compilées dans une enquête menée par Conspiracy Watch en partenariat avec la Fondation Jean Jaurès. Parue en janvier 2019, elle rappelle que le conspirationnisme concerne, « dans sa forme la plus intense », pas moins d’un Français sur quatre.
Suffisant pour alerter le gouvernement et les organisations de la société civile impliquées dans le besoin de sensibiliser le public au phénomène.
Après tout, un million de mensonges auraient été visionnés chaque jour sur les réseaux sociaux pendant la campagne présidentielle. Et une étude publiée le 21 mai dernier par l’Université d’Oxford vient de montrer que les fake news sur l’Europe se répandent sur Facebook.jusqu’à 4 fois plus que les vraies infos.
Alors, que faire ? D’abord, établir un diagnostic : l’accélération des flux d’informations sur un mode intuitif et émotionnel, l’industrialisation des fausses nouvelles (à une époque où l’on peut acheter des milliers de retweets pour 3 euros) et la crise de confiance envers les sources traditionnelles d’information favorise l’accumulation de complots.
Ensuite, proposer des moyens d’action. Le gouvernement s’engage depuis 2016 à déconstruire le conspirationnisme via des dispositifs comme ontemanipule.fr auquel s’est joint le comédien et humoriste Kevin Razy.
De son côté, le réseau Canopée, opérateur public, propose une série d’outils aux professeurs pour les aider à préparer leurs classes à faire face aux fausses informations. Certains d’entre eux comme Sophie Mazet, autrice d’un Manuel d’autodéfense intellectuelle, organisent même des formations à l’esprit critique à destination de leurs élèves.
Au-delà de la sphère publique, ils sont de plus en nombreux à combattre les complotistes sur YouTube. Ils s’appellent les « anticonspi » et cumulent désormais des millions de vues en utilisant les mêmes codes que leurs adversaires.
De la vigilance donc, et beaucoup d’éducation face à des théories farfelues qui, d’après les spécialistes, sont somme toute faciles à démonter. Cela étant dit, il sera sans doute beaucoup plus compliqué de lutter contre les éveillés d’Awake. Car que peut-on contre l’amour ?
Chapitre 4 : Mécanismes de défense, comment se protéger ?
La bonne nouvelle ? Une large majorité d’adultes affirme être investie dans l’éducation des jeunes générations aux médias et à l’information en ligne, qu’elle considère comme “un sujet primordial”. Loin d’être réfractaires aux mutations des médias, les seniors ont bien saisi le rôle des médias et plateformes de fact-checking dans l’accès à une information fiable. Ils pourraient donc être de parfaits référents dans l’éducation aux médias.
Cette médiation est essentielle ! Environ un tiers des jeunes déclarent avoir appris seul ou avec des amis à vérifier l’information en ligne. Cette situation est à interroger car elle peut déboucher sur de mauvaises habitudes d’analyse et de classification des informations diffusées sur le web et les réseaux sociaux, et par conséquent, à une plus grande porosité aux fausses nouvelles et aux croyances largement partagées en ligne.
L’éducation n’a pourtant plus besoin de faire la preuve de son utilité. Selon une étude du ministère de la Culture communiquée en juillet 2018, l’éducation aux médias et à l’information (EMI) produirait des effets bénéfiques et pérennes incontestables sur les comportements des jeunes en matière d’information.
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« Hoaxbusters » : ces enfants qui traquent les « fake news »
L’Education nationale forme les élèves à identifier les fausses informations sur Internet. L’institutrice Rose-Marie Farinella propose une méthode dès l’école primaire.
Près de 4 millions d’élèves ont participé cette année à la semaine de la presse et des médias dans l’école. Lors de la trentième édition de cet événement annuel, le centre pour l’éducation aux médias et à l’information (CLEMI) a recensé 18 240 établissements scolaires en France et français à l’étranger participant, soit près de trois fois plus qu’en 1990.
Plus de 1 800 médias se sont également mobilisés en distribuant un million d’exemplaires de journaux, et en organisant des temps d’échanges entre les élèves et les journalistes, et des ateliers pratiques. Par exemple, en Guyane, des collégiens ont ainsi pu mener une investigation grandeur nature, intitulée Classe Investigation en référence au magazine d’enquête télévisé d’Elise Lucet. De même, dans l’Académie de Bordeaux, les lycéens de La Réole se sont interrogés sur la datavisualisation, et les enjeux que pose cette présentation simplifiée de quelques chiffres pour résumer un phénomène complexe.
Les élèves peuvent être exposés aux « fake news » avant l’entrée au collège
Mais face à l’essor des « fake news », la valeur de l’esprit critique n’attend pas le nombre des années : désormais, des élèves sont formés à vérifier les informations diffusées sur Internet dès le primaire
En effet, les réseaux sociaux et les blogs peuvent être de précieuses mines de connaissances autant que des relais de propagande et des vecteurs de radicalité. Or, selon une étude de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) publiée en avril 20191, les trois-quarts des adolescents de 14 ans utilisent régulièrement un ordinateur, tout comme la moitié des enfants de 8 à 10 ans.
Ainsi, avant d’entrer au collège, 83% des jeunes internautes d’une dizaine d’années se connectent pour regarder des vidéos, 59% pour faire des recherches sur Internet, 19% pour envoyer des messages et 11% pour échanger des courriels. Même s’ils sont rares dans cette classe d’âge (3 à 5%), quelques-uns ont également l’habitude de commenter des blogs, participer à des forums, ou publier des images en ligne.
La méthode Farinella est récompensée et plébiscitée
Pour la professeure des écoles Rose-Marie Farinella, « développer l’esprit critique avant l’adolescence est le bon moment, car les élèves manifestent de la fraîcheur et une grande ouverture d’esprit ».
Ancienne journaliste devenue institutrice en maternelle dans l’Académie de Grenoble, elle a eu l’idée de bâtir un programme de sensibilisation adapté aux élèves du primaire dès 2014, quand elle a constaté la recrudescence de fausses informations qu’elle recevait par mail ou sur les réseaux sociaux, et l’inquiétude des parents d’élèves désirant protéger leurs enfants de ces « hoax ». À cette époque, l’Education nationale ne proposait pas d’outils pour accompagner les plus jeunes dans la traque aux fausses nouvelles sur internet.
Depuis 2015, Rose-Marie Farinella déploie son programme d’initiation en classe de CM2, sur la base du volontariat. Sa méthode a été récompensée par trois prix nationaux et deux prix internationaux, dont le Prix mondial de l’éducation aux médias qui lui a été remis par l’Unesco en 20172, et elle a été nommée Chevalier de l’Ordre des Palmes académiques en août 2017.
Comprendre d’abord ce qu’est une information
Sa formation à l’esprit critique face à l’information en ligne se déroule en 16 séances de trois quarts d’heure, auxquelles se sont ajoutés au fil des années des débats sur la cybercitoyenneté, la liberté d’expression ou encore le racisme.
La première étape consiste à comprendre ce qu’est une information. Pour cela, les élèves concentrent d’abord leur attention sur la différence entre un slogan publicitaire relevant d’une vague promesse, et une information fiable vérifiable.
Ils consultent différents médias et interrogent des journalistes. Ils se familiarisent avec les 5 questions-clés qui permettent au journaliste de synthétiser les faits : « qui ? » « quoi ? », « où ? », « quand ? » et « pourquoi ? ».
Puis les élèves apprennent à croiser les informations en s’appuyant sur des médias fiables : ils s’entraînent à décortiquer l’information, en se renseignant sur l’auteur de l’article, sur la date de publication, sur la date à laquelle l’événement s’est déroulé, et sur le média qui publie l’article et ses règles déontologiques.
Pour prendre en main ces concepts parfois abstraits, ils s’exercent en pratique, grâce à des exercices d’improvisation. Rose-Marie Farinella leur propose ainsi de « couvrir » des faits divers, comme un accident de la route par exemple, ou des sujets clivants, tels qu’une manifestation contre la chasse : certains élèves jouent le rôle des chasseurs, d’autres celui des écologistes, et les apprentis journalistes tentent de rapporter leurs différents points de vue sans prendre parti.
Les élèves constatent alors que tous les témoignages ne se valent pas : certains évoquent des faits, tandis que d’autres relèvent d’une opinion. Ils découvrent également la difficulté de se montrer objectif quand on a soi-même des convictions. Certains scénarios abordent des sujets de société plus sensibles, liés aux questions de radicalité religieuse ou de racisme.
Apprendre à lire les images
L’initiation des jeunes « hoaxbusters »3 passe également par l’analyse critique d’images : « les élèves baignent dans un océan d’images, or les fake news passent beaucoup par l’image », souligne Rose-Marie Farinella. Elle les encourage donc à recontextualiser l’image et à se poser la question du cadrage en se demandant ce qui peut se trouver « hors champ ».
Les élèves sont ensuite envoyés en reportage photo dans les rues voisines de l’école, avec pour mission de montrer ce qui est le plus beau, ou bien le moins esthétique. Ils manipulent également le logiciel Photoshop, pour se rendre compte de la facilité avec laquelle on peut truquer une image. Puis vient le temps de la réflexion sur les intentions des personnes qui produisent de fausses informations : veulent-elles nous faire rire, générer des clics, nous convaincre, ou cherchent-elles à nuire ?
Dessine-moi une chasse aux hoax !
Les élèves participent avec enthousiasme : Rose-Marie Farinella se dit « bluffée par la pertinence de leurs remarques et leur dextérité à utiliser les moteurs de recherche ». Sur les sites web, ils explorent les onglets « à propos », « qui sommes-nous » et « Mentions légales », et sur les réseaux sociaux, ils repèrent les boutons « signaler » pour lutter contre les contenus indésirables.
Ils deviennent acteurs, portent des masques comme de véritables « détectives du web », et ils produisent à leur tour des contenus : leurs missions d’investigations sont en effet filmées et diffusées sur la chaîne Youtube « Hygiène mentale »4, animée par Christophe Michel de l’Observatoire zététique5.
Très content de transmettre ce qu’ils ont appris à leur famille, ils terminent le programme en réalisant un dessin libre, inspiré de ce qu’ils ont découvert pendant leur initiation. Leur investissement est gratifié d’un diplôme qu’ils reçoivent en prononçant solennellement le « serment de la souris » : « Je jure sur la souris de mon ordinateur qu’avant d’utiliser ou de retransmettre une information, toujours je la vérifierai ! ».
Continuez de réfléchir au sujet en participant à l’enquête lancée par la MAIF et VILLES INTERNET sur la désinformation. Pour prendre part à cette démarche originale, et pour auto-évaluer votre relation à l’information, c’est ici.
1 « Pratiques culturelles dématérialisées des 8-14 ans », Hadopi, Avril 2019 : Lien vers le pdf
2 Le troisième prix mondial d’éducation aux médias de l’Uneo a été remis le 20 octobre 2017 à Kingston, en Jamaïque.
3 Littéralement : « chasseurs de canulars » (en référence aux chasseurs de fantômes du film « Ghostbusters »)
4 Voir les épisodes « EMI » 1, 2, 3 et 4 sur la chaîne « Hygiène mentale » : https://www.youtube.com/channel/UCMFcMhePnH4onVHt2-ItPZw
5 L’Observatoire zététique est une association grenobloise qui a pour but la promotion et la diffusion des méthodes et techniques basé sur le scepticisme scientifique.
Fact-checking : qui doit vérifier l'information ?
Face à la recrudescence des fausses informations qui pullulent sur les réseaux sociaux, des journalistes spécialisés traquent ces fake news. Les chercheurs et les enseignants participent également à la lutte contre la désinformation.
Depuis dix ans, la chasse aux « infox »1 est devenue une mission à part entière pour les grands médias. Et pour cause : les fausses nouvelles virales pullulent sur les réseaux sociaux. Dans une étude publiée en février 2019, Alexandre Bovet, chercheur à l’Université catholique de Louvain, a ainsi démontré que, lors de la campagne présidentielle américaine de 2016, un quart des tweets contenant un lien vers un article en ligne dirigeait en fait vers des contenus de désinformation2.
Face à l’ampleur du phénomène, les grands médias créent des services internes dédiés à la réfutation d’infox, tels que « Les Décodeurs » du Monde, « CheckNews » de Libération, « Les Observateurs » de France 24, « AFP Factuel » de l’Agence France Presse et « Fake off » de 20 Minutes. D’autres journaux – papier et télévisés – ont intégré le « débunkage de fake news » à la palette des formats journalistiques dont ils disposent pour rendre compte de l’actualité et la mettre en perspective. Cette pratique fait désormais l’objet d’un enseignement dédié dans les écoles de journalisme, en formation initiale ou continue, et il est pratiqué dans les rédactions dans le respect de la Charte d’éthique professionnelle des journalistes 3.
Connu et respecté dans la profession, ce code d’honneur stipule notamment que le journaliste « défend la liberté d’expression et d’opinion », qu’il « n’use pas de la liberté de la presse dans une intention intéressée », qu’il « exerce la plus grande vigilance avant de diffuser des informations d’où qu’elles viennent », qu’il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour piliers de l’action journalistique », et enfin « qu’il tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles ».
Des méthodes de fact-checking fiables, transparentes et non partisanes sont également diffusées aux professionnels par l’IFCN Poynter4, qui recense également les bonnes pratiques à l’international.
Un travail pour des professionnels
Les professionnels de ces cellules d’investigation s’appliquent à répondre à toutes les questions des internautes, sans sélection éditoriale préalable par la rédaction (mais parfois après un vote des internautes) : tous types de sujets peuvent ainsi être décortiqués factuellement en synthétisant les événements, les données et les déclarations-clés, et ce avec la plus grande objectivité possible – c’est-à-dire sans commentaire d’opinion.
L’expertise de ces rédactions dédiées est mobilisée par les géants du numérique (tels que Google ou Facebook) qui sont régulièrement accusés de ne rien faire pour endiguer la propagation des infox en ligne. Dès 2017, Facebook a noué des partenariats pour l’aider à identifier les fausses nouvelles propagées sur le réseau social : en 2018 quelques 52 médias de fact-checking de 33 pays différents l’épaulaient dans ce projet.
Les journalistes scrutent les contenus signalés par les internautes et examinent la cause du signalement : une erreur factuelle, une photo d’illustration prêtant à confusion car prise lors d’un autre événement que celui mentionné dans l’article, un titre trop accrocheur qui ne reflète pas le contenu de l’article, voire des argumentaires délibérément manipulatoires et des pseudo-reportages vidéo fabriqués de toute pièce. Les auteurs des contenus fallacieux sont avertis du retrait de leur texte, et la visibilité des sites qui reçoivent de nombreuses missives de ce type est automatiquement réduite par l’algorithme de Facebook.
Les rédactions reçoivent une rémunération pour leur contribution : Checknews (Libération) a ainsi déclaré publiquement avoir perçu 100.000 euros en 2017 et 245.000 euros en 2018 pour son aide sur la plateforme, tandis que le PDG de l’AFP avait annoncé 1 million d’euros par an pour le périmètre originel du contrat – très étendu depuis.
Un business de profiteurs
Dans le climat actuel de méfiance – voire de défiance - envers les grands médias, ces liens pécuniers ont paru suspects à certains internautes, et les « trolls » cherchant à éroder la confiance des citoyens dans les médias de référence en ont profité pour démontrer un prétendu asservissement de ces rédactions aux géants américains du numérique.
La diffusion de fake news a une dimension stratégique pour les tentatives de déstabilisation politiques entre États, tout comme elle peut aussi s’avérer être une activité très lucrative pour tout individu équipé d’un simple ordinateur connecté : feu-l’auteur américain Paul Horner assurait ainsi en 2016 que l’engouement des internautes pour la lecture de ces fausses nouvelles diffusées sur Facebook lui rapportait « environ 10.000 dollars par mois en revenus publicitaires ». Selon BuzzFeed News, les quatre adolescents macédoniens qui avaient lancé la fausse rumeur sur de prétendus emails de Hillary Clinton, alors candidate à la présidentielle américaine de 2016, auraient gagné 5000 dollars par mois.
Face aux milliers de « trolls » motivés par l’appât d’un gain facile, les équipes de professionnels du fact-checking ne comptent que cinq à quinze journalistes. Certaines agences de fact-checking partenaires de Facebook ont déjà jeté l’éponge, débordées par l’ampleur de la tâche et par la virulence de ces prêcheurs de contre-vérités. Selon Whitney Phillips5, chercheure en ethnographie et folkloriste des médias numériques à l’Institut Data & Society, la réfutation des infox par les grands médias décuplerait l’exposition des contenus biaisés et des thèses complotistes sur les réseaux, et donc leur propagation dans la société. En outre, le fact-checking réduirait peu les croyances dans les fausses informations : selon des chercheurs de Yale, le message d’alerte « mis en question par des fact-checkers indépendants » sur un post Facebook ne diminue que de 3,7 points le crédit de confiance accordé à une infox6.
Une mission pour les professeurs des écoles et les chercheurs
L’émergence de nouvelles technologies, telle que l’intelligence artificielle, ouvre de nouvelles perspectives aux diffuseurs de propagande et d’infox grâce aux « deep fakes » qui permettent de créer une vidéo simulant le discours d’une personnalité grâce aux techniques d’animation de l’image. L’agence américaine de recherche pour la défense (DARPA) a fait appel à des chercheurs pour développer un moyen d’identifier les vrais et les faux visages de ces vidéos trompeuses. L’enjeu est de taille : l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire sur les manipulations de l’information estime que « les tentatives de manipulation de l’information peuvent jouer, de façon insidieuse, sur les divisions sociales et politiques que connaissent nos démocraties ».
Eviter un tel délitement de la société implique la participation active de tous les citoyens à la lutte contre les infox. Pour éviter de les partager, il faut d’abord apprendre à les reconnaître. Quels que soient les progrès technologiques à venir, l’esprit critique des internautes restera le meilleur rempart contre les tentatives de manipulation par la désinformation.
Pour armer les futurs citoyens aux nouvelles formes d’infox qui ne manqueront pas d’apparaître dans les prochaines années, les enseignants sont donc en première ligne. L’Education Nationale s’est déjà emparée de cette mission de sensibilisation, dès les bancs de l’école primaire et jusqu’au lycée, en s’appuyant sur les ressources du Ministère, les outils du Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (Clemi) ou encore sur la méthode de Rose-Marie Farinella. Pour sensibiliser l’ensemble de la population, il faudrait sans doute que les Universités du Temps Libre rejoignent cette lutte contre les infox : les seniors de plus de 65 ans sont en effet les principaux propagateurs de fake news sur les réseaux sociaux, où ils partageraient en moyenne 7 fois plus de contenus fallacieux que les jeunes de 18 à 29 ans7.
1 Traduction du terme « fake news » officialisée par la Commission d’enrichissement de la langue française (CELF), composée d’experts et membres de l’Académie française, en octobre 2018.
2 Parmi les 171 millions de tweets analysés durant les cinq derniers mois avant le jour de l’élection, 30 millions de tweets – envoyés par 2,2 millions d’internautes - contenaient un lien dirigeant vers un article en ligne. 7,5 millions de ces tweets (soit 25%) menaient vers un article factuellement biaisé.
3 Lire la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (rédigée en 1918 et modifiée en 1938 puis 2011) sur le site du Syndicat National des Journalistes : https://www.snj.fr/content/charte-d’éthique-professionnelle-des-journalistes.
4 International Fact-checking Network (IFCN Poynter) https://www.poynter.org/channels/fact-checking/
5 Phillips Whitney, The Oxygen of Amplification : Better Practices for Reporting on extremists, antagonists and manipulators, Data & Society, février 2018
6 Selon les chercheurs de Yale, 14,8% des 5000 Américains exposés à une publication sur Facebook affichant l’avertissement « mis en question par des fact-checkers indépendants » demeurent convaincus de sa véracité, alors que la même publication sans alerte était jugée crédible par 18,5% du panel.
7 Etude menée aux Etats-Unis en 2016 par des chercheurs des Universités de New York et de Princeton, publiée en janvier 2019.
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